Pas très attirée il y a quelques années de ça par la série qui fit fureur avec ses kilos de drogues et ses cadavres dissout dans des baignoires, ce n'est que tardivement que je m'y atèle. Alors que trouve-t-on derrière les dealers du Nouveau Mexique ?
Un tout premier plan qui n'a rien à voir avec le tout dernier. Des cactus aux allures arachnoïdiennes, un ciel bleu éclatant encadré par les roches étouffantes et les nuages immaculés. Walter White a 50 ans, lauréat d'un prix Nobel de chimie et seulement professeur dans un lycée moyen. A l'annonce de son cancer mister White voudrait se sentir vivant avant de mourir en ayant beaucoup trop donné dans une vie qui s’annonçait pourtant agréable.
La prestation de Bryan Cranston mérite les nombreux prix remportés et l'ancien Hal n'a plus rien d'un père de famille loufoque. S'il garde volontiers ses slips kangourous, son visage se trouve transformé par une intelligence malveillante que l'on ne lui connaissait pas. Et pourtant les seconds rôles à l'écran lui font face de manière plus qu'honorable. Lorsque le visage d'Aaron Paul n'est pas déformé par les coups de poing, il devient crédible en petit dealer de quartier. Mais c'est sans compter sur l'ambition qu'ont les scénaristes pour ce Jesse Pinkman qui témoigne certainement de l'évolution psychologique la plus importante de tous les personnages de la série.
Breaking Bad ce n'est pas une histoire de drogue, c'est une histoire sur la psychologie humaine et donc, n'ayons pas peur des mots : sur la vie. Rien n'est laissé au hasard dans la construction psychologique des personnages et la réalisation sensationnelle nous met sans arrêt sur la voie. Les cadrans des fenêtres séparent tantôt Walt de sa femme et son fils, tantôt Skyler de son mari et Walter Junior.
Oubliez tous ce que vous croyez savoir du bien et du mal.
Breaking Bad ne prétend à aucun moment forcer un quelconque précepte moralisateur puisque ses créateurs ont cernés (ce dont toutes les séries ne peuvent pas se venter) toute la complexité de la notion de moral, à l'image de la psychologie humaine. Cette série est une succession d'actions qui engendrent des réactions, bonnes ou mauvaises, le réalisateur (ou les réalisateurs) ne prend pas parti.
Souvent qualifiée de série "lente", on peut imaginer que c'est parce que la mise en scène n'est là que pour appuyer la psychologie des personnages. Aucun rôle, même le plus petit qu'il soit, n'est laissé au hasard, ainsi on comprend la haine de Jesse quand un jeune ado se fait descendre alors que ce dernier est apparu bien moins de cinq minutes à l'écran. Le travail de direction d'acteur est absolument extraordinaire, et c'est de là, je crois, que Breaking Bad tire sa plus grande force. Les rebondissements sont alors dû à la façon dont Walter White, alias Heisenberg se tire de situations extrêmement délicates plus qu'aux actions imprévues des personnages. Sans aller jusqu'à dire que c'est prévisible, la réalisation tellement aboutit nous offre toutes les cartes pour déchiffrer le problème psychologique que l'on nous expose. Les plans parlent d'eux-mêmes. Jesse sur son tourniquet tourne dans le sens opposé au travelling circulaire de la caméra. Le "coussin de parole" ne fait que passer devant Walter Junior, l'air éteint. Puis vient le plan le plus prenant de l'oeuvre Breaking Bad. Après avoir entendu "I do it for our family" des dizaines de fois, nous voyons enfin le visage de cette famille ; Skyler et Walter Jr. à terre, leur regards d'animaux sauvages se font pour la première fois menacants, dans un rejet total du père, traduit par la position bestialement défensive de Junior, alias Flynn. Là encore, loin d'être fortuits, ces regards annoncent la suite pour Heisenberg.
Cette maison nous en apprend beaucoup, on pensera aux plans de Skyler avec les couteaux occupants presque les deux tiers du cadre. Oui, on comprend rapidement que les décors se font véritables personnages, adjuvants ou opposants. Le désert est tantôt un refuge, tantôt une scène de crime, et les monts enneigés du New Hampshire sont aussi glacials que réconfortants.
Avec Breaking Bad on ne sait pas sur quel pied danser parce qu'on ne trouve aucun vrai méchant dans l'histoire. Manichéisme agréablement totalement absent, il serait beaucoup trop facile d'opposer des méchants et des gentils. Le rythme de la série (joliment orchestré) s'accélère au fil des saisons, pour finir dans un capharnaüm d'émotions.
Une fois que tout est finit, on respire.