Le fait est qu’aujourd’hui, la série tient une place centrale dans le médium télévisuel. Puisque le cinéma est plus que jamais infortunément une affaire de gros sous et que l’innovation scénaristique ne s’agrège plus qu’au seul grand écran, il faut bien alors considérer ce format audiovisuel pour ce qu’il est devenu depuis une dizaine d’années : un véritable écrin où brillent l’audace et l’intégrité de cinéastes en manque de liberté chez leurs voisins du 7 ème art.
Sans revenir sur l’avènement des chaines câblées américaines qui ont permis l’émergence d’une nouvelle lignée de créateurs majeurs (cela a été disséqué et analysé un peu partout), il faut bien comprendre l’impact que cela caractérise chez les tenants de l’auteurisme mondialisé. Notre consommation effrénée de nouveaux programmes a poussé des chaines telles que Arte et Canal+ à acquérir d’illustres compagnons : Jane Campion s’est ainsi récemment démarquée avec son Top Of The Lake tandis que les nordiques débarquaient en force dans L’Hexagone avec Bron, The Killing, Borgen ou encore Real Humans. Les israéliens n’ont pas été en reste puisque sont venues dans nos contrées Hatufim et Hostages entre autres. Mais il fallait un événement encore plus conséquent pour entériner définitivement l’avènement du format.
On le sait, Paris est précurseur de bien des choses culturelles. Et son appétence pour le défrichage se vérifie fréquemment. Pas surprenant donc que le premier grand festival international de séries prenne place dans notre bonne vieille capitale. En place depuis sept ans, il accueillait pour la toute première fois dans cette édition 2016 une compétition débordant largement des frontières européennes. L’occasion de vérifier et de confirmer que l’incursion de la star néo-zélandaise n’était pas qu’un feu de paille.
Lucia Puenzo, reconnue des amateurs de films argentins, n’est pas une débutante dans l’industrie. Également écrivaine de romans à l’audience ténue mais de plus en plus affirmée, elle a su se faire un nom grâce au Festival de Cannes. Récompensée du Grand Prix de la Semaine de la Critique en 2007 pour son premier (et sensible) long-métrage XXY ainsi que d’un Goya espagnol du meilleur film étranger, elle y est depuis revenue régulièrement. Cromo, son nouveau projet, était présenté en première européenne pour ce « Séries Mania » en ce mois d’avril 2016.
Il est évidemment ardu d’argumenter un avis pertinent sur deux épisodes d’une série qui en compte douze. Tenons-en nous alors à une simple chronique détaillée. Aidée de ses complices Nicolas Puenzo et Pablo Fendrick (ce dernier étant pareillement un habitué de la Croisette), la scénariste-romancière semble tisser une intrigue sentimentalo-écologique tendue et épurée. L’enjeu dessine en creux un portrait kaléidoscopique des clivages de la société argentine sur les questions de l’environnement. Il faudra en voir bien plus pour comprendre quel destin lie tous les personnages. Mais la piste meurtrière qui parait se dessiner autour de la figure centrale de la scientifique Valentina indique une orientation de thriller aux contours encore flous.
La nature y trouve une place conséquente et les paysages filmés en panorama sont d’autant plus resplendissants qu’ils résonnent à nos yeux comme de possibles métaphores de la sauvagerie humaine. Située pour l’instant autour d’un axe fort montagne arctique castratrice-marécage aquatique carnassier (les crocodiles y rôdent patiemment dans l’attente de chair fraîche), l’intrigue installe une rivalité amoureuse qui pourrait bien éviter l’écueil du roman-photo. L’activité annexe de la cinéaste se ressent en ce sens qu’elle influe une dynamique d’écriture particulière pour faire vivre ce petit monde en quasi autarcie. La réalisation en épouse consciencieusement le rythme et en dicte le tempo « mezzo-vocce ». Car nous ne sommes pas ici dans la caricature frénétique des homologues US. Il faut appréhender la lenteur du schéma comme une volonté explicite de chercher en notre compagnie les indices clefs de l’enquête.
En somme, un point de départ très attrayant pour Cromo qu’il nous tarde de découvrir plus en profondeur. Puisse nos chaines moins généralistes daigner bousculer leurs antennes pour faire de la place à cette petite pépite en devenir.