Le sombre miroir en question, c’est la technologie. Cette série produite par Endemol a connu un vif succès commercial et un succès d’estime ahurissant. Sortie en 2011, elle est entrée directement dans les grands classements et y est restée. On en parle encore comme d’un témoignage visionnaire sur notre rapport à nos smartphones, à internet, à la réalité augmentée.
La série prend le parti de l’extrême et montre des dérives exagérées de l’usage des technologies ou des nouveaux médias. Elle a tendance à dresser un best-of des grands thèmes récents de la SF et pousse des concepts plus ou moins vastes à leur terme. Elle le fait avec un puissant volontarisme mais est confuse plus qu’elle n’est complexe.
C’est à la fois divertissant et stimulant, car il y a abondamment matière à disserter. Sauf qu’en plus des idées posées, il y a le produit lui-même. Souvent fantaisiste et bornée, Black Mirror ne tire pas grand chose de ses thèmes et demeure dans le bavardage. Contre-effet de ses postulats péremptoires ; c’est aussi une série parfaite pour entretenir sa misanthropie.
C’est cependant là qu’est l’intérêt principal de la série : envisager la conversion des aspects les plus vils (la bêtise, la cruauté) ou les plus lourds (la jalousie) de la nature humaine au tout-numérique.
http://zogarok.wordpress.com/2014/07/22/black-mirror/ EPISODE PILOTE
Ce premier opus est un violent uppercut, mais m’a fait largement tiquer. Tout concentré sur sa grande idée, l’épisode met les bouchées doubles et ses défauts s’en trouvent exacerbés. Le sujet lui s’en trouverait presque dégonflé s’il n’était pas aussi fort et, aussi, sensationnel.
L’enjeu est immense et pas seulement politique. Il est universel et existentiel, car il montre ce qu’est la dégradation la plus achevée : c’est d’être seul sur un piédestal pour un sacrifice dont on sortira sali à tout jamais, quelque soit son héroïsme. La noblesse d’un sacrifice ne change rien à l’humiliation qu’implique celui-ci. Pour Michael Callow c’est comme si tout ce que l’activité humaine avait pris le soin de fabriquer au cours des millénaires s’effaçait brutalement.
C’est comme s’il était, lui et lui seul, rappelé à sa condition de simple petit bonhomme et à la valeur de ce qu’est une telle entité. Il n’est rien et ce qu’il a été pressé de faire est une abomination, mais tout le monde continuera à exister paisiblement après cela. Or lui n’est même pas protégé par son statut et sa présence au sommet : il est le dernier des hommes et tout le monde le saura toujours. Cette honte intégrale est le sujet le plus profond et le plus passionnant soulevé par l’épisode.
Elle dépasse une simple dimension sociale ou culturelle ; ce n’est pas une honte subjective, une honte ressentie, c’est une honte devant chaque particule de l’Univers parce que vous avez été souillé et que vous ne pourrez absolument rien y changer. Vous avez donc été un échec, comme tous les êtres vivants, mais cet échec contrairement à eux, cette condition de poussière sans aucune importance sinon pour elle-même, vous l’avez senti à vif.
Tout ça est cependant bien secondaire du point de vue des auteurs de cet opus pilote. Ils se concentrent sur les répercussions sociales de l’événement et l’émulation dans l’opinion publique. Mais là-dessus il sera aussi décevant que l’idée est grande. Les incohérences sont légion et l’ensemble des détails sont victimes d’un manque de soin.
En outre, ni le film ni les parties prenantes autour du Premier Ministre ne posent les bonnes questions. D’où vient la menace ? Qui y a intérêt et pas seulement loin ou de manière abstraite ? Où sont les preuves ? Par ailleurs, on évoque rapidement l’ampleur internationale. Dans un reportage, on aperçoit une foule au Moyen-Orient ; mais quel est le lien ? S’agit-il de montrer l’opportunisme des médias et la confusion sur laquelle ils jouent, voir leur absence de compréhension des phénomènes ?
Mais The National Anthem se fiche légitimement de tout cela puisqu’il illustre une situation de crise où l’émotion l’emporte sur tout, avec sa bonne compagne les dits bas instincts. Aussi, la logique devient secondaire. Et c’est tout à fait regrettable et à l’image du manque de finesse de The National Anthem face à son sujet. Elle sous-estime les implications autant que la réalité des acteurs. La démonstration n’en est que plus virulente, sauf qu’il faut accepter de porter le bandeau qui nous est tendu et de collaborer à une sur-réaction qui est présumée être décortiquée.
LES SIX ÉPISODES au cas par cas : http://zogarok.wordpress.com/2014/07/22/black-mirror/