Beautiful Crime

Premier chapitre de The Defenders, bloc de séries naissant de l'union de Marvel, ABC et Netflix, annoncé comme faisant partie intégrante du MCU, Daredevil a su dépasser mes espérances, qui étaient déjà bien élevées après que j'ai vu son casting et le nombre de sociétés engagées dans le projet.

Basiquement, c'est une sorte de Batman (Nolanien). Mais en mieux. Car la série se différencie du reste du MCU (et des histoires de super-héros en général) par ses personnages aux vies pour le moins banales. Pas de play-boy milliardaire, pas de savant fou ou de super-soldat. Juste des gens qui galèrent à payer leurs factures et autres soucis quotidiens (rassurez-vous on est pas non-plus au niveau du chat coincé dans l'arbre ou dans la débilité vulgaire de Kick-Ass).

Daredevil prend exclusivement place dans un quartier de New-York, Hell's Kitchen, rongé par la corruption et les trafics en tous genres. Russes, Chinois, Japonais, Mexicains, toutes les minorités y passent à grands coups de sous-titres. Police, médias, politiciens, hommes d'affaires, les classes professionnelles d'un thriller réussi sont elles aussi omniprésentes.

On est donc à une échelle bien plus locale, bien plus proche, et donc humaine. Le héros ne fait pas le tour du monde, il n'a pas de jet ou de voiture de course, il n'a pas d'agence gouvernementale clandestine à la pointe de la technologie pour lui filer un coup de main. La série n'évolue que dans ce "petit" bout de Manhattan qu'est Hell's Kitchen.

C'est juste l'histoire d'un type qui en perdant la vue a acquis des sens exceptionnels et qui se sert de ce don pour décrasser la vie quotidienne. Tel Lee Sin, il s'en va taper du méchant avec classe. Et c'est génial.

La série est hyper-sombre, réaliste, sophistiquée, complexe, violente (parfois trop, peut-être). Elle est aussi extrêmement intimiste. Dans tous ces domaines, Marvel n'était jamais allé aussi loin, et les divers films et séries adaptés de comics sont peu à ne pas souffrir la comparaison. Bien-sûr, Marvel avait déjà glissé quelques touches d'humanité dans son récit, par exemple

l'apothéose ayant été atteinte (par rapport à leurs standards, avant Daredevil) dans le deuxième Captain America, malgré un coté cheesy Républicain réactionnaire sur le fond, dans certains détails. Mais là, c'est quand même autre chose.

Bon, Daredevil a quand même quelques défauts niveau clichés, du genre "héros qui veut pas tuer", "j'ai peur de ressembler à mon ennemi" etc... Mais rien d'insoutenable.

Au passage, les deux autres séries Marvel (Agents of S.H.I.E.L.D. et la mini-série Agent Carter) sont beaucoup moins intelligentes, subtiles et travaillées, bien que divertissantes et sympathiques. La qualité de réalisation de Daredevil elle aussi est loin au-dessus (c'est pas trop tôt, avec les moyens de Marvel ça pourrait même être encore mieux ; enfin, espérons qu'ils se décident à appliquer ce niveau esthétique à leurs autres productions télévisuelles).

Sur la forme Daredevil est donc très bien (pas de super-pouvoirs ou de haute-technologie futuriste donc pas de gourmandise en effets spéciaux), et j'ajouterai que le soundtrack est une tuerie. Les génériques que j'ai du mal à passer sont rares, d'ailleurs.

Pour revenir aux liens avec le MCU, que les non-initiés ne s'inquiètent pas : autant pour voir Agents of Shield il valait mieux avoir vu au moins Avengers, et pour Agent Carter le premier Captain America, autant là on a à peine quelques indices pour nous rappeler qu'on est dans le même univers. J'en ai compté quatre, qui à chaque fois m'ont fait un très drôle d'effet. Parce-que oui, se dire que cette série, CETTE série quoi, se passe dans un univers avec un canard qui parle et un gros monstre vert colérique, c'est juste complètement wtf. Déjà le choc entre Winter Soldier et Les Gardiens de la Galaxie avait été rude mais là...

Entre les histories de junkies, de meurtres, de viols, de chantage, de drames familiaux, le tout sous une pluie et une grisaille quasi-constantes... Et les aspects même les plus sombres du reste du MCU... Y'a un contraste assez énorme hein ! Et pas tant au niveau des événements que de la façon dont les personnages y réagissent. Tout est tellement plus sérieux ici. C'en est presque incohérent. On est loin de

par exemple. Peut-être cette évolution, ce voile levé sur le réalisme de cet univers montre la folie et le déséquilibre de ses personnages emblématiques ; en rendant cet univers plus sérieux, la légèreté de celui-ci devient malvenue, dérangeante, déstabilisante.

Ça aurait limite été mieux de séparer cette série du MCU vu l'inutilité et le côté malsain de la démarche. D'un autre coté, j'ai envie de dire que c'est ça qu'est bon. Et puis, il faut jouer le jeu.

Cette série a donc vraiment son identité propre, que ce soit par rapport au MCU ou aux séries en général. Y'a eu un vrai travail et une vraie créativité, sur le fond et la forme. De plus, c'est une série qui bien que réservée à un public plutôt adulte ne tombe pas dans les travers inhérents à ce genre (gratuité, scènes de cul, nichons, langage de charretier, etc), sauf peut-être au niveau de la violence et de l’hémoglobine. Et des bouts de cervelle (eurk). Et encore.

Reste quelques questions en suspens dont les réponses viendront sans doute dans les futures mini-séries Marvel/Netflix...

Bref, Daredevil est une super mini-série, un gros film divisé en 13, et même l'un des meilleurs moments que j'aie jamais passé devant une série.

Ça va sans doute me faire bizarre de voir l'Ère d'Ultron après ça, mais au moins ma conciliation avec un univers que je méprisais il y a encore un peu plus d'un an est maintenant à peu près totale.

P.S. : Ah oui au fait, j'ai regardé en VF. Ils ont pris le doubleur de RDJ pour doubler Charlie Cox. Je veux bien comprendre qu'ils soient en manque d'effectif vu le nombre de persos que compte le MCU mais là c'est juste l'un des doubleurs les plus reconnaissables du pays donc c'est une grosse connerie de la part de la boite de trad, même si dans l'ensemble la VF est de qualité.

Edit saison 3 : Le moins que l'on puisse dire, c'est que ce projet d'univers partagé est parti en cacahuète dès après la saison 1 de Daredevil (voir ma critique de The Defenders).
Cette saison 3 ne peut s'apprécier qu'après avoir regardé The Defenders, qu'on ne peut comprendre qu'en ayant visionné les deux premières saisons de Daredevil et la première saison d'Iron Fist.
La série reste en haut du panier en terme de mise en scène. Mais les petits défauts des débuts sont devenus une marque de fabrique : le traitement du thème de la corruption est ridicule (les pourris sont partout et ne se contentent pas de piquer dans la caisse mais commettent des meurtres de sang froid à la pelle), la violence débridée est omniprésente, et bizarrement ne touche que peu le trio principal alors que tout autre personnage est une victime potentielle qu'on expédie sans aucun égard (ici le personnage de Julie).
Le happy-end final m'a refilé la nausée : les trois héros rigolant dans une ambiance bon-enfant/soap-opéra après toutes les horreurs qu'ils ont vécu, et qui pourtant ne semblent pas toucher grand monde. Les victimes ne sont ainsi que des moyens et/ou des dommages collatéraux tout au long de la saison, et sont bien vite oubliées.
Le méchant s'en sort encore car "tuer c'est mal", alors que les héros savent qu'il pourra recommencer a utiliser sa capacité cheattée à corrompre toutes les hautes strates de la société jusqu'à la moelle (et ça il faut vraiment arrêter parce-que c'est n'importe quoi niveau crédibilité scénaristique).