Saisons 1 & 2 : Du happening de psychopathe à la puissance vulgaire
Série événement à son lancement en 2013, adaptation d’une série britannique éponyme (1990), House of Cards a directement accédé à la reconnaissance ; au point que son acteur principal, Kevin Spacey, se sent depuis pousser des ailes antisystèmes et se permet d’envoyer des fuck à destination d’Hollywood. Dans House of Cards, il est Frank Underwood, un élu démocrate très haut placé. Il a aidé Garrett Walker à devenir président des Etats-Unis mais n’a pas eu le retour escompté. Pas de promotion ? Alors il n’y aura pas de cadeau. Avec l’appui de son épouse Claire (Robin Wright), Frank va s’employer à saboter son propre parti, à détruire l’équipe et les représentants actuels.
Le machiavélisme de l’univers de House of Cards (où les taux de psychopathie et de self-control sont au maximum) n’a d’égal que sa tristesse. Au sommet règne une ambiance de mort, une force grise, compacte, soutenue par la photographie, morose, mais éblouissante à sa façon ; et elle enveloppe la société civile partout où on l’accueille. Dans un premier temps la série s’est distinguée en brisant le quatrième mur, avec Frank s’adressant au spectateur. Ce parti-pris narratif très commenté est pourtant sous-employé, puisque Frank, la plupart du temps, se contente de lâcher des vannes ou des insultes à l’égard de ses collaborateurs ; et de temps en temps, une petite phrase d’un pragmatisme absolu en réponse à un drame odieux, afin de souligner sa monstruosité pure, sans scorie.
Le véritable trait distinctif de la série est ailleurs : c’est ce décalage impressionnant entre les deux saisons. Rarement une telle configuration aura existée. La première saison est un prodigieux happening de psychopathe aux portes du pouvoir, dans une moindre mesure un aperçu de la capacité de nuisance du pouvoir central. Dans la saison 2, Frank est vice-président. Il tue un personnage important à la fin du premier épisode. Tournant : les notions idéologiques et purement politiques sont plus présentes, mais trop générales et simplistes. La série accumule les intrigues très techniques, met Frank sur un pied d’égalité avec les autres personnages, avec peu de dilemmes chauds pendant les cinq premiers épisodes. L’implacabilité de Frank se renforce et son attitude de despote instrumentalisant les lois. La série regagne en intensité à partir des 6e-7e épisodes, avec une guerre ouverte désormais, mais en coulisses, entre toutes les parties autour de Frank.
Celui-ci va trop loin en poussant le président à l’abus avec la nationalisation de l’usine de Raymond Tooske, qui a la main bien plus longue que lui. Mais les auteurs sabotent leurs pistes pour donner dans la surenchère racoleuse. Avec le final de l’épisode 2.11, la kitscherie atteint des sommets. La série semble complètement perdue, virant au choix à la tragédie creuse ou à la bouffonnerie romanesque. Que valent franchement les pitoyables confessions intimes de Frank au Président ? La série se joue de nous à montrer des personnages aussi aguerris conduits par leurs sentiments les plus spontanés et régressifs, alors que se joue autant le destin national que le leur, personnel. Alors voilà le Président des USA ému par le laius larmoyant de son conseiller le plus hostile au point de lui confier les clés ?
Il faut faire les comptes. Quasiment exaltant au départ, le spectacle se stabilise et finalement, coule lentement vers le bas. Il devient racoleur, obscène et banal, cherche à frapper et laisse un goût très amer, en affichant cette élite aux mœurs »libérées » et sans la moindre morale. C’est un coup violent pour le commun des mortels, que cette insolence, à rendre malsaine jusqu’à la jouissance. Le problème avec ces prédateurs, c’est que la série nous fait croire que des individus seuls peuvent prendre le pouvoir dans le pays le plus riche et puissant du monde, sans se heurter à des forces bien plus grandes qu’eux ; en somme, il n’y a presque pas de puissances souterraines. Juste, allez quoi : ces gens, plus fourbes et plus forts que les autres, mais ordinaires finalement, se hissant par leur seule mesquinerie, sans qu’aucun contexte social n’existe, sans que des éléments politiques et structurels sérieux le leur permette.
Et c’est là le drame : cette série prétendait parler politique, non ? Où sont les véritables sujets, les véritables acteurs : même en symboles, ce serait déjà énorme ! Ce sera le défi de la saison 3, que de nous montrer les plus forts que lui, les puissances structurelles et surtout concrètes : mais peut-être que voudra poursuivre le roman, et Franck sera le maître du monde – comme c’est facile de devenir le maître du monde, il suffisait d’être le pragmatisme absolu, de n’avoir aucune attache pour rien ni personne et d’être à la bonne place. Mythe. Pas de politique ici, ni de commentaire sur l’Humanité, mais un roman à sensations.
http://zogarok.wordpress.com/2014/09/16/house-of-cards-saisons-1-2/