Un faux Pinocchio, un faux happy-end, mais un vrai questionnement social
Un hentai pathétique ? Une série pour pervers boutonneux et adolescentes niaises ? Non. Chobits est au contraire une série triste et intelligente. Et ce en dépit de toute apparence (ce qui n’est pas un moindre mot, compte-tenu justement de l’univers).
Car les dames de Clamp ne parlent pas ici d’une réalité fictive, mais bien d’un but recherché par les scientifiques japonais à l’heure où nous parlons. La création d’une entité copiant les capacités humaines tout en étant à notre service est bien l'un des buts avoués dans le développement des I.A. Et c’est justement l’un des points de mire de la réflexion dans Chobits. Il n’est franchement pas impensable d’envisager, dans l’hypothèse de l’évolution d’une telle technologie, qu’il y ait des conséquences drastiques dans le quotidien de tout un chacun. Et pas uniquement au Japon, car cela bouleverserait le monde entier et les rapports humains de façon insidieuse.
Tous les personnages dans Chobits ont d'abord une blessure liée à des persocoms (des ordinateurs personnels à forme humaine, capables de se substituer à n'importe quel humain, dans tous les usages possibles). Mais surtout tous ont été des espoirs déçus pour le héros, Hideki. Des espoirs de ne plus être seul, de se sentir entouré, d’être aimé, d’avoir une relation humaine physique, dans tous les sens du terme. Et si au final Hideki est un homme apprécié, il ne l’est qu’avec distance. Sa propriétaire disparait peu à peu de l’immeuble, son meilleur ami est parti vivre avec sa prof, etc…
En clair, si lui guérit les gens et les fait retrouver foi en l’humain, il ne lui reste personne en retour. Sinon de plus en plus de persocoms (il finit avec 3 d’entre eux). Et il sait pertinemment que Chii n’est pas réelle, dans le sens ou ses sentiments ne le sont pas. Au travers d’un livre elle tente certes d’appréhender le concept de libre arbitre et celui de l’amour. Mais elle l’interprète en des sens pragmatiques à outrance. Elle le dit elle-même : « ce qui plait à Chii, c’est ce qui plait à Hideki. ». Autrement dit, son intérêt est exclusif. Il n’y a pas de vie pour elle. Il n’y a que celui qui est avec elle. Quand Hideki part au travail, elle l’attend. Quand il revient, elle l’imite, et tente de le satisfaire. Elle ne travaille pas par volonté de découverte, mais parce que « ça fait plaisir à Hideki ». Elle dépense son argent pour Hideki. Il n’y a pas de monde en dehors d’Hideki. En clair : Elle obéit au diktat de son programme, qui lui incombe de trouver la personne qui s’occupera d’elle pour ensuite satisfaire toutes ses requêtes. C’est là sa représentation de l’amour. Chii applique ceci en donnant au héros l’accès exclusif à son sexe. Et pourtant cela ne signifie strictement rien pour elle. C’est simplement lorsque les gens tentent de la toucher qu’un système de défense, un programme, entre en ligne de compte.
Certes l’amour fait souffrir, mais son illusion est un piège encore plus douloureux. L’expérience de la prof. Shimizu, qui a fini par perdre son mari parce qu’il « a fini par préférer les persocoms aux humains » est évocatrice. Chii a toutes les allures de l’idéal amoureux. Elle est jolie, elle est attentionnée, elle est préoccupée, et ses réactions sont touchantes de naïveté. Mais au fond, c’est exactement ce qui a été fait d’elle. Un programme pour ça. Et dans l’hypothèse d’un tel monde, il serait absolument impossible de distinguer si une machine, évolutive, qui plus est, nous parle de sentiments, pleure, rit avec sincérité ; ou bien si elle suit bêtement une ligne de programme.
C’est là le message final de cette série. Hideki est laissé par la vie de chacun. Il aide les autres à se retrouver eux-mêmes, entre humains. Mais se retrouve seul à son tour, avec personne pour l’aider. Seule Chii, fidèle à sa « logique », lui demande d’être son compagnon, précisément à ce moment-là de solitude. Alors Hideki abandonne et s’abandonne. Et ce qui est un apparent happy-end n’est je le crois qu’une allégorie cynique de la solitude amoureuse. Une qui nous dit que vivre c’est aller au contact, éprouver la douleur humaine. Et qu’au-delà, c’est trouver un peu d’amour dans ce qui ne se substituera jamais à l’homme. Sans quoi, nous sommes condamnés à vivre un tel futur. Sans aller dans la science-fiction, il suffit de voir aujourd’hui :
Plus de 30% des couples se séparent par sms ou par réseau social. Et se trouvent de manière relativement similaire. Il n’est pas difficile d’effacer un numéro de téléphone, de rayer un contact sur les réseaux sociaux. Si une personne n’est pas libre un soir ou l’on se sent seul ou qu'on s'en lasse, il y a d’autres numéros. Quand on a de telles facilités à rencontrer ou à s’éviter, nous ne sommes pas obligés de nous livrer. Et il n’est pas que la société japonaise qui vive dans un univers virtuel et peu communiquant. Nous nous exprimons peu au fond. Nous ne voulons pas de quelqu’un de compliqué, de torturé. Bref, nous effleurons la surface des choses. Car s’impliquer trop est douloureux, contraignant, parfois conflictuel et cruel...
Aussi, comment ne pas imaginer qu’un jour, si une machine pouvait permettre l’équivalent de Chii, comment ne pas envisager que nous puissions en tomber amoureux ? Tout semblerait alors tellement idéal et simple…
Voilà ce qu’est Chobits. Une œuvre triste et mélancolique, qui nous dit qu’il faut vivre, se confronter aux autres, même s’il faut pour cela souffrir.
Chobits est donc plus que ce qui apparait. Beaucoup plus je le crois.
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