Au nom du père
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Au nom du père

Série DR1 (2017)

Dieu m'est témoin : j'y croyais, pourtant. Après trois saisons de The Killing et les 9 premiers épisodes d'Au Nom du Père, je croyais fermement que oui, le Danemark était bien la Terre Promise des séries télévisées. Le final de la saison 1 m'a fait douter, et après un début prometteur, la saison 2 m'a bel et bien détourné de ma foi. Bon, certes, pour le bien de cette analogie facile j'en rajoute une couche, je ne vais pas dire automatiquement non aux séries danoises qui m'intéresseront, car je suis sûr qu'il y en aura, mais je ne peux m'empêcher de penser qu'Au Nom du Père avait bien plus à offrir que ce qu'elle nous a donné.


À moins que le problème ne vienne de moi ? C'est le souci avec un sujet aussi complexe et sensible que la religion : on emmène soi-même un certain bagage de convictions et de présupposés, dans un sens ou dans l'autre. Herrens Veje, "Les Voies du Seigneur" dans le texte original, traduit en Au Nom du Père malgré son peu de rapport avec l'excellent film de Daniel Day-Lewis, allait donc forcément mettre au défi son spectateur, lui poser des questions, peut-être dérangeantes voire existentielles, mais cela je le savais en me lançant. Le vrai problème, c'est que ces questions ont fini par être supplantées par les affirmations des scénaristes, ce qui est d'autant plus dommageable que ces prises de parti ne m'ont pas convaincu, loin s'en faut. Mais n'allons pas trop vite.


Autant aller à confesse : c'est moins pour son sujet que pour son interprète principal que je me suis lancé dans Au Nom du Père. J'ai déjà chanté ses louanges dans ma critique de The Killing, aussi me contenterai-je ici de réitérer que Lars Mikkelsen est un de mes acteurs préférés. Le savant mélange d'intensité, de froideur glaciale, de sensibilité et d'humour subtil qu'il confère à chacun de ses rôles ne pouvait que convenir à celui de Johannes Krogh, pasteur charismatique et tyrannique, qui lui tenait semble-t-il tout particulièrement à cœur ; à tel point que Mikkelsen avoue avoir lui-même trouvé la foi en s'investissant dans ce rôle !


S'il n'est pas le premier du nom, Au Nom du Père n'est donc pas pour autant un titre inapproprié pour cette série de 20 épisodes, dominé au propre comme au figuré par la figure paternelle, étouffante aussi bien pour sa femme Elisabeth (Ann Eleonora Jørgensen, la maman de la première saison de The Killing) qu'il trompe, ses paroissiens qu'il mène à la baguette, ses supérieurs qu'il jalouse et surtout ses deux fils, l'aîné Christian (Simon Sears) qu'il méprise pour s'être détourné de ses études de théologie et le cadet August (Morten Hee Andersen) qu'il cherche à tout prix à contrôler. Ce n'est cependant pas le "Mikkelsen One-man-show", car la série prend le temps de suivre chacun des membres de la famille et leur entourage direct, dans leur vie spirituelle, professionnelle et amoureuse.


La trame principale de la saison 1 concerne d'ailleurs surtout August, dont le christianisme "de terrain", pourrait-on dire, se heurte aux conceptions et à l'ambition de son envahissant géniteur, et le pousseront à faire des choix avec lesquels il lui faudra vivre. Parallèlement, son noceur et tricheur de frère traverse lui aussi une crise existentielle qui le conduira à réévaluer sa vie à l'ombre des contreforts himalayens, tandis que leur mère combat le mal par le mal dans les bras d'une violoniste norvégienne. Quant à Johannes lui-même, ses propres démons sont l'alcool, l'héritage de ses ancêtres pasteurs de père en fils, et la sauvegarde de son patrimoine menacé par les temps qui changent. Bref, on rigole bien dans la famille Krogh !


Le spectateur, lui, ne s'ennuie pas, d'autant que comme toujours avec les programmes danois, le jeu des acteurs est à l'avenant, de même que la cinématographie absolument somptueuse, peut-être la meilleure que j'aie jamais vu sur une série télé. Mais surtout, fidèle à sa promesse, Au Nom du Père interroge son public sur la foi, sur la place de la spiritualité dans notre vie, sur les conflits qu'elle engendre et les solutions qu'elle propose, de manière riche et variée, au travers des propres questionnements de personnages dont les expériences et les convictions diffèrent et souvent s'opposent. Le conflit est à la base de toute création car c'est lui qui investit celui qui s'y attarde, mais dans le cas d'Au Nom du Père, il est particulièrement prenant car les doutes des personnages sont ceux que nous avons tous connus à un degré ou à un autre, quelle que soit notre approche de la religion. En ce sens, la série d'Adam Price transcende même son concept.


... du moins, pendant neuf épisodes. Le dernier de la première saison prend une direction inattendue, davantage guidée par le souci de surprendre et embrouiller que par celui d'interroger, comme l'ont fait les précédents. Mais cela n'était rien en comparaison de l'immense déception que constitua pour moi la deuxième et dernière saison, dont je m'explique mal les commentaires dithyrambiques qu'elle a pu susciter ça et là.


Spoiler, mais pas trop : la première saison se termine sur la mort d'un des personnages principaux, dont le deuil constituera le fil conducteur de la deuxième. De façon générale, ce n'est jamais une très bonne idée de bâtir une saison entière sur l'absence d'un personnage disparu, plutôt que sur la présence de ceux qui restent : cela les étouffe, leur empêche d'exister et d'aller de l'avant. Du coup, le récit stagne - il est symptomatique, plus que symbolique, que l'épisode final de la deuxième saison se termine au même endroit que celui de la première...


Un phénomène similaire s'était produit sur la version US de House of Cards (dans laquelle apparaissait aussi Mikkelsen), encore que cela ait été dû à des contraintes extérieures. Le deuil est un point de départ intéressant, mais il ne doit pas paralyser absolument TOUS les personnages pendant dix épisodes - à l'exception possible de Svend (Joen Højerslev), le sacristain et quasi-fils adoptif de Johannes, et probablement le personnage le plus intéressant après ce dernier. Cela fonctionne très bien pendant deux, trois épisodes (l'épisode 2 surtout, dont la mise en scène est digne de Tarkovski, et je pèse mes mots) mais pas au-delà, sous peine de se transformer en soap-opéra répétitif et barbant ! Mais il y a pire.


Plus que le deuil, dont il résulte, le thème central de la saison 2 est le pardon. Cela devient évident avant-même d'arriver à mi-chemin. Soit - ce n'est pas parce qu'il s'agit d'une série nordique qu'elle doit forcément être déprimante 24h/24. Sauf qu'Adam Price et ses co-scénaristes commettent coup sur coup deux erreurs fondamentales : 1) le pardon est général, tout le monde pardonne littéralement à tout le monde, même les fautes les plus blessantes, et 2) ce pardon n'est jamais vraiment remis en question jusqu'à la fin de la série. Là encore, il en ressort une frustrante impression de stagnation, d'ennui, voire de niaiserie ; j'avais l'impression de regarder soudainement un film évangéliste américain !


Exemple : Christian et Emilie déterrent les cendres d'August pour, selon ses dernières volontés trouvées comme par enchantement dans son journal secret (grrrrr, le deux ex machina bien laid!), les disperser à Jérusalem. Non seulement ils ne préviennent pas les parents, mais ceux-ci ne se mettent pas en colère une fois mis devant le fait accompli ! Et je préfère ne rien dire du sale tour joué à Amira, dont le travail en entreprise est réduit à néant par les caprices de son petit copain, et qui lui pardonne absolument tout ! C'est pour ça que je dis que tel un film religieux, Au Nom du Père semble soudain plus préoccupé par son message...


Au final, plus qu'à du sentimentalisme sirupeux, ce pardon général ressemble surtout à de l'indulgence des scénaristes envers eux-mêmes. En effet, si leurs personnages cessent tout à coup de s'opposer les uns aux autres, leurs créateurs n'ont plus à se soucier des ramifications de ces conflits. Il suffit juste de naviguer paisiblement vers la fin de la série, à grands renforts de "tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil". Cette paresse est devenue apparente dès l'épisode 5 et son effroyable séquence du séminaire en entreprise, digne des pires soaps made in USA.


Hélas, la tendance ne s'est pas inversée avant la fin. Je déplore tout particulièrement le sort réservé à Amira, dont l'intrigue secondaire liée à la garde de son enfant n'a mené littéralement nulle part. Plutôt que de servir de remplissage, elle aurait pourtant pu permettre d'aborder le thème de l'Islam dans les sociétés occidentales, présent un court moment, avant que là encore Au Nom du Père ne prenne peur des propres questions par elle soulevées.


Bref, au-delà de la performance de Lars Mikkelsen et de ses collègues, irréprochables jusqu'au bout, je m'étonne des compliments reçus par la deuxième saison d'Au Nom du Père, qui aura selon moi démoli une bonne partie du travail accompli par la première. Mais bon, après tout, peut-être devrais-je faire preuve de mansuétude moi aussi, et tout simplement lui pardonner, eu égard à neuf excellents premiers épisodes. Mais il est dommage qu'au final, "Les Voies du Seigneurs" se soient révélées tout le contraire d'impénétrables : désespérément banales...

Szalinowski
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le 28 avr. 2021

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