Sur le papier, House of Cards promet monts et merveilles : David Fincher, Kevin Spacey, Robin Wright, une plongée réaliste au coeur du système politique américain et la vengeance insidieuse d’un homme contre son gouvernement. La réalité cependant est toute autre, car la tension implicitement promise n’est pas au rendez-vous. Les créateurs confondent étonnamment audace et complicité factice, dédain et cynisme, empêchant le spectateur de s’impliquer émotionnellement dans les enjeux de l’intrigue..
Deux éléments de la série, plus particulièrement, alimentent cet état de fait. Le premier est le procédé qui consiste à prendre le spectateur à partie pour lui expliquer la situation, brisant ainsi le « quatrième mur » censé séparer le spectateur des acteurs. Le sénateur prend donc très régulièrement la liberté de se retourner vers la caméra, parfois au milieu d’une conversation, afin de délivrer un aparté nous révélant les véritables enjeux de la situation tout en nous faisant comprendre qu’il maitrise cette dernière. Ce parti-pris narratif a pour conséquence, en plus de choquer nos habitudes narratives – ce qui n’est pas une mauvaise chose en soi – de nous servir sur un plateau les ficelles de l’intrigue ; si bien qu’il est inutile pour le spectateur de s’embêter à réfléchir afin d’identifier qui bluffe ou bien qui est le dindon de la farce. Ce procédé apparait très vite comme paresseux, impliquant de fait une triste passivité du spectateur, condamné à rester dans son siège tandis qu’on lui explique méthodiquement ce qu’il serait capable de deviner par lui-même pour peu qu’on lui en donne l’occasion.
Le scénario est malheureusement à l’aune de ces choix formels : prémâché. Quels sont donc ces obstacles insurmontables qui pimenteront la vendetta de l’homme bafoué par son gouvernement ? Malheureusement, il n’y aura pas lieu de se faire du mauvais sang pour le redoutable Frank Underwood, car tout au long de la première moitié de saison rien ne s’opposera au sénateur qui ne sera balayé d’un simple geste de la main. Les obstacles placés sur sa route semblent dérisoires et, du haut de sa suffisance (et notamment grâce à ces fameux apartés), Underwood nous fait bien comprendre qu’il est au dessus de tout cela. Force nous est de constater que c’est (malheureusement) exact ; dans ce panier de crabes qu’est la Maison Blanche, le sénateur apparait vite comme le plus intelligent et le plus retors de ses collègues. Dans une série où la tension scénaristique nait de la confrontation de celui-ci avec ses pairs, qu’il est en train de piéger à leur insu, on ne peut que déplorer l’absence de répondant. Tout va pour le mieux dans le pire des mondes pour le sénateur, qui parvient en un tour de bras à transformer ses infortunes en atouts (le chantage avorté de la journaliste). La question que l’on pose aux créateurs de la série, en somme, est la suivante : comment prendre une seule seconde au sérieux une situation que le personnage lui-même passe son temps à considérer d’un ton goguenard ?
Difficile, par conséquent, de rester captivé d’épisode en épisode lorsque la série s’entête à décrédibiliser les opposants du principal protagoniste. On ne peut s’empêcher de rester froid – face à une photographie mettant d’ailleurs à l’honneur les tons glacés – tandis que les imprévus ricochent sur l’implacable maîtrise du sénateur. Heureusement, House of Cards sauve ses meubles sur la deuxième moitié, avec une montée en puissance inattendue qui parvient enfin à mettre le sénateur dans un embarras croissant. A ce moment, il est trop tard, les jeux sont faits. Le plus dur reste donc à faire pour House of Cards et la saison 2 sera, on l’espère, capable de se recentrer sur ses enjeux en mettant plus que de simples brindilles dans les roues de l’anti-héros Frank Underwood.