C'était au temps d'une MTV ambitieuse, avant la télé-réalité, avant d'enlever "music television" de son logo...
Créée par Peter Chung, connu à l'époque pour les Rugrats, Phantom 2040 pour ceux qui connaissent, ou le découpage du générique d'intro des Tortues Ninja, et aujourd'hui pour Les Chroniques de Riddick : Dark Fury ou le segment Matriculated de The Animatrix, Æon Flux (prononcer "i-onn fleuks") met en scène une assassine/espionne/acrobate indépendante aux cheveux noirs et à la coiffure plongeante se terminant par deux boucles improbables, perpétuellement en petite tenue de cuir d'inspiration bondage, une sorte de Catwoman à la fois filiforme et aux courbes généreuses, avec un fétichisme prononcé des pieds, le tout dans un univers dystopique/cyberpunk/urbain où la violence et l'opportunisme (et le cuir) règnent en maître. Et donc, pour la petite histoire...
Cherchant à séduire les jeunes adultes avec des programmes différents que juste des clips, MTV lance en 1991 Liquid Television, un programme tardif constitué d'un mélange absurde et décousu de courts métrages expérimentaux, en animation ou prise de vue réelle. Parmi ces courtes séquences, plusieurs choses sortant du lot finiront par devenir des séries à part entière : il y a bien sûr le trash et sale Beavis and Butt-Head, et surtout le cyberpunk Æon Flux. Liquid Television dure jusque 1994, puis Cartoon Sushi lui succède spirituellement de 1997 à 1998 (après avoir diffusé Dirdy Birdy, pour moi un court méga culte dont je ne me lasserai jamais).
Le premier épisode de Æon Flux est donc un court-métrage Liquid Television de 12 minutes au total diffusé en 1991, segmenté en séquences de 2 minutes par épisode de Liquid Television, et qui constitue à lui seul la première saison. Dans cette séquence, on suit Æon à la recherche d'une cible particulière, la scène phare ultra-violente étant notre acrobate dérouillant des centaines de minions jusqu'à laisser des monceaux de cadavres derrière elle, le tout sans dialogues, et qui introduit cette séquence troublante d'une mouche se posant sur l'œil d'Æon et qu'elle enferme avec ses cils, tels les barreaux d'une prison. Le court est segmenté en séquences de 2 minutes par épisode pour que le spectateur voie aussi le combat du point de vue des minions, montrant que notre héroïne n'est pas si héroïque que ça finalement, que tout dépend du point de vue. C'est une idée à laquelle Chung tiendra tout le long de la série : les choses ne sont pas soit blanc soit noires, les camps ne sont pas toujours clairement définis, on se retrouve souvent dans le gris. Ce qui est intéressant c'est que Æon meurt à la fin du court, et ça ne fait que commencer.
En 1992, Chung remet le couvert avec une deuxième saison toujours via Liquid Television et toujours sans dialogues, avec cette fois avec des segments de 2 minutes indépendants les uns des autres. Æon meurt à nouveau, cette fois à la fin de chaque séquence, et souvent de manière un peu stupide, ce qui contraste toujours avec sa classe et sa précision acrobatique. C'est fait exprès, car Chung à l'époque ne comptait pas aller plus loin.
Mais il a ensuite l'opportunité de continuer Æon Flux indépendamment de Liquid Television, et en 1995 MTV diffuse une troisième saison de 10 épisodes au format 20 minutes. Une moitié est réalisée par Chung, l'autre par un certain Howard E. Baker.
Avec cette troisième saison, Chung cesse de faire mourir son héroïne à chaque fois, mais une continuité solide n'est toujours pas à l'ordre du jour. L'univers est tout de même expliqué, maintenant qu'il y a des dialogues. Dans ce futur dystopique, les villes/états de Bregna et Monica sont voisines mais isolées. Bregna est un état policier constitué d'Aryens et dirigé par Trevor Goodchild, deuxième personnage principal de la série après Æon, un jour ennemi éternel et amant de notre héroïne. Monica quant à lui est un état anarchiste, peuplé d'habitants au look similaire à celui d'Æon. Bregna est semble-t-il dirigé par des scientifiques, et Goodchild passe son temps à expérimenter toutes sortes de choses pas très catholiques au fil des épisodes. Lui et Æon, parmi plein d'autres personnages et thèmes, sont hyper sexualisés, l'érotisme et dans une moindre mesure les tendances sado/maso ayant une place importante dans la série. Si les filles filiformes, aux yeux bleus et aux cheveux noirs constituent plus ou moins l'opposé du type de fille qui me plaît, et si l'esthétique bondage/cuir et la podophilie ne m'intéressent pas, je dois avouer qu'Æon a un charme fou et est très sexy, ce qui évidemment est un attrait majeur de la série. Mais c'est une femme forte et qui a souvent le dessus, ôtant du coup tout sexisme au personnage. Elle est belle et ce n'est pas une cruche, la réussite d'un personnage féminin selon moi.
La continuité n'est donc pas la philosophie de la série. Chung, frustré par les impératifs imposés durant son travail sur les Rugrats, mettant principalement en scène des bébés aussi affreux que maladroits, souhaite se faire plaisir et faire ce qu'il veut sans contraintes, ce que Liquid Television lui permet. Il peut enfin mettre en scène une héroïne extrêmement agile à l'opposé des Rugrats, et surtout démolir complètement les codes narratifs traditionnels avec l'aide de sa poignée de scénaristes aussi tordus que lui, en changeant par exemple la notion de bien et mal comme je l'évoque plus haut, cette notion toujours omniprésente dans les dessins animés classiques, et en racontant ses histoires de manière non-conventionnelle. On a alors des épisodes aux conséquences supposées fortes pour la suite mais dont on ne se préoccupe pas dans l'épisode suivant, des cliffhangers non résolus, avec toujours cette impression de prendre l'histoire en cours de route. Æon ne meurt pas dans chaque épisode comme au début de la série, mais c'est parfois assez limite (une partie de ces problèmes peut être résolue grâce à un épisode sur le clonage, amenant la théorie suggérant que Æon meurt régulièrement pour être remplacée chaque fois par un clone).
La discontinuité des épisodes pourrait faire penser à une série d'animation classique comme par exemple Les Simpson ou Scooby-Doo, c'est-à-dire avec une histoire précise par épisode et qui est toujours résolue à la fin pour que la série puisse durer indéfiniment sur les mêmes base, mais non, Chung démolit ce concept en ne résolvant pas tout et en faisant table rase de toutes ces questions sans réponse dans l'épisode suivant, ce qui est assez déroutant. La série propose aussi une réalisation et des séquences de combat très stylisés assez inédits à l'époque dans l'animation autant occidentale qu'orientale, et plein de philosophie, parfois même un peu trop, même si des sujets intéressants sont abordés, comme par exemple la culpabilité, les choix cornéliens, la vérité, la justice, que l'amour n'est pas la réponse, mais le problème !...
C'est cette narration qui pourrait rebuter celui qui voudrait découvrir Æon Flux, ce qui serait la première chose que je pourrais reprocher à la série. Connaître les intentions des créateurs aide à mieux apprécier la série et se concentrer sur un épisode à la fois sans faire attention à cette continuité inexistante. Sans ça, on peut avoir l'impression de regarder un show prétentieux et mal écrit qui ne sait pas où il va. Ce qui n'est pas totalement faux, car je me suis parfois tout de même dit, même en connaissance de cause, que ce n'était pas toujours très bien écrit. Mais c'est une série non-conventionnelle à dessein, donc même si c'est un peu dommage de l'avoir peut-être rendue moins accessible au grand public, c'est juste fait exprès.
L'autre point un peu négatif, c'est l'inégalité de la qualité des dessins, et il faut avouer que le style a un peu vieilli. Pour ma part ça ne m'a pas dérangé, car c'est là que réside tout son charme. D'une manière générale, les animations ne sont pas toujours au top, car c'est avant tout une série animée télé de la première moitié des années 90, avec le budget et le temps imparti de l'époque... Dans l'ensemble les épisodes réalisés par Chung s'en sortent bien et proposent des plans super ambitieux, déformés, et un montage efficace et des personnages anguleux et filiformes, et je les trouve même plus jolis dans les deux premières saisons. Les épisodes de Baker faits pour la troisième saison proposent un dessin au trait beaucoup plus rond, et aussi moins intéressant au niveau de la réalisation. Qui n'a pas à rougir des autres épisodes, mais c'est juste qu'il manque un petit quelque chose de tordu dans l'image que seul Chung arrive à faire.
Venons-en alors au travail effectué sur le son et la musique. Ayant la chance d'avoir le coffret DVD sorti en 2005 (commencé et jamais terminé il y a longtemps et revu en entier récemment), j'ai pu profiter du 5.1 assez immersif, même si une partie est en simple 2.0. Dans tous les cas, une installation convenable est une grande valeur ajoutée, permettant de profiter à fond des subtilités sonores grâce à la remasterisation supervisée par Chung lui-même. L'univers sonore d'Æon Flux est rempli de tintements aigus, que ça vienne des coups de feu des armes, d'objets tombant par terre, de pilules, du bruit des pas, de portes, du cuir de la tenue d'Æon qui grince (so hot), etc. A l'écran beaucoup de choses sont fines et filiforme et précises, et le travail sonore accentue grandement cette vision. La musique de Drew Neumann quant à elle est so 90s et assez hypnotisante. Elle reflète bien sûr les moyens liés à l'époque et au format, c'est donc de la musique électronique sur du matos de qualité moyenne, et à nouveau c'est ce qui fait tout son charme ; elle a des sonorités vraiment uniques qui reflètent vraiment bien l'univers de la série. Au niveau des voix, rien de spécial. Tout en étant assez classiques, elles vont à merveille aux personnages. Je n'ai évidemment pas testé la V.F., ça ne m'intéresse pas.
Pour revenir au coffret 3 DVDs, l'ordre des épisodes est un peu étrange. Les deux premiers DVDs sont consacrés à la troisième saison : le premier DVD contient les épisodes réalisés par Chung, le second ceux réalisés par Baker, ce qui ne respecte pas l'ordre d'origine de diffusion, mais ça a été fait exprès pour donner un semblant de continuité, visuelle en tout cas. Mais ça n'a pas vraiment d'importance, d'où cette fameuse absence de solide continuité (je n'ai trouvé qu'un seul épisode faisant référence à des personnages passés autres que Trevor), mais pour ma part j'ai préféré respecter l'ordre de diffusion, quitte à changer de DVDs entre les épisodes. Le dernier DVD quant à lui contient les deux premières saisons, qui bout à bout font bien sûr la même durée qu'un épisode de la saison 3, ainsi qu'un documentaire sur la genèse du projet et remasterisation du DVD, et une sélection de courts de Liquid Television, bien barrés il faut le dire, ainsi que d'autres goodies mineurs. Au sujet de la remasterisation, Cheung a malheureusement fait son George Lucas et a amélioré certains effets spéciaux et a modifié quelque dialogues dont il n'était pas satisfait à l'époque. Ils sont mineurs et pas dérangeants, mais pour les puristes ça peut gêner. Une sortie Blu-ray était annoncée en 2009, mais elle a été reportée à une date indéterminée... La sortie du coffret a évidemment été synchronisée sur la sortie du film, que je dois toujours voir, même si je sais qu'il est sûrement infâme et trahit complètement la série. Et aussi sublime que Charlize Theron puisse être, visuellement elle ne correspond vraiment pas. Je ne sais pas si Æon fera son retour un jour, via une quatrième saison prévue à l'origine ou un film mieux adapté, mais est-ce vraiment nécessaire ? Æon est un produit des 90s, et elle y est bien.
Je pense avoir dit tout ce que je voulais dire ! La série n'ayant que deux critiques sur SC, il fallait que je mette mon grain de sel pour encourager la communauté à découvrir cette série trop méconnue eu Europe... Pour ma part j'avais vu des bribes sur MTV à l'époque, et son visuel m'était resté en tête, et ça fait plaisir de pouvoir voir la totalité dans de bonnes conditions, et surtout avec un regard d'adulte qui a vu un paquet d'autres trucs en 20 ans.
Blink once, you're dead. Blink twice, you're buried. Understand?