American Gods
7
American Gods

Série Starz (2017)

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God Bless America ! (Et Ian McShane) [Critique de "American Gods" saison par saison]

Saison 1 :
Le livre de Neil Gaiman ne bénéficie pas en France de la renommée dont il est auréolé aux USA et en Grande-Bretagne, ce qui permettra à la plupart d’entre nous d’aborder sans préjugés la première saison de "American Gods", son adaptation en série, une production de la maison Amazon qui fait, pour une fois, un certain bruit.


Il est clair dès le pilot, assez insupportable de formalisme, et peu réfléchi de surplus, qu’Amazon a sérieusement investi dans son dernier produit : nous sommes ici dans le haut de gamme – budgétaire – visant à concurrencer la crème de chez HBO. Malheureusement, si l’on retrouve ici le fantastique à la mode actuelle, et si l’on peut s’amuser, comme la critique américaine à trouver une certaine pertinence dans cette allégorie reliant la disparition des fois originelles à la montée des « religions modernes » (la technologie, les réseaux sociaux, la célébrité), il faut rapidement déchanter devant les défauts rédhibitoires de la création de Michael Green et Bryan Fuller : beaucoup d'images choc à la bêtise criante, aucune vision consistante (la tare de la majorité des séries TV, sans véritable "auteur" aux commandes - à quelques exceptions près, les chefs d'œuvre que tout le monde connaît...), un scénario qui part dans tous les sens, une mythologie tout ce qu'il y a de confuse, une musique insupportable qui noie tout en permanence.


Mais voilà, il y a Ian McShane, qui nous a manqué depuis "Deadwood" et qui cristallise dans son jeu excessif toute la fiction qui fait défaut partout ailleurs. Lui donne envie de continuer. Huit épisodes plus tard, la saison 1 se termine : on s'est régulièrement ennuyés en cours de route, mais il y a eu quelques moments WTF - comme on dit de nos jours - qui ont fini par générer un petit quelque chose de l'ordre de la fascination : du genre, "mais jusqu'où vont-ils aller ?"… Des scènes gore, des détails déplaisants ou même franchement insupportables, du sexe visiblement construit pour provoquer - comme cette scène de sexe homosexuel entre arabes, forcément polémique... des gamineries en fait.


Le thème de "American Gods" - les anciens Dieux du Vieux Mondes auxquels plus personne ne croit, et donc à travers eux la question de l’évolution de la culture américaine - finit par émerger au cinquième épisode, mais on ne peut pas dire que les scénaristes soient pressés de le traiter... ce qui est d'ailleurs dommage car il n'est pas sans intérêt. Bref la série, en forme de road movie dévasté, a fait du sur-place pendant 8 heures. Mais ce cabotin d'Ian McShane est resté impeccable, dépassant même ce vieux Nicholson en matière d'histrionisme. Pour lui, on regardera la seconde saison.
[Critique écrite en 2017]
Retrouvez cette critique sur Benzine : https://www.benzinemag.net/2018/01/14/american-gods-saison-1-dieux-auxquels-plus-personne-ne-croit/


Saison 2 :
On sait que "American Gods", lancée par Amazon Prime pour devenir son vaisseau amiral et ayant échoué à créer le buzz et à rejoindre le peloton de tête des grandes séries dont on parle, est en crise profonde. Départ des showrunners, de scénaristes et même d'acteurs, incertitude visible quant à la direction à donner à la série et donc à positionner cette seconde saison dans une trajectoire narrative (et ce malgré la participation de Neil Gaiman, l'auteur du roman, à l'opération...!), cette grosse pagaille est clairement lisible dans le résultat : finalement, cette seconde saison ne nous propose aucune évolution notable de l'histoire, ce qui est quand même un comble avec 8 épisodes d'une heure. Un peu comme si le fameux "Winter is Coming" de "Game of Thrones" devenait un "War Is Coming", une guerre qui semble bien ne devoir jamais arriver !


Autre problème de taille, cette insistance à produire de la belle image (enfin quand la CGI n'est pas trop défaillante...) sans se soucier le moins du monde de son sens. Pour une publicité, c'est très bien, pour une œuvre cinématographique (car, même au format TV, il s’agit bien de ça…), c'est beaucoup plus frustrant, voire même irritant. Et cela n’aide pas la crédibilité d'une série qui nous ballade un peu n'importe où à coup de scènes bluffantes mais vides, ou de nouveaux concepts complexes qui s'accumulent tout-à-fait gratuitement sur une intrigue qui de toute manière n'avance quasiment pas...


Ce qui nous amène à la seule manière d'apprécier franchement "American Gods" : ne plus se préoccuper de l’histoire qu'elle tente de raconter - cette fameuse tentative de retour des vieilles divinités qui ont été oubliées du fait de notre addiction au Net, aux médias en général, à la célébrité - pour seulement savourer le plaisir que nous offrent les acteurs, certes cabotinant un maximum, avec une belle générosité. Ne revenons pas cette fois sur le travail épatant de Ian McShane (certains de ses monologues auraient été purement et simplement improvisés du fait de la déficience des scénaristes !), mais soulignons dans cette seconde saison l'impact émotionnel du jeu de Pablo Schreiber, régulièrement flamboyant – et nous ne parlons pas que de la couleur de ses cheveux ! - dans son rôle de leprechaun qui se révèlera un prince celte ayant sombré, emporté sa haine du clergé chrétien colonisant l'Irlande.


Ce talent de bons acteurs (même s'il est évidemment dommage que Ricky Whittle, en charge du personnage central de Shadow Moon, soit quant à lui aussi peu convaincant !) faisant tout leur possible pour tirer vers le haut une série handicapée par ses faiblesses d'écriture, est bel et bien la meilleure raison du monde de continuer d'être fidèle à "American Gods" !
[Critique écrite en 2019]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2019/05/29/american-gods-saison-2-pour-lamour-des-acteurs/


Saison 3 :
On ne peut pas dire, après le chaos dans lequel a vu le jour la seconde saison de "American Gods", et le résultat décevant de toutes les tentatives d’une série qui semble toujours avancer à tâtons dans l’obscurité la plus totale, que l’on attendait encore grand-chose d’une troisième saison. Et on avait sans doute raison, puisque, décidément, rien n’y fait : les scénaristes n’ont pas encore trouvé le moyen de faire progresser l’intrigue, qui a adopté pour de bon (?) le principe de deux pas en avant, un pas en arrière, quand ce n’est pas le contraire… avant de nous offrir une subite accélération dans les derniers épisodes qui s’avère plus frustrante qu’autre chose, avec, et c’est tellement prévisible, une sorte de cliffhanger final pour nous appâter et nous convaincre de suivre une quatrième saison très probable.


La fameuse guerre (qui, comme celle de Troie, n’aura pas lieu !) entre les « anciens dieux » qui ont nourri les mythologies humaines à travers la planète et les siècles, et les « nouveaux dieux » (en gros l’information et la technologie) qui régissent désormais la vie de l’humanité tout entière, est toujours à l’horizon… Chaque épisode de cette nouvelle saison est donc consacré à la valse-hésitation continuelle des personnages (enfin, ceux qui restent après la grande purge effectuée par la production…) qui semblent éternellement faire et défaire leurs relations, et errer sans but particulier sur un territoire américain qui s’apparente à un désert glacé et sans âme, parsemé de motels déprimants qui sont des lieux-clé de l’action.


Ce qui change cette fois, c’est que, globalement, "American Gods" trahit à nouveau, comme à ses débuts, un véritable soin apporté à la mise en scène, au rythme, à l’image, bref à beaucoup d’aspects formels qui l’autorisent à être positionnée par Amazon comme une « série de prestige », aux ambitions élevées. Ce qui signifie, dans la grande majorité des épisodes, on pourra se laisser éblouir par des images folles, des scènes spectaculaires qui permettent finalement de passer un bon moment devant une série dont on n’espère plus désormais qu’elle acquière une quelconque substance.


Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas occasionnellement au moins, quelques moments intéressants : le conflit entre Mr. Wednesday et Tyr autour de leur amour de jeunesse, la déesse Demeter qui ne veut pas quitter son EHPAD, s’avère amusant ; le retour parmi les vivants après un passage express au purgatoire de Laura Moon, qui la voit repartir en guerre contre Mr. Wednesday est un fil conducteur intéressant ; l’installation de Shadow Moon, dont la personnalité semble avoir considérablement changé par rapport aux saisons précédentes, dans le village perdu de Lakeside, et ses interactions avec la population de la ville, alors que des disparitions d’enfants se succèdent, est même la partie la plus intéressante de la saison, jusqu’à une résolution malheureusement un peu facile…


On a par contre du mal à se passionner pour le sort d’un Technical Boy tourmenté par des problèmes de parasites, ce qui confirme que, si les « anciens dieux », avec leurs défauts si humains, peuvent engendrer une certaine empathie, le concept de ces « nouveaux dieux » technologiques ne fonctionne que sur le papier, et le téléspectateur le plus positif ne peut guère que s’en moquer complètement. Enfin, jusqu’à la redistribution des rôles de l’épisode final qui s’avère intrigante…


Nouveau showrunner ou pas, "American Gods", en dépit de sa tentative finale de relever de nouveaux défis scénaristiques, continue donc à dépendre avant tout de ses acteurs qui arrivent encore à nous enchanter ! Dans son « nouveau personnage », plus tranquille, plus terre-à-terre, plus… humain (enfin, jusqu’au dernier épisode qui remet tout ça en question), et désormais chevelu (!), Ricky Whittle nous convainc enfin. Quant à Ian McShane, il n’a cette fois rien de bien nouveau à nous offrir, ce qui fait qu’on devra se consoler avec nombre de seconds rôles savoureux, comme par exemple la tenancière trans du Peacock Motel, dans l’épisode le plus fou – et sans doute le plus simplement merveilleux – de la saison ("The Rapture of Burning"), avec son orgie LGBT, qui évoque le travail des Wachowski, et avec l’acceptation complète de son homosexualité par le musulman pratiquant Salim. N’oublions pas l’excellent Crispin Glover qui nous offre cette fois un Mr. World d’anthologie, à la fois terrifiant et répugnant, et qui place la meilleure réplique de toute la série : “Les gens disent que nous sommes dans l’ère de la technologie… Ils ont tort : ceci est l’ère de la manipulation..!”


Pas mieux !
[Critique écrite en 2021]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2021/03/26/amazon-prime-american-gods-saison-3-lage-de-la-manipulation/

EricDebarnot
6
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le 16 juil. 2017

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Eric BBYoda

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