Savez-vous que si vous conservez votre urine (à l'air libre dans un récipient) pendant trois semaines elle se transforme en ammoniaque et qu'ainsi vous avez à disposition un détergent puissant ? Savez-vous comment faire des bougies avec du suif (graisse animale) et des herbes hautes ramassées dans les prés ? Savez-vous comment transformer du bois en charbon ? Savez-vous comment les femmes fabriquaient leurs protections hygiéniques en ces temps où les industriels n'offraient pas encore la facilité des produits jetables ?
Probablement que les réponses à ces questions ne changeront pas nos vies de citoyens occidentaux du 21ème siècle. Mais si vous êtes comme moi, d'un naturel curieux, obsédé par l'accumulation des connaissances utiles et futiles, ces "Tales from the Green Valley" (produit en 2005) pourraient venir égayer vos écrans d'un souffle de culture.
Aux côtés de 2 archéologues et de 2 historiens volontaires, vous plongerez dans une "télé-réalité" qui, loin d'être voyeuriste comme trop de ses homologues, sait être instructive à chaque épisode, légère et drôle par moment tout en restant historiquement très documentée. Vous vous prendrez rapidement au jeu : La jeune brebis mettra-t-elle bas sans encombre ? L'oie survivra-t-elle aux morsures du renard ? Les latrines seront-elles construites avant que l'hiver ne s'abatte sur nos protagonistes ? Réussiront-ils à rentrer les fourrages avant que les pluies d'été ne détrempent la moisson ?
Mis en scène et réalisé (Par Peter Sommer) dans une sobriété et un dépouillement tout à fait en accord avec le sujet, les 12 épisodes (1 pour chaque mois de l'année) qui restituent la vie dans cette "Verte vallée, une ferme en 1620" (son titre dans sa version française), sont truffés de connaissances pratiques et historiques sur la vie paysanne du 17e siècle dans le Pays de Galles. La série, présentée volontairement sous les traits d'une "télé-réalité", propose de suivre le quotidien des quatre spécialistes qui vont vivre dans les mêmes conditions et avec les mêmes moyens dont disposaient les fermiers de l'époque (nourritures, outils, vêtements, habitations, etc) en se basant sur les manuels d'agriculture (des auteurs Gervase Markham et Thomas Tusser) et d'intendance domestique qui faisaient référence à cette époque.
Vous découvrirez, sans fards, presque tous les aspects pragmatiques d'un quotidien post-médiéval souvent idéalisé : agriculture, culture potagère, cueillette, entretien et construction des habitations, arts de la table, confection et entretien des vêtements, élevage, soin du corps, santé, pratiques culturelles, relation sociale, rôle de la femme, quotidien des hommes, importance des cultes religieux ou païens, etc.
Seule bémol : l'habillage musical (de David Poore) se cantonne tout du long de la série à un seule et même thème (une ritournelle à la flûte pleine d'entrain, si ma mémoire est bonne). L'effet secondaire indésirable : une sensation de nausée ou un léger mal de crâne peuvent apparaître dès le 3e épisode. Hormis cette réserve (dénotant plus surement le manque de budget que le manque d'inspiration de la part de l'équipe de production) suivre ces 4 professionnels volontaires qui vont vivre en immersion, pendant une année, dans les mêmes conditions qu'en 1620 est un vrai plaisir instructif et ludique qui sait donner vie à nos livres d'histoires.
Cependant, petit avertissement aux végans, végétariens et aux personnes sensibles en général : ne vous attachez pas trop promptement aux porcelets "trop mignons" et aux oies "trop rigolotes" qui peuplent la ferme. Ils seront tout bonnement vendus (pour les plus chanceux) ou transformés en saucisse, en palette fumée ou en cassolette (pour les plus gras). La scène d'abattage vous étant épargnée, il vous faudra cependant courageusement assister au découpage de la tête du sus-dit cochon, au conditionnement de ses entrailles et de ses pattes, jusqu'aux plumes de l'oie qui deviendront plumeaux et plumes d'écriture.
Le programme ayant connu un certain succès après sa sortie, le producteur (la BBC) décida, trois ans plus tard, de réitérer l'aventure avec à peu près la même équipe, mais toujours la même exigence historique :
Les ayant toutes visionné à ce jour, l'avis que je publie aujourd'hui pour ce premier opus vaut pour les 7 autres séries (même si les professionnels ou le format varient quelque peu). Elles sont toutes d'une qualité quasi équivalente à cette première série (mais une petite déception pour certains épisodes de La ferme Victorienne). Avec un coup de coeur particulier pour cette 1ère plongée dans le 17e sicèle "Tales Frome the Green Valley", "La Ferme Edouardienne" et enfin "La Pharmacie Victorienne".
De prime abord on pourrait penser que ce type de programmes s'adresse aux intello-bobo, anciens premiers de la classe, adeptes de la décroissance et qu'il risque de distiller un ennui tout à fait soporifique pour le spectateur lambda. Détrompez-vous : la passion de ses 4 professionnels, l'esthétique plus rustique qu'aseptisée de ses images, sa sobriété de ton et son axe historique comme moteur central tiennent ensemble un équilibre parfait entre documentaire, reconstitution historique et télé-réalité de qualité (eh oui, c'est possible ;). On ne s'ennuie pas une seule seconde !
Pour conclure, supposons raisonnablement "qu'imaginer et construire le futur" est la mission du genre humain condamné à avancer coûte que coûte sur l'abscisse désordonnée du temps qui lui est dévolu, il parait naturel que tous les représentants de l'espèce possèdent à égalité les connaissances nécessaires à leur survie. Mais nous savons, trop bien, qu'aujourd'hui nous avons accepté de déléguer ces trésors de "savoirs" et de "savoir-faire" à des multinationales, qui non contentes d'avoir parcellarisé les connaissances, ont fini par les emprisonner dans des brevets dématérialisés.
Réappropriez-vous l'histoire du monde, de ses "savoirs" et ses "savoir-faire" ancestraux : plongez avec délice et curiosité dans les 12 épisodes de ces contes pas comme les autres. Il n'est pas exclus, que si demain une apocalypse accidentelle n'ait rendu l'humanité orpheline de la tutelle des industries de masse, le fait d'avoir accumulé ces connaissances (utiles ou futiles) vous soient (on ne sait jamais) d'une quelconque utilité... ou presque !