BoJack Horseman
7.6
BoJack Horseman

Dessin animé (cartoons) Netflix (2014)

Voir la série

La vie est courte et les séries trop longues : alors que je prends à peine la mesure de ce qu’il me reste à découvrir du cinéma, le torrent de propositions qui se déverse chaque année me semble abyssal, et j’attends généralement une décantation et de multiples recommandations pour laisser sa chance à un titre.


Je dois la découverte de BoJack Horseman à un élève. En fin d’année, j’ai demandé à mes classes, en guise d’exposé, de me présenter une œuvre qu’ils voulaient faire connaître, et Clément a fait la meilleure présentation qu’on puisse imaginer de cette série.

J’ai donc passé une partie de l’été avec un cheval perdu dans Hollywoo, cité des vanités, d’abord séduit par cette capacité de la série d’animation à faire feu de tout bois, et à un inventer un univers à peine parallèle où les animaux anthropomorphes croquent avec justesse les travers humains. La satire fonctionne à plein régime, et réactualise toutes les formes anciennes, de la fable aux contes philosophiques, pour accompagner avec la tonalité joviale de circonstance la danse colorée d’une civilisation en train de s’éteindre. La variété délirante des personnages, les partis-pris et les concepts (un muet, les jeux sur les temporalités, un monologue de 25 minutes, un bottle episode…), font état d’une inventivité permanente, qui se complexifie de saisons en saisons pour multiplier les espaces et les temporalités. Le comique se déploie autant sur un sens aigu du rythme, de punchlines sarcastiques que d’une propension à l’absurde ou un trait caricatural autorisant tous les excès, notamment par le destin haut en couleur du personnage de Todd. On ne saluera jamais assez le travail des comédiens de doublage, qui font ici des miracles pour incarner des personnages esquissés dans une animation rudimentaire qui finit par tenir de l’évidence. Le défi est d’autant plus élevé si l’on prend en considération la richesse musicale des dialogues, et les jeux d’allitérations des différents concepts sur lesquels brode notamment Princess Carolyn.


Mais toutes ces qualités sont le lot commun de bien d’autres propositions. BoJack Horseman ne se contente pas de cette posture cynique face à un monde qui a tant à offrir pour qu’on le haïsse. Le protagoniste est lui-même aussi détestable que l’univers qu’il conspue, et dont il a conscience d’être le pur produit. En avance de quelques années sur le tempo de l’époque (la série a commencé sa diffusion trois ans avant l’affaire Weinstein), le récit suit le candidat idéal au cancel (qui sera l’objet des dernières saisons), en nous obligeant à rester en sa compagnie, à l’image de tous les personnages secondaires qui le supportent – dans les deux sens du terme. Et c’est là que le miracle advient : dans cette capacité à sonder la complexité d’un individu. En opposition frontale avec la sitcom qui a fait de lui une star, et dans laquelle chaque épisode se conclue, comme l’exige le cahier des charges, par une leçon de morale, la vie de BoJack est celle d’un enfant riche à millions, irresponsable, camouflant ses appétits derrière l’alibi de l’alcool, la drogue et la célébrité. Sa rencontre avec Diane dans les premiers épisodes, qui occasionne l’écriture d’une biographie qui sera sans compromis, donne le ton sur les intentions du créateur : décaper, progressivement, toutes les couches, faire tomber tous les masques pour se retrouver face au grand gouffre impossible à remplir. La dépression, gigantesque fantôme qui rode sur tous les personnages, alimente autant l’humour comme un mécanisme de défense qu’elle creuse des puits de vérités : la contemplation mélancolique d’une ligne d’horizon, un échange sincère, une séquence musicale, un souvenir obsédant. Le long cours permet ainsi de remonter certains fils, de faire état de cette transmission toxique entre les générations, mais ne cherche jamais à réhabiliter, excuser ou légitimer. Elle présente des êtres brisés qui prennent d’abord conscience que la vie n’est pas un scénario, puis, progressivement, que les fragments fragiles de joie pourraient éventuellement composer des aperçus de ce que serait le bonheur.


Point de leçon, donc : des trébuchements, des chutes, des petits pas. L’émotion la plus profonde ne provient pas d’événements, mais d’échanges – pas étonnant que l’ultime épisode se résume à une série de dialogues essentiels avec chaque personnage. Des instants où, à l’abri du chaos festif du monde médiatisé, des visages réduits à quelques traits (des humains, un chien, une chatte, un cheval) se livrent, s’épaulent et reçoivent le découragement infini de l’autre.


Sergent_Pepper
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 28 août 2022

Critique lue 836 fois

46 j'aime

8 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 836 fois

46
8

D'autres avis sur BoJack Horseman

BoJack Horseman
Rototolescargot
10

When's the last time you were actually happy?

La difficulté d'écrire une critique réside dans la comparaison avec les critiques déjà existante. Si vous cherchiez un résumé de Bojack Horseman, une raison de commencer la série ou au contraire une...

le 23 déc. 2016

82 j'aime

4

BoJack Horseman
Plume231
9

Horsin' Around !

I’m responsible for my own happiness? I can’t even be responsible for my own breakfast! Généralement on sait au bout d'un épisode, voire juste au bout de quelques minutes, si une série va nous...

le 6 févr. 2019

51 j'aime

5

BoJack Horseman
Moizi
7

The misfits

J'ai regardé ça pour meubler le silence sonore dans ma vie lié au fait que j'ai coupé la musique de Fire Emblem car j'en avais un peu marre d'entendre toujours la même chose alors que j'étais obligé...

le 5 nov. 2016

49 j'aime

9

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

774 j'aime

107

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

715 j'aime

55

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

618 j'aime

53