Au fil de leurs disques, les Cure nous ont souvent habitués à des morceaux d'ouverture à rallonge, dans un esprit plus ou moins torturé ou atmosphérique : "One hundred years", "The kiss", "Plainsong", "Open", "Want" et "Out of this world" font partie de ceux-là. Si bien que tout fan "digne de ce nom" espère toujours secrètement, à chaque sortie d'album, que cette tradition sera de nouveau respectée. Aussi les fans en question ont-ils pu être rassurés à la sortie de 4:13 dream ; cette fois, c'est "Underneath the stars", avec ses six minutes au compteur, qui vient jouer le rôle du fantasme récurrent. Et il faut bien avouer qu'à la première écoute, on s'aperçoit immédiatement que cette chanson contient tous les ingrédients du classique "curesque", qui ont déjà fait d'elle l'une des plus appréciées de 4:13 dream, et la placent certainement en très bonne position dans le classement discographique du groupe.
Torturée ? Atmosphérique ? Sans nul doute possible, "Underneath the stars" se classe dans la seconde catégorie. Il s'agit même de l'un des titres les plus aériens composés par Smith ; on peut difficilement s'empêcher de penser à l'album Disintegration (les nappes de synthé en moins) et son "Pictures of you" à l'ambiance similaire... Jusque dans ses tintements doucereux. Pour beaucoup, "Underneath the stars" fait d'ailleurs figure d'ovni dans l'album de 2008, tant son identité musicale contraste avec les douze morceaux restant, plus courts et plus orientés pop-rock.
C'est la batterie de Cooper qui ouvre le bal, suivie d'un riff de guitare qui plante le décor (un ciel constellé d'étoiles), explosant et s'éteignant lentement dans la nuit, comme un feu d'artifice. Petit à petit, l'océan se dessine à son tour. Pendant plus de deux minutes, les instruments impriment le mouvement des vagues, tantôt apaisants, tantôt plus agressifs. Cette longue introduction prouve que le génie mélodique des Cure est bel et bien intact : un véritable modèle du genre, qui permet à l'auditeur d'être "happé" par la chanson sans même qu'il s'en aperçoive. Intégré dans le paysage, il se retrouve lui aussi ballotté par les flots, contemplant ce ciel d'encre parsemé de lumière. "Floating here like this with you / Underneath the stars alight for thirteen billion years / The view is beautiful...", confirme Smith d'une voix lointaine, qui semble nous parvenir du fond des âges. De manière générale, le chant bénéficie d'un traitement particulièrement original et tout à fait adapté au morceau, qui a dû nécessiter un travail de fourmi : derrière le flot de paroles principal s'en dessine un second plus complexe, mâtiné d'échos, qui reprend les mêmes phrases mais nous les fait parvenir, curieusement, à l'avance. Comme si les mots s'apparentaient à des comètes déchirant la sphère terrestre, résonnaient dans l'immensité, puis s'écrasaient en délivrant leur message sonore. Non sans avoir subi, au passage, une transformation rigoureuse due aux lois de la physique. Un effet utile donc, car sensé, déjà expérimenté de manière plus succincte sur l'album Wild mood swings (au début des refrains de "Jupiter crash"), et qui prend ici toute son ampleur à la fin du titre.
Pour l'heure, "Underneath the stars" décrit, plus qu'elle ne raconte, un moment magique entre deux amants, de façon simple mais émouvante. De ceux qui arrivent rarement dans une vie mais provoquent des sensations inégalables, et une impression d'être en totale harmonie avec le monde qui nous entoure. Un point de vue inédit sur l'existence qui donne le tournis, proche d'un rêve éveillé. Le ciel et la mer, l'ombre et la lumière, l'infiniment petit et l'immensité, tout semble se mélanger pour ne faire qu'un, comme dans les tableaux de Van Gogh ("Watching shadows melt the light..."). Van Gogh dont on retrouve d'ailleurs une citation sur le livret de l'album : "For my part I know nothing with any certainty... But the sight of the stars makes me dream". Alors, bien sûr, certains reprocheront encore à Smith d'accumuler les mêmes clichés qu'il y a vingt ans, à l'époque de Kiss me et de Disintegration : la mer, les étoiles, la nuit, l'amour, les baisers... Tout le manuel du parfait petit romantique y passe. Mais cette simplicité a aussi quelque chose d'irrésistible.
C'est dans le dernier couplet que cette communion avec la nature atteint son paroxysme. Le coeur, la tête, les instruments, la voix, tout se libère, et cette liberté soudaine et euphorisante fait naître la sensation que tout est possible ("And everything gone / And all still to come..."). "Underneath the stars" devient lyrique, presque mystique. La guitare de Thompson, chargée d'écume, s'agite à la surface de l'eau et déferle derrière celle de Smith, couplée à une batterie sourde, profonde. Le titre se termine comme un souhait : celui que ce voyage intérieur ne s'arrête jamais. "Forever as now / Underneath the stars...", clame le leader de Cure avec une ferveur non dissimulée, bien décidé à se faire entendre aux quatre coins du monde. Car c'est bien connu : quand on est amoureux, on a envie de le crier à la Terre entière.