Clannad, une expérience thérapeutique

Tu essaies de ne pas te causer de souffrance, pas vrai ? Mais vu la situation actuelle, tu vas forcément devoir faire du mal à quelqu'un. Plus tu attendras pour te décider, plus la blessure sera profonde.

Introduction

Quand je fais la vaisselle, je bascule très vite en "mode par défaut" : ce fameau réseau cérébral qui s'active lorsqu'on ne fait rien ou quelque chose de très automatisé, et qui nous plonge dans nos pensées et rêveries. Quand on est de mauvaise humeur, ou qu'il nous est arrivé un truc difficile, le mode par défaut va nous faire ruminer ; mais quand on est de bonne humeur, il va nous plonger dans des considérations profondes sur notre vie et le reste.

Alors aujourd'hui j'étais de bonne humeur apparemment. Et le mode par défaut m'a renvoyé 5 ans en arrière... et à Clannad. Je l'avais oublié, ou plutôt jamais vraiment remarqué, mais je pense que Clannad a eu un impact fondamental sur qui je suis aujourd'hui et sur ma capacité à être heureux.

J'avais déjà vu Clannad avant cette période et j'avais adoré : beaucoup ri, beaucoup pleuré. Et moi j'adore ressentir des émotions fortes devant des oeuvres cinématographiques.

Alors pendant plus d'un an, je me suis forcé à ne pas regarder Clannad à nouveau, pour pouvoir le revoir un jour et revivre ces émotions au plus proche de quand j'ai découvert l'anime.

Au moment où je decide de revoir Clannad, je suis en première année en fac de psycho, et ça marche pas ouf : j'arrive pas trop à me faire au rythme et à m'intégrer et la dépression commence à s'installer mais je m'accroche parce que j'ai peur de ce qu'il pourrait se passer si j'échoue. Après plusieurs mois je me rends à l'évidence : j'ai trop tiré sur la corde et je suis au bout, il faut que je lâche. Et puis de toute façon j'ai plus d'énergie donc autant give up et se reposer plutôt que de continuer à croire que je vais réussir à retourner en cours. Donc j'arrête et je reste chez moi, je sors presque plus pendant des mois. Je joue aux jeux vidéos pour faire passer le temps et pour pas penser à la culpabilité d'avoir abandonné, et aussi parce que la dépression rend apathique et plus rien me donne envie.

Petit à petit je commence à reprendre des forces et de l'intéret pour des choses, et les émotions reviennent peu à peu et ça fait du bien. Alors je me dis "c'est peut-être le moment de revoir Clannad !"

Une série qui fait des allers-retours entre fusion et défusion

À cette période, j'avais l'impression qu'il fallait que je change, mais je savais ni comment ni quoi changer. C'est justement sur ça que ma aidé Clannad. Et aujourd'hui, je comprends bien pourquoi. Patience, je vais y venir.

Depuis, j'ai recommandé cet anime a tour de bras a des amis. Et peu ont vraiment accroché : "c'est cliché", "les personnages/situations sont ridicules" etc. Et moi je suis persuadé qu'au contraire, Clannad joue avec les codes des animes pour les tourner en dérision. Mais avec la subtilité que... bah pas tout le temps. Dans Clannad – et c'est ma lecture des choses —, on alterne sans arrêt entre une fusion avec l'histoire, les personnages, les clichés des animes ; et une défusion avec la prise de recul, l'auto-dérision, la satyre. C'est ce qui en fait d'après-moi la force incroyable. Mais on pourrais me dire "donc en fait quand ça t'arrange c'est 1er degré, et que ça t'arrange aussi c'est de l'humour de 2nd degré. Comment tu justifies ta lecture des choses ?"

Et ma réponse : "Tomoya Okasaki !" (le nom du personnage principal). Car une bonne partie de l'humour de la série, c'est de voir Tomoya assister à des scènes absurdes et les commenter d'une manière très détachée pour en expliciter l'absurdité. Ça donne un peu l'impression qu'il est un un alien qui découvre l'humanité, mais qui n'est pas naïf pour autant. Juste quelqu'un qui sait garder un point de vue d'observateur non-jugeant, qui va laisser au spectateur le loisir de juger.

Et voilà le point : grâce à Tomoya, on aperçoit de temps à autre le recul du réalisateur par rapport à son oeuvre. Tomoya attire notre attention sur certains aspects clichés et souvent risibles des animes (les grosses ficelles scénaristiques moches qui transpercent l'écran, les filles kawai sans personnalité), mais sans toujours en suivre la tendance (après tout, son objectif du début à la fin reste le même (Nagisa), peu importe les tentations). Mais ce qui rend la série forte en émotion, c'est quand même que Tomoya suive comme tout être humain, le flux qui traverse le système dans lequel il vit (il est le BG dark au milieu du harem, sa meuf est une kawai presque ridicule et lui le mâle protecteur). Il est parfois en fusion, parfois en défusion ; parfois soi comme contenu, parfois soi comme contexte.

Et voilà ce dont j'avais besoin dans la vie : être davantage observateur non-jugeant, moins hameçonné par les pensées négatives et la signification que je donne aux événements. En tout cas c'est ce que j'ai remarqué aujourd'hui... à l'époque je me disais juste "j'aime bien sa manière d'être, j'aimerais bien être pareil".

Parce qu'aujourd'hui je suis psychologue, et je comprends quels sont les processus derrière tout ça donc j'ai des mots à mettre dessus (la défusion, la pleine conscience, le soi comme contexte etc.). Aujourd'hui, je connais la thérapie ACT, et j'ai compris que Clannad était pour moi un guide de modeling pour m'impreigner de ses processus thérapeutiques.

Une série comme contexte

La thérapie ACT, c'est une thérapie de la flexibilité psychologique : apprendre à vivre en allant vers ce qui compte vraiment pour nous, et ce malgré la souffrance (qui fait partie intégrante de la vie humaine). Pour atteindre la flexibilité psychologique, l'ACT préconise de travailler le fait de rester au maximum en contact avec le "soi comme contexte" (être observateur des événements externes comme internes, sans s'accrocher à eux comme s'ils nous définissaient --> Ex : Penser que je suis une merde n'est qu'une pensée, ça veut pas dire que je suis une merde). Et pour cela : recourir au non-jugement, à la pleine conscience ; et être en contact et aller vers ses valeurs pour vivre la satisfaction qui va avec.

Dans Clannad, même si Tomoya est un personnage profondement malheureux, il ne le juge pas, et continue d'avancer vers ses valeurs : vivre avec Nagisa, s'intégrer socialement en travaillant, profiter de ses amis et les aider. Mais il n'est pas non plus l'être humain ACTivement irréprochable : les "bons" comportements qu'il met en place dans sa vie, il les fait pour échapper à la peur de devenir comme son père, plutôt que par réelle connexion avec ses valeurs.

Mais dans une vision encore plus "méta", Clannad est un anime remarquable par sa flexibilité : il joue avec les codes de l'anime sans se laisser définir par eux, et dessine sa propre voix plutôt que de suivre la tendance, sans totalement la renier non plus. Clannad est donc une "série comme contexte" (🤔), et c'est ce qui la rend à mes yeux si humaine, attachante, et profonde.

C'est écrit un peu à chaud donc j'espère que ça vous paraîtra pas incohérent (car mon but est quand même d'être lu), mais voilà ce que j'ai réalisé aujourd'hui en faisant la vaisselle.