The Dark Passenger

Je commence à en connaître un bon rayon sur Batman.

Du dessin animé que je regardais durant mon enfance avec la formidable voix de Richard Darbois, de ses apparitions dans la Ligue des Justiciers, la trilogie de Christopher Nolan au cinéma ou bien la formidable saga interactive des Batman : Arkham, le Chevalier Noir m'a littéralement accompagné durant une majeure partie de mon existence, ponctuant mon quotidien de son imaginaire torturé et fascinant avant même que je n'en vienne à m'intéresser concrètement à son principal support créatif : les innombrables bandes dessinées de qualité qui se sont succédées au fil des décennies pour offrir leur propre vision singulière de l'univers de Gotham City. C'est une caractéristique commune à de nombreux super héros américains mais la dualité de Batman / Bruce Wayne est très clairement devenue une source d'inspiration bien plus foisonnante que les péripéties de ses semblables, l'ayant amené à affirmer sa présence ténébreuse dans quasiment tous les médiums existants; de ceux qui comprirent l'importance de ses propres responsabilités à l'égard du mal qu'il s'évertue à combattre tout en le nourrissant indirectement tout comme la fatigue, autant physique que psychologique, d'un héros qui s'efforce de marcher sans crainte aux côtés des surhommes qui peuplent cette terre tourmentée. L'enrobage change perpétuellement, lorgnant vers le réalisme ou le fantastique selon les tendances sociales de son époque et aspirations des multiples créatifs qui remodèlent sans cesse la chauve souris dans la mesure du possible, mais le cœur de cette thématique reste en définitive la même : Batman fait-il plus de mal que de bien à la ville auquel il a dévoué son combat contre le crime?

Une question maintes fois posée sous maintes formes différentes et pourtant Batman : Autopsie se propose de l'aborder sous un point de vue dépaysant, malgré la prolifération des récits déjà existants sur le justicier de Gotham; une audace appropriée pour susciter l'intérêt de l'auditeur envers cette nouvelle forme de créativité que le Chevalier Noir investit à nouveau : la production enthousiasmante des séries audio. Hé oui, désormais, seule la littérature est bien l'unique médium dans lequel Batman n'a pas encore imposé sa marque, mais peut être s'agira-il de la prochaine étape à accomplir pour le héros intrépide? En attendant, cette nouvelle variation de ces aventures mérite largement votre intérêt.

My body is a cage

Qu’est ce qui relie une série d’animation, un jeu vidéo, un comic book ou un film en Live Action ? La réponse est simple : le visuel. Batman est autant associé à des symboles esthétiques au fil du temps qu’à des archétypes narratifs ; l’emblème dans le ciel, le design de la Batmobile, le sourire du Joker, le plastron sur son torse, les mouvements de la cape, l’usage du grappin, autant d’éléments qui ont jalonnés les péripéties du Chevalier Noir dont le nom évoque instantanément une silhouette menaçante devant un ciel obscur, le plus souvent au sommet d’un toit à l’architecture inquiétante ; mais ici, nous sommes en présence d’une série audio, autrement dit de la première création de Batman qui ne peut pas bénéficier de cet héritage accumulé durant plusieurs décennies et pour embrasser complètement cette contrainte, les scénaristes ont fait le choix d’une rupture de ton assez radicale : Bruce Wayne est ici un médecin légiste qui développe une obsession malsaine envers les crimes d’un tueur en série qui sévit à Gotham, au grand dam de ses proches qui s’inquiètent de son isolement mental. Ses proches ? Oui, ses proches car ses parents ne sont pas morts et sans Crime Alley pas de Batman, c’est une cité dénuée du moindre justicier mais non de maniaques à traquer. Bien évidemment, il y a anguille sous roche mais le récit a le mérite de maintenir un mystère assez haletant durant hélas deux courts épisodes sur cette proposition alternative de Bruce Wayne, de ses relations conflictuelles avec son père à sa frustration toujours présente de combattre le mal même sans costume ; l’écriture fait mouche et la qualité de la version française est également convaincante ; à l’image du Tintin de France Culture, le choix a visiblement été fait d’intégrer des comédiens peu habitués à l’exercice du doublage d'ordinaire, avec hélas bien moins de réussite, mais l’interprétation demeure agréable à l’oreille durant les premiers épisodes entre un Dali Benssalah (l’adversaire de Daniel Craig dans Mourir Peut Attendre !) qui incarne efficacement un Bruce Wayne indécis et plus enclin à l’introspection que par le passé (son timbre de voix est d’ailleurs parfois si proche d’Adrien Antoine que je me suis demandé s’il n’y avait pas une forme d’imitation peut être inconsciente de sa part) et également la présence surprenante d’André Dussollier en psychologue légèrement inquiétant ; l’atmosphère est intrigante et même s’il est évident que le jeu de dupes ne va pas durer bien longtemps, la plupart des répliques sont pertinentes à l’égard du trouble mental qui persiste dans l’esprit de Bruce -Pas Batman – Wayne. Un bel effort d’originalité qui s’avère, hélas, rapidement tué dans l’œuf.

Dès le troisième épisode, l’action bascule en effet brutalement de point de vue : l’auditeur se retrouve à suivre les péripéties de Barbara Gordon, jeune flic téméraire qui a bien du mal à s’imposer face à ces collègues roublards depuis la mise à pied de son père, officiellement pour être venu en aide à Batman, officieusement pour avoir essayé de combattre la corruption qui gangrène la police avec un peu trop d’insistance. Elle est également amenée à traquer le même serial killer que Bruce Wayne en l’absence de Batman dans les rues ; vous l’aurez compris, pas de Chevalier Noir, pas de méchant emblématique à l’horizon, l’ambiance en prend un sacré coup, on ne va pas s’en cacher et les deux épisodes suivants s’apparentent davantage à une intrigue de NCIS (ou même de la série Gotham), malheureusement pas bien passionnants d’autant que le doublage français montre ici clairement ses limites. Fort heureusement, l’action se focalisera à nouveau sur Bruce Wayne dès le cinquième épisode mais le mal est déjà fait : en voulant diversifier les points de vue sur cette affaire criminelle, c’est surtout l’immersion de l’auditeur qui a été quelque peu malmenée, même si au demeurant, cette alternance de protagonistes sera un peu mieux exploitée vers le dénouement de l’intrigue. Un dénouement qui renouera bien évidemment avec l’imaginaire le plus communément associé au Chevalier Noir, le sound design s’avérant assez efficace pour retranscrire à l’oreille les mouvements du Justicier sur les toits de Gotham (même s’il n’est pas le plus impactant que j’ai pu expérimenter sur une série audio) tandis que le récit a le mérite de développer sa propre mythologie de Batman, sans recourir à des intrigues déjà trop usitées ; non le clown psychopathe ne sera pas le grand investigateur qui tire les ficelles dans l’ombre, laissant la place à un autre antagoniste inattendu qui bénéficiera par ailleurs de la meilleure backstory que j’ai pu (littéralement) entendre sur ce personnage ; une volonté appréciable de se différencier des lieux communs autour des secrets de Gotham City.

Il s'en est fallu de peu

Bref, même s’il ne parvient pas à transcender son sujet en raison d’un certain éparpillement de son propos, Batman : Autopsie a néanmoins le mérite de parvenir à susciter la curiosité de l’auditeur à l’égard d’un univers déjà maintes fois exploré dans les autres médiums, ce qui est exactement le potentiel enthousiasmant des séries audios à l’heure actuelle. Si l’indulgence ne sera peut être pas autant de mise envers la deuxième saison déjà annoncée, à présent que l’effet de surprise s’est quelque peu estompé, cette aventure auditive laissera néanmoins le souvenir assez vivace d’une ambiance particulièrement glaçante, parfois plus proche des méandres crépusculaires de Dexter, et d’une proposition intéressante d’un What If ? qui, une fois encore, parvient à poser les bonnes questions à Batman… Et peut être aussi à nous-mêmes.