Tout le monde sait bien sûr que la BD séminale d’Alan Moore (et Dave Gibbons au dessin...), l'un des piliers incontournables du genre, avait déjà été adaptée il y a 10 ans au cinéma par le très discutable Zach Snyder, avec un succès pour le moins relatif, tant la complexité morale et politique de l'oeuvre originale était peu compatible avec une approche fondamentalement simplificatrice de blockbuster à gros budget. On pouvait également craindre le pire, malgré la signature de la maison HBO derrière la série "Watchmen" : confier cette « sequel » à un as de l'enfumage spirituel et des scénarios inextricables comme Damon Lindelof ("Lost" et "The Leftovers") nous donnait littéralement des sueurs froides ! Et voilà que nous nous retrouvons devant une très bonne série, voire une série occasionnellement brillante (nous pensons en particulier à l'épisode 6, "An Extraordinary Being", réflexion sur la violence raciste au sein des forces de l'ordre américaines !), et remplie de thèmes pertinents, allant bien au-delà de la Science-Fiction largement délirante qui constitue quand même le fond de commerce de "Watchmen". Mieux encore, la série arrive même à ne pas (trop) trahir son créateur (même si Moore a refusé que son nom apparaisse au générique !), à ne pas trop simplifier les questions politiques - et existentielles - de l'oeuvre originale, tout en l'actualisant en intégrant des préoccupations typiques de 2019...
Nous sommes donc à nouveau dans le monde uchronique créé par Moore, mais plusieurs décennies après les événements de la BD originale. Le Vietnam, suite à la guerre contre le viêt-cong remportée par les USA, est devenu un état américain, mais la série se concentre principalement sur les conséquences de la véritable guerre raciale qui a ravagé les USA, et dont les conséquences ont transformé fondamentalement la société américaine, et en particulier sa police et sa justice. En parallèle - et bien sûr les deux intrigues vont se rejoindre - le doute plane sur ce qui est arrivé à Dr. Manhattan, soi-disant exilé sur Mars, et surtout à Adrian Veidt, joliment interprété par un Jeremy Irons, qui semble s'amuser ici plus quand dans ses dix film précédents...
On admettra aisément que les 300 morts afro-américains, bien réels, du massacre de Greenwood (Tulsa), commodément oubliés dans l'histoire américaine, méritent sans doute mieux que d'être le sujet d'une série de Science-Fiction, ce qui peut permettre à des téléspectateurs mal informés de penser que cette horreur fait partie justement de l'aspect "uchronique" du scénario. Néanmoins, "Watchmen" s'avère sincèrement lucide - et donc violent - vis à vis des tentations racistes et fascistes (telles que malheureusement illustrées par le Gouvernement Trump...) de la société américaine, au point d'en faire le vrai sujet de cette saison. Et de séduire les plus sceptiques d'entre nous.
Quant à la partie la plus fantastique, voire délirante, de la série, elle oscille entre le meilleur - comme les délicieuses scènes du monde-prison où est confiné Veidt et de ses tentatives d'évasion - et le pire : le dernier épisode est malheureusement particulièrement raté, sacrifiant aux trop habituels stéréotypes du savant fou et de la destruction générale, ici pas trop crédible d'ailleurs, et simplifiant les conséquences de tout ce que nous avons vu avant au bénéfice d'une conclusion émotionnelle un peu lénifiante.
Cette ultime déception n'est toutefois pas dramatique, tant on a pris plaisir à l'intelligence et à la richesse de (presque) tout ce qui a précédé... Sans même mentionner notre surprise devant un scénario plutôt efficace et bien bouclé, loin des défauts habituels du travail de Lindelof.
Et si "Watchmen" avait été l'une des plus grosses (bonnes) surprises de 2019 ?
[Critique écrite en 2020]
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