Avant Nausicäa il y avait Conan, première série entièrement réalisée par Hayao Miyazaki (et globalement première œuvre d’envergure de celui-ci, qui n’avait jamais été seul à la tête d’un projet avant ça). Et dans Conan il y a avant tout Conan lui-même, et Lana, et leur relation. C’est impressionnant de voir la force qui est donnée au lien qui unissent ces deux enfants, qui immédiatement deviennent tout l’un pour l’autre, sans mièvrerie car tout passe par l’intensité qui traverse leurs visages et leurs corps, la magie télépathique qui fait se rejoindre les plans où l’un appelle l’autre. Ces deux là sont nimbés d’une grande pureté, on les sait immédiatement incapables de faire le mal (pourtant sur le papier Conan est un surhomme couplée d’une tête brûlée qui fait aisément parler ses poings), eux qui sont d’une génération post-apocalypse, qui n’ont pas été souillés par les péchés de l’humanité. C’est donc à eux qu’il appartient de construire le nouveau monde. L’essentiel de la série tient en cela (il y a moult personnages et péripéties mais le cœur vibrant du show est là avant toute chose) et je répète que c’est épatant qu’on ne verse jamais dans le mièvre… Les ambitions écologiques de Miyazaki sont évidemment déjà là, mais le discours sur la nature est loin de tenir une place aussi centrale que par la suite – le contraste avec Nausicaä, dont le manga paraîtra 4 ans plus tard, est déjà saisissant – Conan montre davantage le Miyazaki marxiste, et met en scène des questions sociales de classe, de travail, de partage des ressources…
Chez les quelques détracteurs de Miyazaki, on peut lire que son chara-design est fade, trop simpliste. La raison principale qui fait de ce réalisateur mon favori du monde de l’animation, c’est précisément ce souffle dont le mot animation tire sa racine ; le souffle, la vie. Très rarement les choses sont inertes chez Miyazaki, et particulièrement ses personnages, dont les apparences simples laissent grand ouvert leurs possibilités d’expression ; leur tension, leur souplesse… il passe tant de choses dans le visage d’un Conan qui se tend de rage en gros plan, et qui en quelques secondes se canalise afin de pouvoir faire le bien au lieu d’agir violemment, dans la colère. En dépit d’un budget forcément géré différemment sur une série télé par rapport à ses futurs films (sans compter l’époque, 78), Conan (la série) respire la vie et le mouvement. Conan (le perso) est invincible ; acrobate et surpuissant, il se permet toutes les cabrioles et épreuves de forces, et semble avoir été créé précisément pour laisser libre court à l’imagination des animateurs. Ce qui laisse place à de nombreuses scènes mémorables, des visions nées de l’imagination d’un enfant, incarnées en animation.
Autour de Conan et Lana, il y a beaucoup de joyeux bouffons… Et globalement un ton burlesque qu’on ne retrouvera jamais avec le même dosage dans ses œuvres futures. Le côté « dessin animé pour enfant » peut-être, mais en tout cas ça permet de saisir avec une acuité particulière ce côté guignol qui restera toujours présent, mais plus discret par la suite, par des grimaces, des rires emphatiques, des corps qui chutent... Ça n’empêche pas la série d’être un peu vieux jeu sur certains points ;
peut-être le plus dommage est l’évolution du personnage de Monsley, cruelle lieutenant qui finit par s’attendrir comme une viande trop battue, qui avait du potentiel comme l’ont tous les méchants-devenus-gentils mais qui passe trop vite à la position confortable de compagne inoffensive en puissance. À côté de ça Conan incarne une certaine idée d’ultra-masculinité, mais pas problématique en tant que tel… il faut plutôt regretter que les contreparties féminines aient droit au traitement princesse en détresse (Lana, même si ça n’est pas si simple et que ses forces sont soulignées dans la série), teigne pleureuse (Tera la tsundere) ou bien femelle autoritaire à pacifier (Monsley). Il faut tout de même rappeler que la plupart des personnages principaux sont des sots finis et attachants, ou bien des criminels repentis. Les seuls véritables parangons moraux restent Conan et Lana. Mais ces questions se posent ne serait-ce que parce que la série s’achève sur la promesse d’un nouveau monde plus moral et plus juste.
Je finirai juste en disant ce qui que je n’ai pas vraiment dit directement – même si je pense qu’on le devine à la lecture : Mirai Shounen Conan est une grande, grande série d’aventure. Semblable à nulle autre, et même unique dans l’animographie commençante de son créateur. On aurait tort de la considérer comme un simple "début", ou pire une ébauche, un brouillon de choses qui ne fleuriront qu'après. Sa valeur résiste aux pulsions historiologiques. Je vous laisse, comme j’aime bien le faire, avec quelques séquences d’animation (sans spoil) qui j’espère vous donneront l’eau salée à la bouche :
Pendant la vague
Les forces d’attraction
Chimpanzés dans les fleurs
Encore un dessin animé où les balles ratent leur cible
Horreur holographique