Égo trip gore
Les visuels sont incroyables mais l'écriture pas du tout. J'avais l'impression de regarder quelqu'un jouer à un jeu vidéo à tendance gore, où le récit est secondaire au sang versé.Âmes sensibles...
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le 9 nov. 2023
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Réaliser en 2023 un film ou une série centrée sur un personnage « classique » de samouraï de l’époque d’Edo lancé dans un périple de vengeance sanglante est un défi qui semble insurmontable : car non seulement Kurosawa ou Kobayashi (Harakiri, en 1962) restent indépassables sur le sujet, mais la série B nippone (par exemple la série de films Baby Cart) et la revisite formaliste conduite par Tarantino dans son Kill Bill Vol. 1 ont couvert depuis pas mal de terrain.
Michael Green (scénariste de, entre autres, Logan et Blade Runner 2049) et Amber Noizumi, les deux auteurs – en couple à la ville – de Blue Eye Samurai ne sont pas japonais, et c’est peut-être grâce à ce recul qu’ils ont eu vis à vis d’une histoire et d’une culture japonaise qu’ils connaissent visiblement bien, qu’ils ont parfaitement relevé ce défi. Car le sujet de Blue Eye Samurai est avant tout, et presque uniquement, celui de l’ingérence agressive de l’Occident (anglo-saxon) dans un pays qui était à l’époque totalement fermé : d’un côté, on a donc les « colonisateurs occidentaux » avides de pouvoir, de richesse, voire de sexe « exotique » – symbolisés ici par un personnage gargantuesque, Abijah Fowler – intelligemment inspiré du Marlon Brando mythique en fin de carrière et auquel Kenneth Branagh prête sa voix -, et de l’autre le peuple japonais, profondément raciste, et la noblesse indifférente au sort de ce peuple, toute entière consacrée à des conspirations et des jeux d’alliance autour de la figure du Shogun, détenteur du pouvoir. Le choc des civilisations – symbolisé par l’arrivée des armes à feu sur l’archipel – est brutal, et Blue Eye Samurai nourrit son scénario de ce mélange détonnant entre modernité et traditions, cette tentative de redistribution des cartes dans une société depuis longtemps figée.
Le Blue Eye Samurai, c’est Misu, rejeton d’une alliance « contre nature » entre un envahisseur aux yeux bleus et une Japonaise : harcelé par ses congénères racistes dans le village où il a grandi, témoin de la mort atroce de sa mère brûlée vive, élevé par un forgeron aveugle qui l’a éduqué à l’Art du Sabre, Misu se lance, une fois adulte, dans une quête obsessionnelle des quatre « blancs » restant sur le territoire japonais, chacun étant susceptible d’être son géniteur, et donc responsable de son malheur et de celui de sa mère.
Débutant de manière très « classique » – et on craint un instant que Blue Eye Samurai ne se contente de décliner des stéréotypes déjà bien usés -, la série va progressivement prendre des virages surprenants, et aller s’aventurer dans des sujets moins habituels dans une « histoire de samouraï », tels que la place de la femme dans la société, mais aussi (attention, les réacs de tous poils vont hurler au « wokisme » !) la fluidité du genre, qui se révèle ici centrale. Le tout avec quelques « twists », certains prévisibles, d’autres plus étonnants, qui ajoutent un indiscutable piment à la sauce scénaristique. On ne rentrera pas ici dans le détail de l’histoire, qui se complexifie au fur et à mesure que la série progresse, surtout grâce à une galerie de personnages riches, passionnants, ambigus, échappant tous au manichéisme : Misu est tout sauf un héros, et on comprendra comment il a été progressivement dévoré par sa haine, qui l’a transformé quasiment en monstre – ce qui nous offre l’épisode le plus sublime de la série, le cinquième (The Tale of the Ronin and the Bride), et la sympathie que l’on ressent initialement pour lui, a du mal à tenir face à son comportement ; à l’inverse, la belle et brillante Akemi, qui semble d’abord irritante avec ses caprices, devient une femme de plus en plus impressionnante, qui fait des choix radicaux réellement courageux. Mais on pourra s’attacher aussi bien à Ringo, bouleversant élève sans mains de Misu, ou à Seki, figure paternelle inattendue dont l’intelligence et le courage touchent au cœur.
Blue Eye Samurai est, bien sûr, une série ultra-violente, sanglante, qui révulsera parfois le téléspectateur, en particulier au cours du sixième épisode, perturbant (All Evil Dreams and Angry Words). Mais c’est aussi une série où le sexe est montré de manière plus frontale que d’habitude dans l’animation, y compris incluant régulièrement des « perversions » plus ou moins extrêmes : plusieurs scènes sont d’ailleurs troublantes, parce qu’elles portent un sous-texte social, politique, ou parce qu’elles traduisent littéralement les questions d’ambigüité du genre. Pour toutes ces raisons, Blue Eye Samurai est réservé à un public « averti », comme on disait traditionnellement…
Il faut finalement parler de ce qui est, sans aucun doute, le point le plus fort de Blue Eye Samurai, sa splendeur formelle : cocorico ! C’est un studio français, Blue Spirit, qui est responsable de l’animation, et les mots nous manquent pour évoquer la qualité de leur travail. Même si l’histoire de Blue Eye Samurai n’était pas aussi bonne, le film serait indispensable tant il dispense une abondance de moments visuellement inoubliables !
Bien sûr, on regrettera que le dernier épisode ne conclue pas la saga de Misu, mais ouvre sur une seconde saison qui devrait se dérouler à Londres. Espérons que ce suite ne gâche par le plaisir qu’on a pris devant Blue Eye Samurai, qui se place très haut dans le palmarès des grandes séries TV de 2023.
[Critique écrite en 2023]
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Créée
le 20 nov. 2023
Critique lue 1.5K fois
30 j'aime
6 commentaires
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