Boardwalk Empire
7.6
Boardwalk Empire

Série HBO (2010)

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Critique de la saison 1 (écrite après sa diffusion), mise à jour des autres saisons à la suite.

Ça fait maintenant quelques années qu'on le répète : la télévision s'est peu à peu élevée au rang du cinéma. Elle ne doit plus être considérée comme sa petite sœur ingrate mais comme brillante alternative au grand écran. La série télévisée est désormais synonyme de créativité, d'audace et, bien souvent, de profondeur (du fait de son format), et ce malgré la fin annoncée d'un âge d'or par de nombreux analystes. Des cinéastes de renom tels que Lynch, Spielberg, Cameron ou dernièrement Darabont y vont régulièrement y faire un tour. Même les Cahiers du Cinéma ont réservé un dossier pour ce genre dont la qualité ne cesse de grimper. C'est dire.

L'annonce de la création de Boardwalk Empire a lancé un pavé dans la marre sériephilique. Lorsque HBO la magnifique (mais décadente ?) a en effet accepté la production d'un show sur la mafia sur fond de prohibition, créé par le plus doué des scénaristes des Soprano, Terrence Winter, l'attente était déjà aux combles. Mais c'est véritablement l'arrivée de Martin Scorsese, aimé des cinéphiles et du grand public, au poste de producteur et celui de réalisateur du pilote mais aussi celle de Steve Buscemi (probablement l'un des meilleurs seconds rôles chez Tarantino, Burton et surtout les Coen) dans le rôle principal, qui a fait exploser la cervelle de bon nombre d'entre nous. Le budget de 18 millions de dollars rien que pour le premier épisode, les décors dit « pharamineux » et la présence de certains réalisateurs de série les plus brillants (Tim Van Patten, Allen Coulter et Alan Taylor) ont achevé les autres.

Bref, avant même sa diffusion, BE était d'ores et déjà annoncée comme étant le chef d'œuvre de la télévision, la clef de voûte des séries.

C'est avec beaucoup d'excitation mais aussi une certaine appréhension (l'un ne va jamais sans l'autre) qu'on entre dans le monde de Nucky Thompson (Buscemi), parrain de la mafia et maire de facto d'Atlantic City, profitant de la prohibition pour inonder le marché de pseudo whisky en provenance du Canada ou distillé dans des caves. Corruption, meurtres et guerre des gangs seront son pain quotidien... comme tout film de gangsters qui se respecte.

Parfaite représentation des années 20, véritable tournant dans l'histoire américaine, la série de Winter a un énorme potentiel narratif. Le pays sort juste de la première guerre mondiale qui, bien qu'elle ne se soit pas déroulée sur son territoire, a considérablement affaiblie la population et l'état, pourri jusqu'au trognon (sénateurs républicains et démocrates trafiquent les votes, s'échangent des mots tendres tout en profitant de la prohibition pour s'enrichir), doit désormais s'occuper d'un nombre important de blessés de guerre (physiquement et psychologiquement). L'émergence d'un électorat féminin, directement issue de ligue de tempérance (instigatrice même du Volstead Act et de la prohibition), n'apparaît non pas comme une victoire de la démocratie américaine mais un nouvel objet d'influence et de trafic des statistiques. Une situation économique et sociale propice à l'expansion de la mafia locale, toujours plus ambitieuse et agressive comme le témoigne la nouvelle génération incarnée par les certains Lucky Luciano et Al Capone.

Mais le thème de la pègre, genre cinématographique par excellence, est à double tranchant. Maintes fois été adapté mais toujours porteur d'un intérêt certain, le film de gangster ouvre un piège dans lequel a tendance à sombrer BE par sa nature « best of mafia movies » quelque peu dérangeante. Au-delà de la qualité d'interprétation impeccable des acteurs, on peut ainsi critiquer une ressemblance frappante entre les personnages du show et d'autres icônes. Buscemi par exemple , magnétisant en Nucky, partage un peu trop facilement de nombreux traits de caractère avec Tony Soprano, tel que l'ambiguïté morale qui lui permet d'ordonner un meurtre et de s'attendrir sur le sort d'une femme battue le quart d'heure d'après, ou encore la loyauté envers ses proches et son absence de remord à rabaisser quelqu'un en public (on pourrait même déplacer sans problèmes certaines répliques cinglantes de l'un dans la bouche de l'autre). De même, l'interprétation de Michael Pitt, lui aussi exceptionnel, fait irrémédiablement penser aux rôles de Leonardo DiCaprio (parfois même physiquement) sous la tutelle de Scorsese (Gangs of New York et The Departed, entres autres) ou même d'autres de ses œuvres (on pense parfois à Taxi Driver pour le traumatisme d'après-guerre). Personnages signatures ou manque de créativité ? Chacun le jugera.

La filiation envers le cinéma se ressent aussi dans la mise en scène de certaines séquences : The Godfather, Eastern Promisses, The Untouchables, Public Enemies... Plus que de simples références ou un jeu cinéphilique, on a véritablement l'impression que la série a du mal à trouver son identité propre, l'esprit singulier qui la démarquera du lot. La confrontation de plusieurs influences et inspirations semble avoir ici des difficultés à créer quelque chose de nouveau. Une déception de taille.

Une série qui se déroule dans un cadre aussi inconnu se doit d'avoir un espace scénique extrêmement travaillé et riche en détails, et Boardwalk Empire ne déroge pas à la règle. Mais alors que des séries ayant un rapport très fort avec leur environnement (telles que Rome ou Battlestar Galactica) semblaient crédibles car habitées par leurs personnages bien avant l'arrivée du spectateur, l'improbable propreté de BE donne l'impression que les protagonistes viennent tout juste d'arriver d'on ne sait où. Le fameux « boardwalk » (promenade au bord de la plage) n'est pas animé comme pouvait l'être les ruelles romaines ou le vaisseau tombant en lambeaux ; il n'y a pas un papier par terre, pas un accroc, rien. La débauche de décors, grande fierté de la série (voir les différents making off sur internet), tous plus époustouflants les uns que les autres en terme de travail mais aussi de budget, semble les rendre paradoxalement étanches à toute vie. Surtout ne pas salir, montrer que c'est beau et bien fait. Mais ce qui peut sembler n'être qu'un détail s'avère finalement être une barrière à l'immersion complète dans le récit. Comment croire aux personnages et à cette ville si tout parait sortir flambant neuf tout droit d'une usine et beaucoup trop froid ? Certes on peut se demander si la série ne cherche pas de cette manière à nous montrer l'âge d'or de la ville ou nous montrer le décalage entre la richesse de la haute société et des personnages de classes inférieures telles que Darmody ou Margaret, mais en définitive, on y croit que difficilement.

Mais cessons de bouder notre plaisir. Boardwalk Empire est de qualité et a réellement tout d'une grande série, statut auquel elle est de toute façon destinée. Cette première saison est d'une maîtrise absolue et l'épisode dirigé par Scorsese ferait pâlir plusieurs de ses films. Reste à voir si, comme la plupart des grandes séries, il lui suffit de quelques épisodes supplémentaires pour s'affirmer et s'imposer.

Note originale : 7.

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Màj saison 2 : Une saison plus intéressante et plus maitrisée que la première. Les liens se complexifient, les relations se tendent, l'ensemble est plus vivant, plus prenant. La série commence à trouver son identité, ce que l'on pouvait lui reprocher à ses débuts (même si les comparaisons peuvent parfois être faciles). Les quelques digressions historiques (l'IRA) ou sociales (les afro-américains, Brooklyn) sont pertinentes et passionnantes. Le duo Winter / Van Patten fait toujours des merveilles, ils signent les trois meilleurs épisodes.
Bémols : certains personnages sous exploités (Van Halden était dans la précédente l'un des protagonistes les plus intéressants, sa storyline ennuie cette année) et des tractations parfois difficiles à suivre.
Le twist de fin de saison a le mérite d'être ambitieux et de redistribuer les cartes, hâte de voir ce que cela va donner.
Note S2 : 8/10

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Màj saison 3 : L'aspect criminel de la série est toujours aussi emmené, les confrontations brillamment écrites et mises en scène. Sur ce point, je pense qu'on a rarement fait mieux, que ce soit au cinéma où à la télévision. Cependant, il y a un défaut assez récurent qui empêche la série d'atteindre son statut de chef d’œuvre. Terence Winter a en effet un peu de mal à jongler avec les différentes intrigues. Ainsi, si la principale, celle concernant directement Nucky et Rosetti (personnage jouissif mais peut-être un peu trop grand-guignolesque), est clairement maîtrisée, les storylines secondaires (Van Alden, Luciano ou encore Chalky) sont trop souvent mises en retrait, donnant même parfois un sentiment de remplissage, surtout lorsqu'elle essaye de se rapprocher de la série chorale. On a alors un peu de mal à s'impliquer émotionnellement chez plusieurs personnages (l'exception qui confirme la règle étant le dramatique Richard).
La construction de la saison impose tout de même le respect, surtout pour cet art du final où tout s'emboîte parfaitement. Mais le véritable challenge cette année a dû être l’absence d'un des personnages principaux, challenge duquel elle se sort parfaitement, tant elle ne se fait que peu ressentir. La série n'hésite d'ailleurs jamais à se lancer ce genre de défis, sacrifiant personnages ou changeant diamétralement leurs relations ; une ambition rafraîchissante.
Note S3 : 8/10

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Màj saison 4 : La qualité rebaisse d’un cran pour cette saison, la faute à un arc moins intéressant et trainant un peu en longueur malgré quelques temps forts : la montée de la drogue chez les afro-américains, les rapports d’opposition et d’interdépendance entre les communautés ou encore la naissance en pointillé du FBI. Le problème, c’est que l’on a parfois l’impression que ces thématiques sont effleurées, esquissées. Le personnage de Narcisse résume à peu près l’idée : par certains côtés passionnant, excellemment interprété, il ennuie parfois et n’est pas assez creusé ni accompli pour marquer durablement. Certains seconds rôles sont dans le cas contraire : l’intrigue concernant Capone, sa montée en puissance, l’arrivée de ses frères et « l’acquisition » de Van Halden est vraiment intéressante mais semble un peu trop étirée, tourne un peu trop en rond ; la rivalité entre Chalky et Narcisse fatigue un peu à force d'être surlignée ; enfin, Richard est toujours le personnage le plus fouillé, psychologiquement parlant, et même s’il semble un peu faire du surplace lui aussi, c’est toujours un plaisir de tenter de le cerner. Sa fin de saison est bien sûr parfaite.
Note S4 : 7/10

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Màj saison 5 : Cette ultime saison donne véritablement l’impression de souffrir de sa baisse de budget. Huit épisodes, c’est court. Surtout lorsque l’on doit conclure autant d’intrigues et qu’on a autant de choses à dire. Une petite pirouette scénaristique, un bond dans le temps pas vraiment surprenant vu que la série nous y a habitué, permet d’évacuer certains personnages, d’en faire évoluer d’autres et de limiter les conséquences sur l’intrigue. Mais il reste tout de même beaucoup : la réalisation d'un crime organisé à échelle nationale, le déclin de Capone et la montée de Luciano, les tractations pour mettre fin à la prohibition et son « après », les répercussions du krach boursier… Ce à quoi s’ajoute une deuxième temporalité, suivant l’enfance et la jeunesse de Nucky, certes passionnante, mais tombant un peu de nulle part. Alors voilà le problème : on resserre un peu plus l’intrigue mais elle semble tellement écrasée sur soi-même que ça la rend un peu superficielle, un peu précipitée. Il est clair que la saison (la série) aurait mérité une saison complète pour aborder tout ce qu’elle voulait, voir même une demie saison en plus pour Nucky. L’ultime épisode est quant à lui assez décevant dans son genre (on préférera nettement l’antépénultième si on recherche des faits marquant) par son côté « épilogue » malgré un ou deux passages à donner des frissons (Gillian et Nucky, avant et maintenant, notamment).
Un peu dommage de finir sur une saison en demi-teinte.
Note S5 : 7/10

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Au final, si Boardwalk Empire a su proposer des éléments passionnants, autant au niveau de l’écriture que de la représentation des faits historiques, elle manque cruellement de vie, d’humour, de souffle pour dépasser les attentes, le stade de « bel ouvrage ».

Note finale : 7/10.
obben
7
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Créée

le 10 nov. 2011

Modifiée

le 6 nov. 2014

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obben

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