Dans ma quête désespérée et frénétique de l'œuvre où la ruse et l'ingéniosité est censée prendre une place prédominante, mes recherches m'ont inévitablement menées à Kaiji. Considérant la qualité des dessins et même de l'animation en général, j'ai privilégié la version animée au manga. Mon choix fut, je le pense, remarquablement avisé.
Lustrons la forme avant de sonder le fond (ahem). Rarement l'emphase a été aussi bien instaurée au niveau de la mise en scène d'une série animée. Dans les versions animées - qu'il s'agisse d'une adaptation manga ou une œuvre originale - la mise en scène chargée d'établir une atmosphère particulière se borne généralement à la musique et, si l'on est verni, à quelques plans dramatiques plus travaillés que les autres.
Ici, la tension est évidemment au cœur de l'intrigue si tant est qu'elle ne se confond pas clairement avec l'intrigue au point même de s'y substituer par moment (ce qui sauvera l'anime de ses rares faiblesses par moment).
Outre la bande-son originale du même compositeur que celle de Death Note (c'est flagrant à partir de quelques titres, on reconnaît la griffe à l'oreille), tout est fait pour vous livrer, non pas une histoire tendue, mais une tension brute au service de laquelle se met le scénario.
On retiendra les mythiques «Zawas» pour ponctuer la terreur à divers endroits, bruitages phares dont on ne se lasse jamais, mais on pourrait aussi revenir sur les déformations du visage grotesques et pourtant suffisantes pour mettre le système nerveux à vif. Mais il est un élément par-dessus tout autre qui saura nous maintenir en haleine durant ces confrontations psychologiques haletants : le narrateur.
La narration orale, se bornant généralement à un rôle d'outil chargé de nous expliquer les éléments induits devient ici une entité vivante à part entière. La série est évidemment à voir en voix originales. Rarement comédien aura su autant faire vibrer - et rire en dépit du drame se jouant - par son dynamisme et sa verve que celui chargé de doubler la narration. L'excès des réactions est - comme pour celle des personnages - excessivement exagérée mais capable de rendre palpitant même une dégustation de chips (oui, c'est une référence à Death Note). Tout ça vous chope aux tripes, les serre et ne les lâchera qu'une fois que vous en aurez terminé avec les vingt-six épisodes. Les responsables de l'anime se sont réellement investis et n'ont pas fait le travail à moitié. Il y a ceux qui cherchent à adapter un manga (en en trahissant la substance le plus souvent), et ceux qui cherchent à le sublimer. Nous sommes de plein-pied dans la deuxième catégorie.
Mais la forme sans le fond se limite à une coquille vide. Qu'y a-t-il à retenir de Kaiji en dehors de cela ? Ses personnages ? Leur côté humain uniquement. En dehors du personnage principal et deux de ses adversaires, aucune personnalité forte ne se dégage, ce sont des hommes et des femmes (ah non, pas des femmes. Y'a aucune femme dans Kaiji !) plutôt pathétiques de médiocrité soumis aux jeux du diable. Leurs faiblesses font la force de leur caractère. Ils sont lâches, pleurnichards, traîtres et malgré tout attachants.
Kaiji n'est pas en reste. Il n'est pas ce héros au cœur pur qui, glaive à la main, libérera ses frères des chaînes de l'oppression. Ses idéaux sont ce qu'ils sont, mais il se retrouve vite confronté à l'impitoyable réalité avec laquelle il compose tant bien que mal. Car il n'est vite plus question d'idéologie mais de survie. Le pouvoir de l'amitié n'a plus cours ici.
Quand le diable vous convie à une parte de carte, que vous gagnez ou non la partie, vous y perdez votre âme.
Kaiji est donc un jeune minable d'une vingtaine d'années qui se retrouve endetté et doit jouer sa dette au cours d'un événement organisé par une organisation mafieuse. L'événement n'est qu'un banal jeu de pierre-feuille-ciseau avec des cartes (d'où le titre de ma critique). Mais un pierre-feuille-ciseau conditionné.
Et si la lecture et le visionnage d'œuvres centrées autour de la ruse et les astuces m'ont bien appris quelque chose, c'est que le gros desdites astuces émanent de la manière avec laquelle l'on se joue des règles et profite des vides juridiques. Je n'entrerai pas dans les détails, mais la sagacité de Kaiji pour survivre à cette partie de pierre-papier-ciseau dépasse l'entendement. Je le dis sans exagérer, ses réflexions valent celles de Liar Game de Shinobu Kaitani (la Mecque des intrigues/jeux reposant sur la ruse).
Alliances, coups de poignards dans le dos, tout est fait pour anéantir vos espoirs car chaque victoire semble contrebalancée par une difficulté supplémentaire plus insurmontable encore. Mais Kaiji s'en sort. Et avec peine.
Car contrairement à l'autre œuvre de Fukumoto adaptée en série : Akagi, le personnage principal est ici vulnérable. Il perd. Souvent. Ce qui ne conforte pas le spectateur dans l'idée que, quoi qu'il arrive, le héros s'en sortira. Le doute subsiste toujours. Et même lorsque je croyais Kaiji assuré de sa victoire, je fus pris au dépourvu. On ne se repose jamais sur les acquis du genre : le personnage principal risque véritablement gros et la menace n'est pas illusoire.
Les vingt-six épisodes ne se reposent pas uniquement sur la partie de pierre-papier-ciseau conditionnée puisque trois autres jeux de réflexion macabres attendront Kaiji. Et c'est là que je soulèverai la raison pour laquelle ma note se limite seulement à huit (ce qui est considérable si l'on prend en compte mes standards de notation). La deuxième épreuve ne se repose pas sur la réflexion mais sur la tension seule. Qui plus est, sa résolution constituera une déception immense. Mais fort heureusement, la série saura rebondir par la suite avec les deux duels qui feront suite à cette parenthèse regrettable dans l'intrigue.
Un petit bijou où ingéniosité et tensions se mêlent à merveille. On se laisse très vite happer par ce torrent d'exagérations de la mise en scène et d'adresse tactique. Le caractère foncièrement humain et donc faillible des personnages nous offrent un rendu plus crédible encore. À l'horreur des épreuves s'instaure grâce aux personnages un vague sentiment de réalisme qui vous fait craindre le pire d'un bout à l'autre.
Car s'il est question de réalisme, il n'est alors pas dit que tout se termine bien.