Carnival Row
6.7
Carnival Row

Série Prime Video (2019)

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Saison 1 :

Et si le meilleur cadre pour la Fantasy, c'était la série TV ? Après le triomphe global - populaire mais aussi critique - de "Game of Thrones", il était prévisible que les ambitions d'Amazon Prime, cruellement distancée par Netflix, l'amène à aborder franchement le genre, en attendant a priori le défi d'une nouvelle adaptation du "Seigneur des Anneaux". "Carnival Row", mis en ligne sans trop faire de bruit, est pourtant une grosse affaire : dans une ambiance steampunk excitante, au cœur d'une cité façon fin du XIXe siècle née d'une fusion digitale réussie entre Londres et Prague, on nous propose un thriller fantastique bien troussé, qui peut rappeler le fameux "From Hell" d'Alan Moore, enrichi en outre de messages politiques anti-trumpiens, entre la fidélité que l'on doit à ses alliés (les "Critches" ici, les Kurdes dans notre chère et tendre réalité...) et la nécessaire humanité qui doit dicter la construction d'un monde acceptant l'immigration forcée et les changements sociaux que celle-ci induit. En ajoutant des acteurs intéressants - Orlando Bloom, désormais épaissi, dans son meilleur rôle, Clara Delevingne, surprenante, et Jared Harris, impeccable comme toujours -, et un gros budget d'effets spéciaux qui assurent une crédibilité totale à cet univers fortement référencé (Angleterre victorienne et bestiaire traditionnel, fées et faunes...) et pourtant joliment original, on obtient inévitablement un objet intriguant... Excitant même parfois, comme lors du très beau troisième épisode qui sort de la Burgue et revient à une Heroic Fantasy classique, ouverte sur de riches mondes imaginaires, et dans les deux derniers chapitres de sa conclusion, surprenante, engagée, où se réalise enfin pleinement le potentiel de l'histoire qui nous a été racontée.

Car, avant d'en arriver à cette excitante résolution, admettons-le, nous avons régulièrement été irrités de la prévisibilité d'une intrigue qui semblait avancer en mode "pilotage automatique" et surtout du simplisme de la critique très "politiquement correcte", très bien pensante, des réflexes racistes de la population de la Burgue vis à vis des réfugiés. Le sentiment de recevoir de la part de la série une lourde leçon de morale, illustrée très littéralement par des personnages simplistes et des situations caricaturales, ne nous a certainement pas aidé à adhérer à cet aspect de "Carnival Row" !

C'est donc une délicieuse surprise de réaliser que le propos devient finalement bien plus subtil, avec le dévoilement d'une intrigue notablement plus retorse que ce à quoi on s'attendait, et avec une vraie, belle ambiguïté de certains personnages (qui peut d'ailleurs renvoyer à certaines situations de "Game of Thrones"...). Politiquement même, la fin de la saison, qui décrit très bien comment une démocratie peut basculer très rapidement vers le fascisme sous la pression populiste et sous l'effet des mécanismes bien connus de la peur. Les dernières scènes, répétant symboliquement la création d'un ghetto comme celui, d'affreuse mémoire, de Varsovie, en deviennent superbement marquantes. Et sont à l'honneur d'une série qui se sera avérée bien plus convaincante que l'on imaginait a priori.

[Critique écrite en 2019]

https://www.benzinemag.net/2019/10/13/carnival-row-saison-1-fantasy-steampunk-et-immigration/

Saison 2 :

On se souvient qu’en 2021, les studios Amazon avaient investi pas mal d’argent sur Carnival Row, fantasy steampunk portée par d’imposants effets spéciaux… Le manque de succès, voire même d’intérêt pour ce travail pourtant ambitieux, en particulier par ses messages « politiques » de tolérance, et d’amour entre les races, a eu tôt fait de calmer les velléités d’Amazon, et il aura fallu attendre deux ans pour pouvoir regarder une seconde saison des aventures de nos « faes » (entendez nos « fées ») Philo (Orlando Bloom, plus mûr et a priori lesté d’une crédibilité nouvelle, mais ne reculant pas cette fois devant un cabotinage fatigant) et Vignette (Cara Delevingne, toujours pas une « vraie » actrice, il faut bien l’admettre) confrontées à la haine de la population humaine du Burgue, une sorte de version dystopique du Londres victorien.

Pire, alors que les cinq premiers épisodes de cette nouvelle saison prennent tout leur temps pour déployer une histoire décidément complexe, avec une multitude de personnages que l’on aimerait avoir le temps de connaître et de comprendre mieux, il se produit à l’épisode 6 une véritable rupture dans le scénario (que l’on imagine bien provoquée par l’annonce que la série ne sera pas poursuivie, pas reconduite pour d’autres saisons…) : en accumulant les raccourcis et les fausses solutions simplificatrices, en particulier en ce qui concerne le séjour d’Imogen et Agreus dans la cité dominée par la Nouvelle Aube, Erik Oleson, le nouveau showrunner et ses scénaristes passent alors la surmultipliée… pour pouvoir boucler, autant que faire ce peu, tous les fils narratifs au cours de cette saison, qui serait donc la dernière ! C’est tellement ridicule que cela gâche le plaisir que l’on prenait jusque-là, et cela ne nous conditionne vraiment pas à accepter une fin, pas si mauvaise que ça en fait, mais quand même frustrante par rapport au potentiel de la série.

On assiste donc à 5 épisodes qui ouvrent encore plus grand l’univers de Carnival Row, introduisant de nouveaux personnages porteurs de thèmes additionnels : Leonora, la cheffe très ambigüe des révolutionnaires, interprétée de manière convaincante par la revenante Joanne Whalley, et Mikulas Vir, émissaire du Pacte et diplomate manipulateur (Andrew Buchan, impressionnant) vont définir à eux deux une grande partie des nouveaux défis qu’affrontent les protagonistes de la première saison. Suivent 5 autres épisodes, qui referment le plus rapidement possible tous les sujets ouverts, nous privant cruellement de la profondeur qu’on attendait de Carnival Row.

Le vieux débat sur le bien (et le mal) que peut apporter à une société une révolution si on la compare à des réformes progressives, est illustré ici par l’affrontement entre le Pacte (ressemblant fortement à l’armée tsariste) et l’Aube Nouvelle, qui met en place les principes bolcheviks de suppression de la propriété privée, tout en instaurant une égalité sociale qui fait bien défaut dans la société. Se référer à la révolution soviétique de cette manière est judicieux, mais le manque de moyens (Amazon ayant certainement coupé les vivres) fait qu’on a du mal à croire à une guerre totale entre gouvernements et révolutionnaires : on n’a guère à l’écran que quelques escarmouches assez insignifiantes !

L’un des problèmes de cette complexification permanente des enjeux, de ce foisonnement d’intrigues secondaires mal maîtrisées, est que les personnages « principaux » que sont en théorie Vignette et Philo n’ont pas grand-chose de nouveau à apporter à l’intrigue de cette seconde saison : Vignette est perpétuellement en colère et fait n’importe quoi, Philo, en pleine incertitude existentielle, a du mal à choisir entre sa fidélité à la police et son nouveau statut de « critch » et fait n’importe quoi. Il est donc difficile au téléspectateur de se sentir empathique par rapport à des protagonistes qui semblent aussi vidés de toute substance. Ou comment devenir une série superficielle tout simplement parce qu’on a voulu trop en dire, trop en raconter !

Ce qui restera de cette semi-débâcle, ce sera sans aucun doute le redoutable – et très réussi – cinquième épisode (Reckoning) qui conjugue dans une ambiance gore délicieuse l’extermination de personnages importants et le dévoilement d’un monstre en CGI particulièrement répugnant. Ce que prouve cet épisode, c’est qu’il y avait au milieu de ce marasme, de quoi faire une série formidable, plus simple, plus directe, qui ne s’éparpille pas entre ses personnages et son discours politique.

[Critique écrite en 2023]

https://www.benzinemag.net/2023/03/25/prime-video-carnival-row-saison-2-les-consequences-nefastes-dune-serie-raccourcie/

EricDebarnot
6
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Créée

le 26 mars 2023

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Eric BBYoda

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