le 20 févr. 2025
Sous les yeux depuis le début
Des retours comme celui de Bref, c’est quitte ou double : soit on salit le culte d’une époque révolue en voulant relancer la machine à billets, soit l’on revient parce que le temps du silence a...
Si tout le monde connaît Bref, beaucoup en ont gardé l’image de petites pastilles humoristiques diffusées sur Facebook et mettant en scène de courtes tranches de vie, narrées à toute vitesse par une voix off omniprésente, sur fond de musique électro. Peu de gens ont en revanche suivit le programme lors de sa diffusion au sein du Grand Journal de Canal +. Rares sont ceux à avoir vu cette simple capsule de talk show étoffer son lore jour après jour, arborer une mise en scène de plus en plus ambitieuse, développer une continuité narrative… Bref… Briser un à un tous ses carcans initiaux pour devenir une œuvre de fiction à part entière, chose qui ne s’était encore jamais vue à la télévision française ou en tout cas, pas de cette façon là.
Rappelons que le programme court Kaamelott avait attendu sa quatrième année pour instaurer une continuité entre ses épisodes, et que son évolution vers la série TV s’est opérée entre deux saisons, avec un changement radical de réalisation et de format. La transition fut préparée par la direction d’M6, là où celle de Bref a prit tout le monde de court, spectateurs comme scénaristes, puisque ces derniers qui n’avaient jamais rien réalisé auparavant, ne se sont posés aucune barrière créative. Accouchant ainsi d’une œuvre unique et générationnelle, qui laissa son empreinte sur tout l’audiovisuel français, y compris dans le monde des réseaux sociaux, où la forme atypique de la série avait su plus facilement trouver son public.
En ignorant tout ça, il est facile de voir un glow up considérable dans cette seconde série, mais les vieux de la vielle ne seront pas dupes. Toutes les qualités soi-disant propres à Bref.2 étaient en réalité déjà bien présentes dans la première monture. Que ce soit l’abolition des codes narratifs habituels en fonction des histoires racontées ; le recours aux métaphores imagées qui mettent des mots simples sur des choses extrêmement abstraites ; la mise en scène ambitieuse regorgeant d’effets de style et d’SFX pour donner du poids à toutes ces métaphores imagées ; le mélange entre drame, émotion, comédie ; et même la remise en cause du personnage principal.
Bref premier du nom dressait déjà le portrait d’un trentenaire immature et autocentré, dont l’incapacité à affronter ses problèmes finissait par le mener à une violente altercation avec son entourage, suivie d’une sévère dépression. Bien que la série embrassait son point de vue, elle ne prenait pas son parti pour autant. Ses défauts étaient systématiquement tournés en dérision et la toxicité de son comportement clairement exposée au grand jour, notamment dans les quelques épisodes adoptant la vision d’autres protagonistes, comme Marla ou cette fille (renommée depuis Sarah). Encore une fois, tout était déjà là. La seule différence, c’est que la première série était plus subtile dans son écriture, laissant au spectateur le soin se de faire son propre avis sur la nature du personnage, sans que celle-ci ne soit explicitement formulée par lui-même ou par ses proches.
Bref.2 n’est donc pas plus profonde que sa série mère et se révèle même formellement moins intéressante. Car autrefois, les auteurs attendaient toujours le moment opportun pour briser leurs propres carcans.
Comment oublier le premier baiser entre "je" et Sarah en temps réel, avec pour la première fois, le recours à des trucages numériques pour matérialiser physiquement le séisme provoqué par la concrétisation de cet amour ? Il en va de même pour les changements de point de vue que j’évoquais toute à l’heure, lorsqu’une situation vécue par "je", changeait subitement de perspective une fois racontée par Marla ou par Sarah, dans une succession d’épisodes qui, de surcroît, formait également une véritable intrigue en 3 actes. Et que dire de ce grand moment de craquage durant lequel "je", excédé par une mauvaise soirée, finit par lâcher tout ce qu’il a sur le cœur dans une longue séquence en temps réel, sans voix off ni montage frénétique pour dédramatiser la situation. Toutes ces cassures esthétiques renforçaient la dramaturgie de la série, lui apportant par la même une profondeur et une émotion que l’on ne lui aurait pas soupçonné, surtout si l’on se remet dans son contexte d’origine ; celle d’une simple pastille humoristique de talk show.
Non seulement la forme était en adéquation avec le fond, mais elle était également vectrice d’émotions, comme toute grande œuvre d’art qui se respecte.
Or, en adoptant d’emblée un format hybride, où le style s’adapte aux histoires racontées et aux sujets traités, Bref.2 ne pouvait plus reproduire ce prodige.
Alors rassurez-vous, je ne sous-estime pas pour autant la réussite de cette suite.
Même si la licence n’assume pas vraiment son changement de format, dans la mesure où un épisode de 40 minutes ressemble davantage à une compilation de petites pastilles allant de 1 à 5 minutes ; c’est justement ce format hybride qui fait l’originalité de la série par rapport au reste de la production française, et qui lui permet de garder un rythme de croisière convenable, sans subir les longueurs ou les ralentissements ayant fortement plombés Kaamelott avant elle.
Le nouveau format ne nuit donc ni à l’humour, ni à l’émotion et permet également aux auteurs de s’affranchir définitivement de toute convention stylistique, afin de mettre en scène leurs histoires de la manière qu’ils jugent être la plus pertinente possible.
Aussi, si Bref.2 n’a pas forcement grand-chose de neuf à apporter sur le plan esthétique, elle a en revanche beaucoup de nouvelles choses à nous raconter. C’est l’avantage des suites tardives, nous montrer ce qu’il a pu advenir de personnage que l’on avait perdu de vue depuis plusieurs années.
Ici, tous les protagonistes ont connu une évolution significative et cohérente avec leur vécu. Tous… à l’exception notable de "je" et de son meilleur ami Ben, reproduisant en boucle les mêmes erreurs depuis plus de 15 ans. Dans la plupart des séries, ce serait une facilité d’écriture permettant aux auteurs de reproduire le même type de situations encore et encore jusqu’à l’écœurement ; mais ici, cette stagnation de "je" devient le sujet même de l’intrigue. Elle va de paire avec une profonde remise en question du héros, désormais conscient de ses travers et luttant activement pour s’en défaire.
L’écriture en devient peut-être un peu plus manichéenne puisque, contrairement à la première série qui présentait des personnages ayant autant de défauts que de qualités ; ici tous sont irréprochables et font office de guides moraux pour "je". A l’inverse, Ben devient un antagoniste unidimensionnel. La personnification absolue de ce qu’aurait pu devenir notre héros sans sa remise en question. Un être fondamentalement mauvais et irrécupérable, n’agissant que pour ses propres intérêts, quitte à trahir la confiance de son ami d’enfance.
On peut bien sûr déplorer cette évolution d’écriture, caractéristique des séries d’aujourd’hui, globalement plus manichéenne et moins portées sur les anti-héros. Mais je passe facilement outre car "je" est obligé de porter un regard sans concession sur lui-même si il veut changer ses mauvaises habitudes.
Son arc de rédemption est d’autant plus compréhensible qu’il résonne avec le vécu de bon nombre d’entre nous. Car qui n’a jamais eu l’impression de rater sa vie ? D’être prit au piège dans un vortex de malheur sans issue ? D’avoir fait du mal à ses proches ou d’être incapable de leur communiquer ses tourments et de demander leur aide ? Soyons honnêtes, nous sommes tous, avons été ou seront un jour le mec de Bref ; et c’est pour cette raison que cette série nous touche en plein cœur.
Les auteurs n’ont donc rien perdu de leur talent. En bons stand-uppers, ils ont su une nouvelle fois mettre le doigt sur des aspects importants de notre existence. Des choses que l’on sent dans notre chaire tous les jours, sans pour autant être capable de l’exprimer avec autant de justesse. Kyan et Navo en profitent pour aborder de nouveaux sujets propres à l’âge de leur personnage (crise de la quarantaine, paternité, perte des parents…), ainsi que des éléments caractéristiques de cette nouvelle époque post metoo, où la masculinité toxique est de mieux en mieux comprise et condamnée par la gente masculine.
D’aucun diront qu’il est facile de plaire au plus grand nombre avec des choses aussi communes. Pourtant, il y a une différence fondamentale qui sépare Bref de Demain nous appartient, Scènes de Ménages et autres merdes télévisuelles ciblant également la ménagère de moins de 50 ans. La même qualité faisant le sel des meilleurs sketchs de Gad Elmaleh : on sent le vécu derrière les anecdotes rapportées. Il y a un point de vue personnel qui transparaît dans les détails et la précision des sentiments ressentis dans ce genre de situations.
Kyan et Navo ne s’en cachent d’ailleurs pas. En interview, ils précisent s’être entièrement basés sur leur expérience personnelle ou celle de leurs proches pour écrire le scénario. Et grand bien leur en a prit, car c’est justement en restant sur le terrain du personnel que l’on arrive à résonner aussi intimement avec ceux qui partagent le même ressenti que nous.
Alors certes, Bref.2 n’est pas aussi révolutionnaire que son aîné et peut souvent donner la sensation d’enfoncer des portes ouvertes. Mais elle le fait avec tellement de talent qu’il est impossible d’y rester de marbre. Tel "je" devant le film de sa propre vie, on peut avoir l’impression de contempler sa propre médiocrité à l’écran. La série nous tend un miroir sur notre part d’ombre, offrant avec humour de précieux conseils pour essayer de la comprendre et de la combattre.
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes SERIES, Les meilleures séries des années 2020 et Les meilleures séries de 2025
Créée
le 9 avr. 2025
Critique lue 61 fois
le 20 févr. 2025
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