Chair de Poule par Voracinéphile
Ah, il n’y avait que le revisionnage de ces vieux épisodes de chair de poule qui pouvait provoquer de pareilles sensations. Toute l’ivresse d’une époque enfermée dans un écrin aussi surdimensionné, aussi malade, aussi décomplexé… La série, par un manque de budget intégral, réussit d’une façon virtuose à cumuler toutes les imperfections du style de Stine (prénoms américanisants avec un accent français parfait, coup de stress nanars de fin de chapitre, blagues pas drôles et une morale complètement neuneu sur l’Amour plus fort que tout) en les subjuguant avec tout l’amateurisme de la confection de la série. Les acteurs sont intégralement mauvais, quel que soit l’épisode que l’on commence. Les effets spéciaux tiennent avec des bouts de ficelle (on les voit parfois d’ailleurs), la musique est si appuyée qu’on en vient à rire, et le cadreur s’amuse à pencher la caméra presque à chaque fois qu’un procédé horrifique est mis en scène. En fait, comment Chair de Poule s’y prend pour faire peur, mais pas trop ? C’est en caricaturant tous les procédés du genre horrifique. Tout y est excessif, surjoué, appuyé tellement fort qu’il en devient presque inoffensif (d’autant plus que toute violence est évacuée du récit (pas de sang) et que la menace est souvent en hors champ, ou réduite au néant par un procédé frauduleux (je pense par exemple à l’épisode « La colo de tous les dangers », où une espèce de grosse bête tape sur la porte pendant que les enfants se cachent sous les couvertures. Puis silence, gros plan de la poignée qui commence à tourner, on a peur… Coupure pub, puis re la poignée qui retourne, et là un chef de colo entre en disant « Mais qu’est-ce qui fait tout ce boucan ? »). Et c’est constamment ce genre de procédé qui est ressorti, amplifié, exagéré, quelles que soient les thématiques abordées par l’épisode en question.
Celui du masque hanté, le pilote de la saga (présenté par Stine qui spoile déjà la fin en disant que l’amour triomphe de tout), est à ce titre une merveille dans son genre, un parfait coup d’envoi du programme. Une gamine sursaute dès qu’on lui une blague, et Steevie et Andrew en profite bien en la faisant passe pour une peureuse devant toute sa classe. Bien résolue à leur rendre la monnaie de leurs pièces, elle se rend dans la boutique la plus mal famée de son village (cherchez bien, y en a toujours une) pour y trouver un masque vraiment effrayant. Le vendeur terrifiant lui demande pourquoi. « Parce que… je… je veux faire peur à toute la classe qui se moque de moi ! » « Aaah… Tu veux… te VENGER ! » " Oui !". A chair de Poule, on aime bien mettre les petits plats dans les grands ! Et une fois le masque hanté volé, le vieux, plutôt que de poursuivre la gamine, décide de fermer purement et simplement la boutique… Mais c’est génial, des réactions aussi illogiques ! Et quand le masque est enfin mis en place (avec l’utilisation abusive du plan à la Halloween avec les trous du masque), notre gamine se livre à de la délinquence juvénile en écrasant les citrouilles des voisins, en faisant peur aux petits enfants et en lançant des insultes (mais attention, comme la censure ne laisse pas passer la vulgarité, on a droit à du « vous êtes laids comme des vers de terre ! Ha ha ha ! » « Noooon ! Tu es méchante ! »). Elle a le diable au corps, cette petite, ce sont là les sentiers de la perdition ! Et c’est toujours cet excès qui fait finalement le charme de la saga, quelque soit l’épisode entamé. Peu importe le ratage de l’ensemble, l’esprit est là, et malgré le commercial on parvient à y trouver son compte (surtout que dans le registre du nanar, la série a de sérieuses prédispositions…).
Un dernier mot sur un de mes épisodes préférés : sang de monstre. Il s’agit d’une version enfantine du Blob de Chuck Russel, mais avec 1000 dollars de budget. Résultat : même Beware The Blob est plus impressionnant ! La créature, un chewing gum vert, est complètement ratée et provoque des éclats de rire à chaque apparition tant les incrustations numériques à la windows movie maker peinent à avoir une quelconque cohérence. Quant aux enfants, ils tentent de planquer la chose qui grandit sans arrêt à une mamie psychotique qui semble incapable de faire dans la finesse. Mais le mieux, c’est quand une méchante sorcière fait sont apparition. On se croirait tout droit revenu à l’époque d’Ed Wood ! Costume ringard, effets spéciaux monstrueux, on s’étoufferait avec nos tartines de nutella®. Et la suite, qui se déroule dans un avion, met les bouchées doubles ! Aspiration par la cuvette des toilettes, invasion de la soute à bagage (en faisant trembler l’avion, provoquant l’inquiétude du pilote) et aspiration complète de l’équipage sauf de nos gamins (sans doute parce qu’ils sont plus petits que les adultes). Et pour vaincre le monstre, ils lui lancent des plateaux repas afin qu’il fasse une indigestion… Mais what ? Et on vous promet un rebondissement à tomber par terre, avec tout le monde qui finit sain et sauf.
On termine sur le dénouement du sketch « Sous sol interdit » (autre référence incontournable de Chair de Poule, mes préférés sont Terreur sous l’évier, sang de monstre et Les vers contre-attaquent), où notre héroïne, après mainte péripéties, se penche sur un pot de bégonias pour les arroser, alors que ces dernières se mettent à lui parler… Et pour tout trucage, la fleur s’agite un peu. On imagine sans peine l’accessoiriste avançant légèrement sa main en hors champ pour agiter chaque fleur prenant la parole. C’est sur ce genre de bricolage que Chair de poule parvient à bâtir son capital sympathie, à la fois par un sens de la débrouille obligatoire vu la faiblesse du budget (l’épisode qui tiendra le plus la route sera La tour de la terreur et sa reconstitution d’époque kitch (avec des bâtiments avec des lampes électriques qu’on voit par les fenêtres…)) et par la nanardise de l’ensemble, dont la naïveté crasse finirait presque par nous convaincre de l’honnêteté de l’initiative première. Un monument de nostalgie…