Est-ce qu'il y a une maladie typiquement française qui consiste à toujours créer des histoires familiales compliquées autour des personnages de série ? Ici, en tout cas, le passé de chacun est tourmenté, voire le présent. On n'insistera pas sur les clichés, ils sont assez nombreux (repris de justice hanté par un vieux maître, psychorigide adorant finalement manger des champignons en pleine campagne, mafieux avec un cigare, chinois forcément soumis, jeune femme ambitieuse avec un problème d'addiction et un bébé sur les bras, mère forcément idéalisée dans les "rêves" parce que morte trop tôt). Au-delà de toutes ces apparences superficielles, et finalement très trompeuses comme toutes les apparences, "Chefs" s'avère être une pas trop mauvaise série (française, je précise pour les aigris de l'hexagone). Pourtant, il manque encore une vraie audace dans nos créations (un peu trouvée dans la formidable "Engrenages" qui s'exporte d'ailleurs très bien). Le premier épisode est extrêmement dense, bien construit, fourmillant d'idées (même si on sent un peu que c'est piqué sur d'autres, notamment sur l’ascension d'un rat qui faisait la cuisine coincé dans un chapeau de commis), mais cette tension, si elle reste présente, baisse un peu dans les épisodes suivants, la faute à des postures esthétiques, type plans fixes qui durent des heures pour rien, ou dialogues un peu plus fades. Mais ce sont surtout les situations qui sont de plus en plus rocambolesques et de moins en moins originales.
Si la trame principale est le parcours de Romain qui veut faire reconnaître son originalité à lui (et par-delà, celle de sa mère) contre un voleur de recettes qui perd son palais et son odorat puis son royaume tout entier - sa brigade-, le parcours est assez invraisemblable et, d'un épisode à l'autre, ce qui paraissait cruciale retombe complètement à plat (la menace du vendeur de truffes, la mort annoncée du restaurant, le conflit entre Romain et Yann, le coma du Chef, l'ambition du mécène ou encore l'excès de zèle de la "directrice des finances" du restaurant, voire même la course pour les légumes si rares d'un grand maraîcher). S'il y a une véritable intention de travailler des portraits, de relever le niveau du paysage des séries françaises ou encore de proposer un regard sur les saveurs, soit ce petit goût de la vie, celui que l'on retrouve par des rencontres, des regards, des batailles gagnées et que tout cela est plongé dans une mise en scène intelligente, imposante et une belle photographie ainsi que (certains) des dialogues plutôt bien écrits, on sent aussi que l'ambition est trop importante par rapport au rendu, qu'il n'y a pas assez de nouveauté, de liberté et surtout que les personnages ne sont finalement que des archétypes. Il n'y a qu'à s'attarder sur des détails qui enferment les personnages : être noir quand on fait la vaisselle, être toujours impeccable quand on est une femme d'affaire, le regard sur les paysans aussi (avec la révélation) ou encore cette tenue noire pour le chef, censée le distinguer, mais qui en fait encore plus un personnage insaisissable, trop enfermé dans sa posture de misérable plagieur incarné pourtant par un Clovis Cornillac convaincant et visiblement si habité qu'il en ferait presque un poil trop.