Castle Rock
6.2
Castle Rock

Série Hulu (2018)

À la croisée des livres de King (saisons 1 & 2)

SAISON 1


Ce n'est un secret pour personne, Stephen King a toujours adoré construire des passerelles entre les personnages et surtout le cadre de ses différentes oeuvres, le Maine est par exemple devenu l'état américain dont le ratio de phénomènes étranges par habitant alimenterait les X-Files jusqu'à coller un très méchant burn-out à Mulder et Scully. Ces clins d'oeil/private jokes ont même pris la forme de pièces de puzzle que ses lecteurs se régalent à assembler au fil des années pour constituer une sorte d'immense StephenKing-verse où tous les récits de l'écrivain coexisteraient dans un ensemble spatio-temporel cohérent. En ce sens, "Castle Rock" représente sans doute la quintessence de cette approche dans des proportions que l'écrivain n'avait sûrement même pas imaginé sur le papier : faire de ce StephenKing-verse un élément suffisamment fort à lui tout seul pour y raconter quelque chose d'inédit et dont son créateur n'est de surcroît pas à l'origine !
Dans la flopée d'adaptations des livres de l'auteur (surtout depuis le succès de la dernière de "Ça"), cette série représente un pari somme toute original et gonflé qui mise avant tout sur les connaissances du lecteur en se reposant sur les piliers bien connus des oeuvres de King et qui les met dans le même temps au service d'une nouvelle histoire se devant être à la hauteur d'un roman de l'écrivain. Le projet est donc aussi alléchant que risqué car, si le contenu se voulant "Kinguien" n'est pas à la hauteur du contenant qui, lui, l'est par essence, autant dire que la série va droit dans le mur...


À l'instar des liens tissés entre les écrits sur lesquels la série s'appuie, "Castle Rock" va rapidement prendre la forme d'un vaste puzzle, et ce, sur plusieurs plans.
En premier lieu, il y a bien entendu ce StephenKing-verse, un pêle-mêle de références des oeuvres plus ou moins majeures de l'auteur censé nous signifier que l'on est bien dans son monde et nulle part ailleurs. De ce point de vue, "Castle Rock" est une réussite ! La sensation de feuilleter une sorte de compilation infinie de la bibliographie de Stephen King est omniprésente. Que ce soit les décors inévitables du Maine où l'on croise certains lieux emblématiques ou la nature intrinsèquement ambiguë et complexe de sa galerie de personnages, la série a parfaitement compris comment tirer profit de son idée fondatrice de cadre best-of afin de retrouver l'ambiance d'une petite ville sous la coupe d'un mal insidieux la conduisant à sa perte. "Castle Rock" exhale bel et bien cette atmosphère d'étrangeté susceptible de faire basculer son histoire à tout moment vers le fantastique et les multiples facettes de ses pions humains amenés à y jouer un rôle essentiel sont toutes développées en osmose de ce souci de respect de l'écriture du maître. Bref, sur ce seul puzzle de cadre, on se régale, d'autant plus que la mise en scène et l'incroyable distribution d'acteurs est au diapason !
Seulement, et ce sera un premier problème de la série, à trop vouloir combler les attentes des fans en matière de références, "Castle Rock" va parfois les multiplier à l'excès, sans réelles raisons ou autres incidences sur le déroulement du récit. À titre d'exemple, on citera le personnage de Jane Levy : jeune actrice très douée reconnue pour deux hits du cinéma d'horreur récent, le remake de "Evil Evead" et "Don't Breathe", elle se retrouve ici à jouer une chauffeuse de taxi fan de crimes glauques (elle est bien tombée à Castle Rock) mais, au fil des épisodes, on se rendra vite compte que son rôle dans cette histoire est on ne peut plus mineur -voire inutile- et que la seule raison de sa présence tient au fait que son personnage est la nièce d'un des plus célèbres esprits malades créés par Stephen King sans que cela ne soit jamais exploité. Presque tout l'opposé d'un Scott Glenn en Alan Pangborn qui, lui, est parfaitement intégré à cette nouvelle histoire et paraît tout droit sorti des pages de "La Part des Ténèbres" ou de "Bazaar". Ce trop-plein de clins d'oeil va d'ailleurs être une des causes d'une construction trop artificiellement alambiquée autour de l'intrigue...


Encore une fois, sur le fond, "Castle Rock" prend la forme d'un véritable puzzle scénaristique qui porte incontestablement la patte des séries de son producteur, J.J. Abrams. Avec comme fil rouge la destinée miroir entre les personnages d'André Benjamin et Bill Skarsgård, "Castle Rock" va tisser une impressionnante toile de mystères entre tous les acteurs de son intrigue où, évidemment, le mal inconnu qui ronge la ville ne va faire que s'amplifier. À ce niveau, la série va en faire des caisses et parfois donner le sentiment de s'égarer ou de gagner à tout prix du temps sur sa résolution. Le surplus de références pas vraiment pertinentes dont on parlait plus haut a bien sûr sa part de responsabilité mais lorsque, au final, on s'amusera à dégager tous les détours pris par l'intrigue pour en retenir son tracé essentiel, force est de constater que "Castle Rock" nous aura beaucoup balader pour pas grand chose. Ces manipulations apparaîtront d'autant plus vaines que la trame principale ne se révélera pas si originale que prévue sur sa destination, la direction prise est certes maîtrisée et fascine toujours par ce qu'elle fait intervenir au niveau de l'imaginaire mais "Castle Rock" n'est clairement pas une pionnière sur cette piste, encore moins J.J. Abrams qui nage en terrain archi-connu (on pense forcément à une de ses autres séries mais chuuuut !), et, peut-être le comble du comble, ne fait pas obligatoirement penser à du Stephen King pur jus une fois tous ses tenants et aboutissants révélés (du moins pas immédiatement, le traitement et les thématiques utilisés nous y ramènent ensuite)...


Attention cependant ! Si l'apparente complexité du déroulement du récit apparaît trop superficielle pour réellement convaincre sur la durée, "Castle Rock" se révèle néanmoins toujours addictive dans son intégralité (personnellement, j'ai dévoré la série en à peine plus d'une journée, c'est dire !), l'envie de voir comment la série va relier entre elles toute la mosaïque de points qui la compose donne irrémédiablement le désir d'en savoir plus à chaque épisode et même ses errements scénaristiques les plus flagrants (mentions spéciales au "tribunal" avec les enfants ou au couple de nouveaux arrivants) sont toujours conçus comme des tableaux d'épouvante/horreur destinés à capter notre attention -on pourrait d'ailleurs un peu rapprocher "Castle Rock" de "American Horror Story" sur ce plan, les deux ont toujours quelque chose à proposer à ce niveau pour dissimuler leurs carences de fond.
Enfin et surtout, même s'il ne crée pas une déflagration de surprise dans le monde des séries, le récit de "Castle Rock" se révèle toutefois solide en s'appuyant sur son plus gros point fort : l'écriture autour de la plupart de ses personnages principaux avec toujours ce malin plaisir a les rendre quasiment tous fusionnels des événements gouvernant le sort de la petite ville. Cette ligue de destins amenés à communier de manière plus ou moins tragique autour d'un événement capital/fondateur sera la vraie lanterne de la série dans l'obscurité des méandres de son mystère artificiellement entretenu et la dotera d'une dramaturgie capable d'atteindre quelques sommets impressionnants dans cette première saison. Le dernier acte de l'épisode 4 dans la prison avec "Crying" de Roy Orbison pour l'accompagner en sera un des plus beaux car il sera baigné d'une violence nous actant instantanément la descente aux enfers définitive de Castle Rock mais le petit chef-d'oeuvre de la série sera bien sûr son époustouflant épisode 7. Centré sur le personnage de Sissy Spacek (for-mi-da-ble de bout en bout !), celui-ci prendra une fois de plus l'apparence d'un mini-puzzle dans ceux plus vastes de la série mais il sera ici avant tout d'ordre mental par un exercice de mise en scène virtuose sur l'esprit fragmenté d'une femme atteinte de la maladie d'Alzheimer et, de ses dérives poétiques dans une mémoire en perdition, il tirera une vague d'émotion nous submergeant devant sa magnifique conclusion, peut-être même plus que celle de la série finalement...


"Castle Rock" est donc une série qui a un énorme potentiel. Sa capacité à installer un StephenKing-verse, une ambiance qui s'y rapporte, ses thématiques sur la part sombre de la nature humaine et surtout des personnages parvenant à se fondre dans le même moule que ceux du plus célèbre romancier du genre arrive à concaincre, elle parvient même à atteindre des pics de réussites difficiles à contester. Reste le problème de savoir quoi y raconter et l'art et la manière de le faire... Cette saison a au moins le mérite d'offrir une intrigue suffisamment consistante à défaut d'être follement originale pour fonctionner mais, dans son intégralité, il n'est pas difficile d'y déceler toutes les astuces scénaristiques ou son avalanche de références plus ou moins utiles pour la prolonger plus que de raison par le biais de digressions discutables. Si des corrections nécessaires sont apportées en ce sens, "Castle Rock" pourra sans doute gagner en qualité dans sa deuxième saison et devenir quelque chose de bien plus grand. C'est d'ailleurs la promesse faite à demi-mot par le personnage de Jane Levy dans les derniers instants, c'est peut être d'ailleurs là le plus grand intérêt de son rôle, voyons-y un bon signe pour l'avenir...


SAISON 2


Retour à Castle Rock pour une saison 2 qui, comme la première, va prendre un malin plaisir à entremêler les univers et les références aux différents romans de Stephen King pour créer sa propre histoire inédite !
La première saison avait ses défauts mais elle avait réussit à prouver la viabilité de son concept par la toile d'araignée "Kinguienne" qu'elle construisait plutôt savamment pour en offrir des perspective intrigantes même si celles-ci donnaient l'impression de surgir sporadiquement plutôt que de manière constante. En tout cas, une chose était sûre, les promesses d'une série pouvant être encore meilleure étaient bien là et on était plutôt optimiste sur son devenir.
La bonne nouvelle est que cette saison 2 va confirmer que "Castle Rock" en gardait encore beaucoup sous la pédale pour nous séduire, la mauvaise est qu'en optant pour une montée en puissance qualitative (et donc plus croissante) des événements de son histoire, la série va être une fois de plus un brin inégale dans sa progression narrative.


Signalons d'abord que cette saison 2 va s'articuler autour de trois grands axes scénaristiques :


-Une dynastie familiale de petites frappes faisant sa loi à Castle Rock. Le patriarche "Pop" Merrill (la nouvelle "Le Molosse surgi du Soleil" de "Minuit 4" et ici interprété par Tim Robbins) a élevé quatre enfants : John "Ace" Merrill (croisé dans "Bazaar" et "Les Tomnycknockers") et Chris ainsi que deux enfants adoptés d'origine somalienne, Nadia et Abdi.


-La malédiction de Jerusalem's Lot que les fans du roman "Salem" connaissent bien et en train de se developper à la fameuse Marsten House.


-La star de la saison : la jeune Annie Wilkes incarné par une incroyable Lizzy Caplan qui, plutôt que d'échapper à la célèbre interprétation de Kathy Bates dans "Misery", va choisir de la reproduire jusqu'à être absolument terrifiante de mimétisme ! Caplan mériterait tous les prix de la Terre tant elle vampirise la saison par son identification bluffante au personnage du film de 1990 !
Ici, Annie Wilkes arrive à Castle Rock avec sa fille Joy dans l'espoir de décrocher un poste d'infirmière et ainsi voler des médicaments afin de soigner son esprit déjà défaillant.


Durant la première partie de cette saison 2, on assiste assez nettement à un "Annie Wilkes Show", la série mise avant tout sur la fascination entourant le personnage et elle a bien raison car Caplan le lui rend tellement bien à chaque scène que l'on ne veut plus la quitter. D'ailleurs, les prémices de la folie de Wilkes permettent surtout de masquer la très grande faiblesse du démarrage des deux autres axes : les histoires mafia-familiales des Merrill tournent au mauvais soap-opera (bon, avouons que voir Tim Robbins remettre les pieds au pénitencier de Shawshank provoquera un joli frisson) et la malédiction se construit trop à l'arrière-plan pour susciter le plus vif intérêt.
Comme un symbole, l'épisode 5 uniquement consacré à la jeunesse d'Annie Wilkes sera le meilleur de ce début de saison cahoteux, une réussite totale qui va enfin déteindre sur la suite de la série. Dès lors, les trois axes de la saison vont s'entremêler en un tout palliant toutes les faiblesses entrevues jusque-là. La famille Merrill devient enfin intéressante au cœur de l'action, la malédiction prend des proportions dantesques allant même jusqu'à jouer avec le format anthologique de la série (quelle bonne surprise de ce côté !) et, comme à son habitude, Annie Wilkes ne déçoit pas dans cette deuxième partie de saison visiblement décidée à ne plus s'arrêter de s'emballer pour notre plus grand plaisir !
Encore une fois, la conclusion de cette saison 2 se focalisera sur elle (le sort des autres survivants sera complètement éludé), preuve si besoin en était qu'Annie Wilkes est décidément devenue la meilleure résidente temporaire de Castle Rock. Kathy Bates doit être très fière de Lizzy Caplan.

RedArrow
7
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Créée

le 15 mai 2019

Critique lue 457 fois

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