Better Call Saul
7.8
Better Call Saul

Série AMC (2015)

Une grande histoire d'amour et d'identité [Critique de "Better Call Saul" saison par saison]

Saison 1 :
Ouaouh ! Qu'attendions-nous vraiment d'un spin off de l'excellentissime série "Breaking Bad", sinon un peu de "fan service", comme on dit aujourd'hui, autour d'un personnage secondaire pittoresque ? Et nous voici devant une première saison du même niveau que les dernières saisons de "Breaking Bad" (c'est dire la qualité !), avec la même intelligence de mise en scène, au service d'une construction narrative complexe, racontant des histoires à la fois triviales et exemplaires (pour le "mythe", on n'y est pas encore tout-à-fait...) arrivant à des personnages bouleversants d'humanité. Bien sûr, il n'y a pas - pour le moment - dans "Better Call Saul" le côté "ludique", vaguement cartoonesque (du côté des Frères Coen, comme on l'a souvent dit) du périple ultra violent de Walter White : on a plutôt droit ici à une balade mélancolique, puis très vite extrêmement douloureuse, où le burlesque n'affleure qu'à de rares moments de respiration, tournant autour du métier d'avocat, décrit ici avec une justesse rare, évitant la plupart du temps la caricature que l'on pouvait craindre. La similarité avec "Breaking Bad" est plutôt dans le thème, puisqu'on suit ici le calvaire d'un homme ordinaire, plutôt honnête malgré ses tendances ludiques à la mini arnaque, qui va encaisser pendant ces dix premiers épisodes une série épuisante d'humiliations, de défaites, puis de trahisons (l'avant-dernier épisode, chef d’œuvre absolu, est littéralement terrible !), au point de baisser les bras et de se laisser aller dans un final faussement libérateur ("Smoke on the Water" !) et véritablement désespérant. Jimmy McGill, magnifiquement incarné par Bob Odenkirk, devient au fil de son calvaire, un véritable frère d'épreuve pour le téléspectateur empathique, qui souffrira donc avec lui à chaque coup du destin. Heureusement, Vince Gilligan et Peter Gould ont la générosité de relâcher un peu la pression et de pimenter leur série avec les aventures "policières", plus dramatiques peut-être, mais aussi plus "amusantes" de Mike Ehrmantraut, plus conformes sans doute à ce qu'on attendait de l'équipe de "Breaking Bad"... Au final, même si "Better Call Saul" a pour le moment moins de potentiel commercial que "Breaking Bad", et si certains pourront renâcler devant la minutie patiente avec laquelle la narration avance, cette première saison est une réussite exceptionnelle. [Critique écrite en 2016]

Saison 2 :
Si la seconde saison de "Better Call Saul" ne bénéficie plus de l'effet de surprise qui nous avait fait placer la première saison au pinacle des séries TV du moment, force est de constater que la série de Gilligan continue à nous enchanter, nous troubler et nous faire rire, bien plus que n'importe quelle autre en ce moment : il semble donc que l'excellence atteinte par l'équipe de "Breaking Bad" dans les dernières saisons continue à se maintenir, que ce soit dans l'écriture, d'une subtilité époustouflante, dans la mise en scène, sophistiquée mais totalement au service des personnages dont on suit l'évolution - et les tourments - décrits avec minutie et énormément d'empathie, et bien entendu dans l'interprétation, digne de toutes les éloges. Si les développements de l'intrigue restent dans cette seconde saison dans la droite ligne de la première, la relation infernale (et déséquilibrée) entre Saul et son frère Chuck étant la principale source de péripéties et de souffrances pour le téléspectateur, on notera que le côté "thriller" de la série, porté par le fascinant personnage de Mike, s'accentue, sans doute pour rattraper les téléspectateurs fans de "Breaking Bad" et logiquement désemparés par un "spin off" qui explore d'autres sujets (la loi, le droit, la justice, et leurs rapports difficiles, pour faire court) certainement moins attrayants. En tous cas, avec son goût pour une savoureuse ambigüité conjuguée avec sa tendresse tangible pour ses personnages ambivalents, "Better Call Saul" reste un plaisir rare. [Critique écrite en 2016]

Saison 3 :
Avec sa narration enchaînant directement sur le final de la saison précédente et ses deux premiers épisodes minutieux qui demandent au spectateur de retrouver rapidement ses marques dans le dédale de ses deux récits "parallèles", la troisième saison de notre bien aimée "Better Call Saul" démarre de manière un peu moins grandiose que les deux précédentes. La mise en scène - surtout quand Peter Gould est aux manettes - reste brillante d'intelligence, et Odenkirk incarne toujours avec une douceur confondante et une tristesse infinie l'un des plus beaux anti-héros de la Série TV contemporaine. "Chicanery", avec sa scène classique de procès est certainement l'un des sommets de toute la série à date, et le final qui règle les comptes de manière tragique de la relation entre Jimmy et Chuck est un véritable crève-coeur... Mais dans son ensemble cette troisième saison, dont le grand sujet semble être avant tout la mélancolie que provoque en nous la découverte que nos propres manipulations fonctionnent si bien, et que le monde est bien décevant, s'avère un peu moins impressionnante (peut-être à cause de la relative faiblesse cette fois de la partie "policière" tournant autour de Mike et surtout de Nacho). Le périple introductif à "Breaking Bad" étant d'ailleurs à peu près bouclé, on peut même se demander à quoi servira une quatrième saison, à part prendre le risque inutile de gâcher l'enchantement paradoxal qu'a provoqué en nous "Better Call Saul" jusqu'à présent. [Critique écrite en 2018]

Saison 4 :
La disparition de Chuck et la conclusion - par la force des choses, même si l'onde de choc du suicide de Chuck va encore causer bien des dégâts dans la vie de Jimmy - de l'intrigue basée sur la relation d'amour et de haine entre les deux frères nous laissent un peu orphelins de la très belle série qu'a été "Better Call Saul" au cours de ses 3 premières saisons. Mais on peut toujours compter sur l'intelligence de Gilligan, et si cette quatrième édition "se contente" de faire converger les différents fils de la fiction (il y en a trois, ici, "tressés" autour de Jimmy, de Mike et de Nacho...) sans les entremêler, d'où l'impression un peu gênante d'assister à 3 "séries TV" distinctes, notre plaisir de téléspectateurs va rapidement revenir ! Plus on s'approche en effet de "Breaking Bad" chronologiquement, plus on retrouve les qualités de cette narration brillante associée à une mise en scène et une photographie virtuoses, qualités qui placèrent "Breaking Bad" tout près du sommet de la Série TV contemporaine. "Better Call Saul" frise donc à nouveau l'exceptionnel, en particulier dans sa dernière partie consacrée largement aux travaux d'éxcavation réalisés par un ingénieur allemand sous la surveillance de Mike, et aux efforts de Jimmy pour récupérer sa licence d'avocat. La conclusion en sera dans les deux cas un crève coeur absolu, mais la dernière scène, accablante, prenant acte de la disparition complète du "bon Jimmy" derrière sa nouvelle identité de Saul ("It's all good, man !") est un immense moment de pur cinéma. Bouleversant, une fois encore.
[Critique écrite en 2018]https://www.benzinemag.net/2020/02/27/netflix-better-call-saul-saisons-1-a-4-le-spin-off-parfait/

Saison 5 :
La cinquième – et avant-dernière – saison de "Better Call Saul", le prequel de "Breaking Bad", voit, comme on pouvait l’anticiper déjà lors de la précédente saison, la série se rapprocher de plus en plus de sa… destination, c’est-à-dire sa « série-mère ». Et si certains, dont nous sommes d’ailleurs, peuvent regretter la première partie de l’histoire de Saul Goodman, quand il était encore Jimmy McGill et qu’il luttait pour devenir un avocat de haut niveau en dépit des préjugés de son entourage, il est impossible de ne pas se sentir vraiment admiratifs devant l’habileté avec laquelle Gould et Gilligan ont fait évoluer et leurs personnages, et la fiction dans son ensemble, pour réussir cette « convergence » naturelle de leurs deux œuvres. Et s’il est probable que "Breaking Bad" restera dans l’esprit de la plupart des fans LA grande réussite du duo, il est bien difficile, en toute objectivité, d’affirmer que "Better Call Saul" lui est inférieure.

Car "Better Call Saul" est, d’abord, plus complexe que "Breaking Bad" dans sa construction, ce qui l’a certainement desservi auprès d’une partie du public avant tout avide de spectacle. Traitant en parallèle du travail quotidien du couple d’avocat Jimmy / Saul – Kim et de la rivalité meurtrière entre Gus Fring et Lalo Salamanca (avec ce pauvre Nacho Varga coincé au milieu…), et multipliant de ce fait les fictions, la série a été capable durant cinq saisons de faire un va-et-vient impeccable entre des scènes et des ambiances très différentes : d’un côté le monde ouaté mais peu ragoutant des avocats d’affaires – symbolisés par le séduisant et pourtant répugnant Howard, devenu objet de haine (et de vengeance) pour Jimmy –, d’un autre la violence « graphique », cruelle, frôlant l’absurdité, du cartel mexicain, le tout ayant permis à la série de se nourrir brillamment d’une multiplication de personnages et de situations, qui ont fait son charme.

Dans cette saison, la bifurcation des carrières professionnelles de Saul, puis, d’une manière plus inattendue, mais pas moins fascinante, de Kim (interprétée magistralement par une Rhea Seahorn qui s’est imposée durant les deux dernières saisons comme une brillante « sparring partner » de Bob Odenkirk), a confirmé peu à peu le versant « thriller » de "Better Call Saul" comme sujet central de la série… Ce qui nous vaut un épisode 8 ("Bagman") absolument extraordinaire, qui rivalise à notre avis sans aucune difficulté avec les sommets de "Breaking Bad". Devant un tel chef d’œuvre, comment ne pas avoir envie de célébrer une fois encore – mais on ne le dira jamais assez – les qualités exceptionnelles de sa narration, de sa construction de personnages, de son interprétation et, surtout, surtout, de sa mise en scène ? A équidistance d’un classicisme hollywoodien qui respecte la temporalité et la topographie autant que la logique interne de personnages jamais simplistes, et d’une modernité ludique dans la réinterprétation légèrement distanciée des situations traditionnelles du cinéma (que ce soit le « film de procès » ou le « thriller »), Vince Gilligan fait preuve à nouveau de ce talent qui avait placé "Breaking Bad" au niveau du meilleur Cinéma contemporain.

La conclusion de la saison, violente, spectaculaire et tendue, en un ultime épisode mis en scène cette fois par Peter Gould, nous laisse sur un superbe cliffhanger qui est tout sauf manipulateur : puisque nous connaissons depuis le début le point d’arrivée de cette histoire, et que les personnages ont déjà fait une grande partie du trajet moral et psychologique « attendu », tout ce qui nous reste à découvrir dans la sixième et dernière saison est ce que sera leur dernière ligne droite… dont on redoute, et espère pourtant aussi, la tragique radicalité.
[Critique écrite en 2020]https://www.benzinemag.net/2020/04/25/netflix-better-call-saul-saison-5-un-sommet-de-la-serie-tv-contemporaine/

Saison 6 :

La fin d’une grande série, surtout après plusieurs années, est toujours un peu une « grande affaire », et engendre nombre de discussions passionnées entre fans et moins fans. On utilise ici le terme de « grande série » à propos de Better Call Saul, qui n’est pourtant pas, et n’a jamais été, un hit planétaire, dans la mesure où l’ambition narrative et thématique, la perfection formelle (mise en scène, photographie, interprétation) de ce spin off de l’unanimement célébrée Breaking Bad le hisse clairement au-dessus du lot.

Il faut reconnaître que Better Call Saul divise : certains, dont nous sommes, la considère comme égale sinon supérieure à Breaking Bad, en grande partie parce que le personnage de James McGill / Saul est régulièrement bouleversant, et parce que les aspects « psychologiques », humains de la série sont à la fois plus fins et plus forts, moins stéréotypés. De nombreux téléspectateurs trouvent au contraire Better Call Saul moins fascinant, avec une tension moins forte, et probablement plus lent. Et pas suffisamment du côté du « thriller » pour être un grand divertissement.

Et cette sixième et donc dernière saison risque bien de ne rien changer aux opinions des uns et des autres. Les 9 premiers épisodes offrent une conclusion électrisante aux deux fils narratifs principaux (les démêlés de Kim et Saul avec Lalo, et leurs manipulations de la vie professionnelle de Howard), culminant dans un huitième épisode terrible, qui se pose en point de rupture dans la vie de Jimmy / Saul. Si l’on cherche la raison du basculement d’un homme, que l’on a quand même vu comme « honnête » malgré son goût excessif pour les escroqueries et les tours de passe-passe, du « côté obscur », c’est dans cet épisode qu’il se trouve : l’avocat criminel de Walter White naît à ce moment-là, et c’est là que Better Call Saul en arrive à son sommet, justifiant son existence de spin off.

Le problème, c’est évidemment qu’après ça, on a un peu l'impression que Vince Gilligan et Peter Gould ne savent plus quoi faire : peut-être avaient-ils dès le début cette idée-là, et étaient-ils beaucoup moins clairs quant à la suite et la fin de la série ? En tous cas, Better Call Saul passe très rapidement sur la « période Breaking Bad » : quelques scènes, logiques par rapport à la thématique de la saison, qui est celle des "regrets", mais qui paraissent un peu anodines, des caméos de Walter White et de Jesse Pinkman, mais rien en tout cas qui puisse satisfaire les fans hardcore de Breaking Bad...

Pour bien regarder les 4 derniers épisodes – en noir et blanc dans leur plus grande partie, et on apprécie l’ironie avec laquelle le noir et blanc est utilisé pour figurer le présent, à la différence de ce qui se fait communément -, il convient de se livrer à un petit exercice : revoir les premières minutes de chacune des 5 saisons précédentes, qui posent le décor de ce qui va suivre. L’exil de Saul à Omaha, pour échapper à la police et au cartel, l’a transformé en un nouveau personnage, Gene, homme ordinaire vivant dans la solitude, manager professionnel d’un fast food, qui cherche avant tout à ne pas attirer l’attention, et la dernière partie du film va raconter l’enchaînement de circonstances, de coups de malchance, qui vont faire réapparaître Saul, puis James McGill.

Ce qui nous amène au dernier épisode, qui est intéressant car il matérialise (enfin ?) le retour de Saul Goodman derrière Gene, puis, dans sa toute dernière partie, la réapparition de Jim McGill. Cette fin, inattendue, a été bien reçue par les critiques, parce qu’elle échappe aux stéréotypes d’une série-thriller. Mais, si l’on rapproche ce que nous disent Gould et Gilligan du fait que, aux USA, cette conclusion a recueilli tous les suffrages, on peut la lire comme une concession à la morale… Et déplorer ce revirement final, pas très convaincant psychologiquement, et qui sent donc le retour à une certaine morale pour une série qui avait su raconter des comportements « déviants » sans porter aucun jugement sur ses personnages.

On préférera donc plutôt voir cette fin comme la conclusion d’une grande histoire d’amour entre Kim et Jimmy, souvent cachée derrière le récit des arnaques et des péripéties policières. Et ainsi garder à l’esprit l’image de ce couple dont l’amour a été dévoré, mais résiste encore.

[Critique écrite en 2022]

Retrouvez cete critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2022/08/19/netflix-better-call-saul-saison-6-la-fin-dune-grande-serie/

EricDebarnot
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le 20 août 2022

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Eric BBYoda

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