Saison 1 :
"Sur Ecoute" commence par décontenancer - décevoir ? - le téléspectateur habitué depuis 5 ans au moins à des séries spectaculaires et addictives : trop de personnages difficilement différentiables, une intrigue classique qui démarre un peu poussivement, une absence de coups de théâtre et de "cliffhangers" vertigineux,... On a du mal à retrouver le plaisir des "Sopranos" ou de "24". Et puis, insensiblement, la sobriété formelle de la mise en scène refusant tout effet (pas de musique en particulier, dieu merci !), la complexité des personnages dont on est vite incapable de dire s'ils sont bons ou mauvais, et qu'on finit tous par aimer (même les affreux trafiquants de drogue !!) - parce qu'on ne saisit que trop bien leur humanité, sans tomber dans la facilité de l'identification -, le réalisme de la narration (on est très proche de l'univers des polars du grand Pellecanos, qui scénarise d'ailleurs un épisode-clé) transforment "Sur Ecoute" en l'une des expériences les plus obsédantes et les plus satisfaisantes de l'année.
Saison 2 :
Contre toute attente, la seconde saison de "Sur Ecoute" arrive à répéter la sidérante sensation de réalisme et de profonde humanité de la première, tout en renouvelant quasi complètement son sujet, ses personnages, et même sa narration : si l'on est toujours - et heureusement, car c'est là la grande force de la série - dans la description minutieuse de micro-événements, les scénaristes ont cette fois le culot de sortit quasiment la "star" de la première saison du centre de l'intrigue, à la fois pour insister sur l'aspect "équipe" d'une enquête policière, et surtout, pour peindre un portrait poignant d'un leader syndicaliste corrompu, et de son fils et son neveux, tous trois broyés par les forces qu'ils ont imprudemment mis en œuvre. La conclusion de la saison atteint ainsi une tristesse quasi élégiaque, puisque le (télé)spectateur doit faire à la fois le deuil d'une (autre) enquête à demi avortée, et d'un personnage bouleversant d'humanité. Remarquable, une seconde fois !
Saison 3 :
La troisième saison de "Sur Ecoute", sans doute moins littéralement "emballante" que les deux premières, est pourtant celle qui radicalise le plus magnifiquement les principes même de cette série pas comme les autres : ultra réalisme de la description de la vie quotidienne des dealers blacks comme des flics, eux aussi blacks (on est à Baltimore, et les blancs n'occupent plus que les strapontins...), refus serein de porter le moindre jugement moral sur le comportement des personnages, choix de la légèreté dans le filmage comme dans la narration, en sacrifiant les trucs scénaristiques et les tics habituels de la série TV (suspense, cliff hanggers, etc.). Comme, en outre, le sujet de cette saison est l'ultra-politisation du conflit, entre forces de police coincées par les statistiques, et dealers choisissant un avenir de business men reconnus mais confrontés à un autre type de violence que le leur, "Sur Ecoute" choisit de nous impressionner par son intelligence plutôt que nous séduire. C'est sa force.
Saison 4 :
La quatrième saison de "Sur Ecoute", consacrée aux enfants et à la manière dont le système éducatif et les modèles sociaux (famille, amis, "collègues" de la rue) donnera - de manière indifférenciée - à l'un sa chance tandis que l'autre sera broyé, est la plus belle à date d'une série qui est maintenant considérée par beaucoup comme l'une des plus ambitieuses de la télévision moderne : oui, cette saison est encore meilleure que les précédentes, tant elle est pleine d'une émotion et d'une révolte amère à laquelle nul - s'il a un cœur - ne saura échapper. La laideur de la société, chez David Simon, ne crée (presque) jamais la laideur humaine, et cette noblesse de l'existence au plus profond de l'enfer urbain (drogues, meurtres, corruption, rien ne nous est épargné) conjuguée à la finesse des émotions ressenties font l'extrême beauté de cette série, à ranger d'ailleurs plutôt au côté des meilleures œuvres du cinéma adulte.
Saison 5 :
"The Wire" pourrait bien s'avérer, avec un peu de perspective historique sur notre époque, comme LE chef d’œuvre de la "série TV moderne", et sa dernière saison l'acmé absolu. En inventant une fiction plus complexe qu'à l'habitude (une mystification qui commence comme un jeu et finit par se retourner de manière particulièrement destructrice contre ses auteurs), David Simon n'a rien perdu de la force hyperréaliste de la grande fresque sur la vie policière et politique de Baltimore : au contraire, en allant jusqu'au bout de la logique de ses personnages englués dans un écheveau étourdissant de mensonges et de jeux politiques - et les pires ne sont bien sûr pas les trafiquants de drogue (il faut voir la minuscule mais aveuglante lumière que sa dernière scène jette sur le personnage le plus antipathique de la série) - Simon et ses scénaristes concluent en beauté une chronique tout-à-fait suffocante de l'impuissance "moderne". Certains, comme dans la vie, s'en tirent mieux que d'autres, sans qu'il n'y ait là-derrière ni justice, ni morale, ni même la moindre logique qui puisse rasséréner le spectateur. Le final de "The Wire" atteint une ampleur, une perfection qui laisse loin derrière la majorité du cinéma actuel, sans pour autant perdre un gramme de sa bouleversante humanité, ni non plus sacrifier aux sirènes de "la forme", du "grand" art : modeste et sobre jusqu'au bout, "The Wire" est l'une des plus brillantes réussites artistique des dernières décennies.