Cowboy Bebop est de ces animes qui ont marqué toute une génération, si culte et populaire que l’idée même de le réadapter vingt ans après la sortie du film frôle le sacrilège. Quand on sait toutes les déceptions engendrées par cette longue mode de revivals (Terminator Dark Fate, Alien Covenant, Robocop, Ghostbusters, les séries MacGyver et Magnum, celle en live action Death Note et les animes en CGI Saint Seiya et Ghost in the shell 2045), il y avait en effet de quoi craindre pour la qualité de cette adaptation en live action du chef d’oeuvre de Shin’ichirō Watanabe. Et force est de constater dès l’entame de cette première saison que toutes les craintes des premiers fans étaient fondées.
Pourtant on se serait presque pris à croire à une exception de qualité en voyant les moyens mis par Netflix dans ses trailers : effets spéciaux « spatiaux » irréprochables, reprise du Tank! d’ouverture de Yōko Kanno et séquences clignant ouvertement de l’oeil aux passages cultes de l’anime. De quoi espérer tout autre chose que le forminable remake live de Death Note produit par la même plateforme.
Hélas, passée une scène d’ouverture plutôt réussie (dans le Watanabe’s bar) et qui cligne ouvertement de l’oeil à celle du film Cowboy Bebop de 2001, la série aligne rapidement toute une tripotée de défauts, tant stylistiques que narratifs.
D’un point de vue purement formel tout d’abord, la série souffre d’une mise en scène mollassonne qui abuse de plans inclinés en veux-tu en voilà pour essayer d’imposer sa propre identité visuelle. L’artifice est tellement suremployé ici qu’il en devient rapidement trop visible et agaçant. Dans le langage cinématographique, les plans inclinés sont censés souligner la tension d’une scène et annoncer un rebondissement imminent. Or, dans cette série, ce type de plans sera utilisé en guise de signature stylistique pour tout et n’importe quoi, afin de permettre des perspectives spatiales et des angles de vues « originaux » mais souvent au détriment de la moindre logique formelle. Un exemple comme un autre, Spike marche tranquillou au marché et sa promenade sera filmée sous toutes les coutures… en alternant plans inclinés, travellings tape-à-l’oeil mais inutiles et plans parfaitement centrés. Plus qu’une faute de goût, cette approche visuelle apparait comme un véritable cache-misère stylistique censé occulter les lacunes d’une réalisation sans réelle inspiration.
D’autant plus que la série pâtit également d’un énorme problème de rythme. Je ne parle pas simplement des scènes d’action et de combat qui sont souvent, bien qu’aérées par une mise en scène en mouvement, d’une mollesse affligeante pour une production de ce coût (il aurait été tellement plus judicieux de retravailler les premiers combats de la série au montage pour les rendre plus percutants), mais aussi de la structure même de chaque épisode dont les scénarios bourrés de tunnels de dialogue tentent vainement d’étirer des intrigues se prêtant difficilement à un format de 45 minutes.
Il suffira ainsi de visionner les deux premiers épisodes pour s’apercevoir que la série ne fonctionne pas. Et les plus courageux (ou masochistes) n’auront qu’à visionner le restant de cette première saison pour constater que tous ces défauts ne sont jamais vraiment corrigés.
Sans grand intérêt, les scénarios n’offrent que peu de rebondissements ni même de scènes vraiment mémorables. Tout reste dans les rails, bourré de clichés et facilement prévisible (triangle amoureux, jalousie, trahisons en pagaille, méchant au complexe d’infériorité, kidnapping de la gamine, etc…). Ce Cowboy Bebop-là se contente de pomper paresseusement les intrigues et la mythologie de l’anime original en en mixant les éléments pour proposer son propre développement dans des intrigues verbeuses et souvent ennuyeuses. Si l’anime se présentait comme une série épisodique, dont la plupart des épisodes pouvaient s’apprécier individuellement, cette déclinaison Netflix privilégie sans surprise une approche plus feuilletonesque et tente de développer le background de ses protagonistes en nous réservant même un petit twist en fin de saison. Le problème c’est que dans cette volonté de faire plus long, chaque épisode tire péniblement à la ligne et comble ses lacunes en alignant humour lourdingue et clins d’oeil censés flatter la mémoire des premiers fans. Comme si le fan service suffisait à lui seul à rattraper les scories d’une adaptation foireuse. On retrouve donc ici et là des scènes de la série originale filmées au plan près, et souvent les mêmes antagonistes (il y a en tout et pour tout une poignée de nouveaux personnages), dans des intrigues légèrement remaniées (on ne comptera que trois histoires inédites) mais bien moins funs, percutantes et addictives que celles de l’anime.
Pire, dans sa bête volonté de restituer l’ambiance de SF colorée du dessin animé, toute la série sonne faux. En essayant de coller au plus près au design de l’anime original, les auteurs de cette déclinaison n’ont pas pensé que ce qui marchait pour un dessin animé paraitrait probablement ridicule dans une adaptation live.
Si les plans en CGI sont somptueux, la réalisation les alterne avec des scènes aux décors de studios (souvent des entrepôts ou des coins de rues) faisant pour la plupart terriblement toc et exsudant parfois dans ses flashbacks (ceux à la rose) des relents de telenovelas dignes du pire d’une fiction mexicaine. A l’image de ses acteurs qui, prisonniers du look originel de leurs personnages, ressemblent plus à des fans cosplayeurs tournant une websérie qu’à de véritables pros tournant pour une prod de plusieurs dizaines de millions de billets. Si John Cho tente du mieux qu’il peut de donner à son Spike la nonchalance de son modèle et que Daniella Pineda retrouve parfois la malice de Faye, les autres acteurs échouent quelque peu à rendre leurs personnages sinon intéressants au moins attachants. Le personnage de Jet Black en particulier, incarné par Mustafa Shakir, s’apparente ici moins au Jet de l’anime qu’à une sorte d’épouse au foyer possessive, continuellement sur le dos de Spike. La palme du plus mauvais acteur revient indéniablement à Alex Hassell, véritable erreur de casting tant son look ridicule et son jeu caricatural au possible ne restituent jamais la froideur imperturbable et inquiétante du Vicious original. Son Vicious n’est qu’un banal psychopathe aussi impulsif que possessif et sans une once de charisme.
Quant à Radical Ed, elle est la grande absente de la saison. La simple mention de son nom au détour d’un dialogue à mi-saison et son apparition dans la toute dernière scène ne sont qu’une bête carotte censée appâter les fans pour une saison 2 (plus originale ?).
Reste-t-il donc quelque-chose à sauver de cette adaptation ? Euh… oui…
Argument numéro 1 : Yōko Kanno rempile à la musique et sa B.O. est toujours aussi jazzy.
Argument numéro 2 : le générique d’ouverture colle assez près à celui de l’anime (mis en musique par Yōko Kanno).
Argument numéro 3 : Yōko Kanno est géniale même quand elle compose pour un navet surfriqué de dix épisodes.
Argument numéro 4 : les infographistes ont pompé 70 % du budget pour faire un formidable travail sur les plans d’ensemble futuristes et de vols spatiaux.
Argument numéro 5 : certains gags fonctionnent malgré tout (celui où Jet danse bêtement pour encourager sa gamine alors qu’en arrière-plan Spike se coltine à lui seul tout une tripotée de tueurs).
Argument numéro 6 : « Tous ces souvenirs se perdront dans l’oubli comme les larmes dans la pluie » Pierrot « Roy Batty » le fou.
Argument numéro 7 : la série est par moment si peu trépidante qu’elle peut pousser les spectateurs à l’arrêter à tout moment pour privilégier des activités bien plus intéressantes, comme binge watcher les 28 saisons de Joséphine ange gardien par exemple.
Argument numéro 8 : même en prises de vue réelles, Ein est toujours aussi mignon.
A part ça, je ne saurai trop conseiller à ceux qui découvrent l’univers de Cowboy Bebop de zapper cette adaptation médiocre pour lui préférer l’anime original, également disponible sur Netflix, et bien plus fun, dynamique, subtile et touchant que cet ersatz américain opportuniste.