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Breaking Bad est une tragédie en 5 actes (en 5 saisons), qui commence comme un drame réaliste doux-amer, pour aboutir à un final shakespearien dont peu de personnages sortent indemnes. Cette tragédie nous montre comment un homme simple, Walt, va progressivement devenir un cancer ambulant, contaminant ses proches. Comment il va devenir le rôle qu’il a créé et qu'il ne faisait que jouer comme un enfant, en cachette, celui d'Heisenberg.
Si au départ, Walt joue au gangster sans grande conviction, la violence du monde de ces véritables gangsters, dans lequel il se glisse, l’oblige à faire face et à répondre par la violence pour survivre. Cela commence par un petit malfrat que l’on doit tuer dans une cave, puis c’est le terrible Tuco. Une première étape importante marque la fin de la saison 1, celle où Walt fait exploser le QG du Mexicain : Heisenberg est né. La calvitie, le chapeau, marquent la métamorphose.
En suivant le parcours de cet homme simple jusqu’au dangereux criminel, la série se transforme également dans sa forme. Elle part d’un ton réaliste, plutôt lent et très social (la saison 1 se concentre avant tout sur la présentation d’une famille typiquement américaine), passe chez Tarantino ou les frères Coen, pour aboutir à un final à la Scorsese. Les personnages deviennent hors-normes. C’est comme si l’on invitait le spectateur à passer de la réalité à la fiction, progressivement, de moins en moins crédible, au fur et à mesure que Walt devient le cliché ultime : Tony Montana (qu’ils regardent à la télé, avec son fils). Les dernières saisons sont d’ailleurs les plus explosives : "méchant" génial qui termine le visage à moitié brûlé, braquage improbable d’un train, jusqu'à l'élimination d'un gang par une arme déclenchée à distance et cachée dans le coffre d'une voiture…
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Gilligan utilise la longueur du format série pour réaliser un long film, dans lequel il parvient à nous faire changer de points de vue sur les personnages plus d’une fois. Walt bien entendu, qui passe du gentil et malheureux héros à l’anti-héro criminel mais sympathique dans les saisons intermédiaires, jusqu’au monstre quasiment haïssable dans les deux dernières saisons. Jesse, du gentil peaumé adopté par Walt, devient un personnage extrêmement négatif dans la saison 3, pour finir désespéré et quasiment fou. Le beau-frère Hank, quant à lui, passe du beauf en apparence stupide, au flic intelligent et humain. Skyler, de l’épouse trop parfaite et castratrice, froide, que de nombreux spectateurs ont détesté, devient la complice de Walt, totalement perdue et au bord de la folie. C’est cette dernière évolution qui est probablement la plus fascinante : les séquences dans laquelle Mrs White perd les pédales font partie des moments les plus forts de la série – que ce soit le « Shut Up ! » répété en boucle à sa sœur, la plongée dans la piscine en plein repas, ou ses cris désespérés derrière son mari qui kidnappe leur enfant.
Même si certains détails de l’intrigue furent improvisés au fur et à mesure de l’avancement de la série, la série bluffe par son extrême cohérence. L’utilisation des flash-back mais, surtout, des flash-forward, en débuts de certains épisodes, évoque, une fois encore, l’épée de Damoclès de la tragédie. Avec une grande subtilité, aidé par le format long de la série, Gilligan nous montre comment un Homme peut en devenir un autre en l’espace de deux ans, entraîné par son double dans un engrenage fatal.