1983
6.8
1983

Série Netflix (2018)

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La suspension consentie d’incrédulité.


Un terme qui, bien que farfelu et repoussant, résume efficacement les contraintes nécessaires à la cohérence d’une œuvre de fiction. Une œuvre sera réussie si, et seulement si, ses destinataires acceptent de laisser leur scepticisme de côté pour se laisser emporter par le flot des mots, des images et de l’histoire. C’est à la fois le plus simple, et le plus difficile ; rendre l’inacceptable plausible.
C’est la cohérence qui fait qu’on accepte que des enfants puissent voler sur des balais pour jouer au Quidditch, que des dragons puissent détruire une armée, ou que des dinosaures puissent être recréés à partir de fossiles pour animer un parc d’attraction.
C’est la cohérence qui fait qu’on aime une idée, qu’on suit un parti ou qu’on élit une personne.
C’est également l’absence de cohérence qui nous épuise des blockbusters redécoupés jusqu’à en devenir difformes, incohérences qui, hélas trop souvent résultent des conflits entre les créateurs et les producteurs.
Mais surtout, c’est la terrible et ô combien cynique cohérence d’un des grands observateurs du XXème siècle ; Orwell, qui a fait de 1984 une véritable référence de la dystopie totalitaire. Orwell, l’ancien combattant des brigades internationales dans les rangs républicains espagnols. Orwell, l’un des grands témoins, avec Malraux, Hemingway, Koestler et bien d’autres de l’écrasement des démocraties entre les droites extrêmes d’un côté, et les régimes léninistes de l’autre. Orwell qui lança un cri de désespoir aux couleurs universelles, qui allait se répercuter à travers les générations d’artistes, construisant les bases d’un modèle qui est depuis lors une source inaltérable de fiction, autant au cinéma (Brazil, Matrix, Blade Runner), qu’en littérature (Philip K.Dick, Bradbury) ou en séries (black mirror, The maidman ou 1983).
Car il est évidemment impossible de parler de 1983 sans aborder 1984 tant la série s’inscrit dans la continuité du livre. Les références sont partout, parfois tumultueuses (découverte du livre par la milice) et parfois délicates (opacité totale sur qui est le véritable maître du parti). Toutefois , et c’est l’une de ses grandes qualités, 1983 ne fait pas de faux départ, elle s’offre majestueusement et sans détour ; On sait tout de suite de quoi on va parler, et ça fait du bien !
Le premier coup de maître réside dans le titre ; 1983 ou la relation que la série crée entre l’écrivain en aval et le public en amont; le titre de la série n’est absolument pas choisi au hasard.
Orwell écrit son chef d’œuvre en 1948. L’évènement déclencheur de la série, à savoir les attentats, se produit en 1983, soit 35 ans plus tard. Nous sommes en 2018, donc…35 ans après les événements.
De fait, la date 1983 est un point de pivot, un miroir entre notre vision du monde et celle d’Orwell. La série nous pousse constamment à nous interroger, bien au chaud depuis le futur sur ce qui aurait pu être, mais aussi ce qui a été le passé de la Pologne en mêlant avec virtuosité histoire avérée, histoire imaginée et anticipation. Les attentats de 1983 servent de « nouveau départ » pour le pays, pour le meilleur et pour le pire, lui permettant de s’émanciper de l’emprise russe d’une part, mais le faisant également basculer dans une paranoïa extrême et salvatrice, dessinant le décor de ce qui nous servira de situation initiale.
Le deuxième coup de maître réside dans le choix des deux temps de la série ; un premier temps, 1983 ou le contexte historique de la Pologne communiste pré-89 est véridique. Les événements, bien que fictifs, sont plausibles et le scénario relève de la série historique.
Puis un deuxième temps, 2003 ou le contexte est cette fois le fruit de l’imagination de l’auteur. Comme chez Orwell, on est dans la dystopie, déclenchée par les attentats de 1983 et leur conséquence directe, à savoir la survie du rideau de fer et du bloc communiste ; On est dans la dystopie.
La dualité entre le passé réel et le passé fictif, entre l’histoire et la dystopie, entre l’observable et l’imaginé, entre ce qui aurait pu être et ce qui a été rend la série fascinante, mais également spectaculairement cohérente. En effet, elle se sert constamment de matériaux réels pour construire son contexte, ses personnages et ses événements.
Ce qui nous amène à notre deuxième point ; la survie du bloc soviétique. Le récit reste, dans cette première saison, assez vague sur les véritables raisons du non-effondrement de l’Urss, mais il est suggéré plusieurs fois que ce virage historique est dû à un renforcement du régime, conséquence directe des attentats.
Et c’est là que la série s’élève ! On aurait pu nous peindre un monde de terreur absolue, ou l’appareil totalitaire aurait établi un véritable enfer de violence et de misère. Mais non, on nous dessine une Pologne en plein essor économique, à la pointe de la technique, ou Varsovie est un chantier permanent. Une Pologne dont les technologies militaires et civiles sont jalousées par les américains. La série insiste sans pudeur sur cette embellie économique, notamment dans la scène chez la famille du garagiste, qui raconte à quel point les conditions du peuple se sont améliorées. Une Pologne devenue un paradis de l’immigration, ou les réfugiés vietnamiens sont d’ailleurs venus s’installer et fonder une véritable communauté. Une Pologne puissante et centrale, négociant avec les américains contre les russes, manœuvrant au Moyen-Orient. On nous présente une Pologne qui a enfin pris sa revanche sur le reste du monde, qui a réussi à nous faire oublier qu’elle avait été totalement rayée de la carte pendant plus d’un siècle. Mis en contraste avec le fait que 95% des Polonais sont catholiques, et que sa population figure parmi les plus pauvres d’Europe, ce point de vue est un coup de poing dans l’estomac, bien loin des valeurs Orweliennes. Une Pologne dont l’armée est sur le point de reprendre le contrôle sur le SB, entamant la dernière étape de son émancipation sur l’horreur communiste. Après tout ne se serait-on pas trompés ? Le rêve marxiste aurait-il pu aboutir si on lui en avait laissé le temps ?
Les interrogations vers lesquelles nous accule peu à peu 1983 sont bien loin de ce que l’on aurait pu présager en voyant les bandes annonces. Bien loin des dystopies moribondes et souvent imbéciles auxquelles nous ont habitué les blockbusters occidentaux, ce chef-d’œuvre du petit écran nous invite à nous poser les bonnes questions sans jamais pour autant nous donner les réponses. Les ambiguïtés sont partout, et je serais bien incapable de dégager un semblant de morale ou de message politique de cette imbrication complexe d’histoire, de science-fiction et de série politique.
Je nuancerais quand même en soulignant que malgré son génie indéniable, 1983 est loin d’être parfaite ! De trop nombreuses trames scénaristiques, quelques incohérences ainsi que certaines longueurs viennent embrouiller le paysage de ce qui aurait pu être un scénario parfait. Mais ce brouhaha donne également un semblant d’authenticité à la série, qui n’est pas sans nous rappeler la complexité de l’actualité internationale.
Mais mon dieu, qu’est-ce que ça fait du bien qu’une série nous propose enfin d’utiliser notre cerveau! Allez voir 1983 !

GabrielCohen
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le 1 mars 2019

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Gabriel Cohen

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