Avant toute chose, il faut savoir que La Terreur et la Vertu est tiré de la longue série de La Caméra explore le temps, diffusée de 1957 à 1966 sur la chaîne française de l'ORTF, et que ce diptyque n'est pas une série en soi, même si on ne pouvait la qualifier de double long-métrage. Stellio Lorenzi fut l'un des principaux réalisateurs des différents épisodes, et Danton-Robespierre se classe aux côtés d'autres moments forts de l'émission comme Les Cathares, Les Templiers, L'affaire Calas...

Ce qui frappe en revenant d'un tel moment, est déjà l'esthétique globale, qui ne nuit à aucun moment à la force de l'oeuvre. Un noir et blanc sobre, simple, presque froid, bien sûr d'époque, qui garde les traces des années, met en scène les personnages historiques de Danton, Robespierre, Desmoulins, Saint-Just. La caméra de Lorenzi, déjà rompue à l'exercice de la reconstitution, se devait d'être suffisamment ajustée pour que le regard ne se perde pas entre les lignes, riches et complexes d'une telle intrigue et de telles figures. Les décors sont modestes, pourtant on ne peut plus efficaces et fidèles à l'esprit de l'époque. Ici laisserai-je une brève parenthèse. Comment affirmer, de mes faibles connaissances historiques, connaissances sur lesquelles nous ne saurions nous étendre, que ce décor (et peu importe le résultat final et son apport à l'intrigue de La Terreur et la Vertu) puisse, quel qu'il soit, être justement considéré de fidèle historiquement ? Il faut y voir ici une simple et admirable impression laissée par la réalisation. Tant les personnages, l'époque, les enjeux des paroles et des actes se dégagent, tant ils sont mis en avant par ces modestes salles, tribunes, lieux de rassemblement, qui devaient bien être celles d'un Paris post-révolutionnaire grouillant en quête d'une harmonie, d'un rétablissement, d'une gérance de la guerre qui éclate aux frontières de son pays, tant nous sommes plongés en spectateurs de ces discours, on ne peut qu'admettre, au fond de notre subjectivité : "Dieu, voilà notre passé." La sobriété, les phrases qui claquent, les décisions et les coups de force. On ne rate rien et notre regard ne se perd jamais. Nous savons où regarder, qui écouter, et pourtant nous avons une liberté de spectateur. Liberté peut-être restreinte, mais là est l'enjeu de la période mise en scène. La liberté, les droits, le bonheur. Le titre de cette critique est une phrase de Saint-Just, ami de Robespierre, qui le fut jusqu'à la fin, dite par son interprète, un Denis Manuel brillant (notons qu'il a joué dans un Melville) à un moment-clé du second épisode.

Les acteurs. Tant ils sont forts, debout, puissants, ils semblent se détacher du noir et blanc de distanciation involontaire pour nous parler à nous, juste nous. Ce sont des hommes de théâtre qui jouent une pièce sur pellicule. Il donnent une humanité incroyable aux personnages, ils capturent l'instant, lancent des flèches, des pensées. Impossible d'imaginer autre Danton, (que Depardieu retourne chez Rostand) plus déterminé, debout, franc, bon vivant. Il tonne, parle haut, orateur suprême de la Révolution qui veut sauver sa Révolution, en prenant le risque de se confronter à l'implacable Robespierre. Robespierre. On ne peut pas sortir de La Terreur et la Vertu sans penser à cet homme, et de le regarder avec un oeil nouveau. Jean Négroni (qui a longtemps joué dans un certain TNP avec un certain Jean Vilar aux côtés d'un certain Gérard Philipe) y est majestueux. Il ne fait pas que jouer Robespierre, il est Robespierre. Et croyez-moi, pour Négroni, ce qui pourrait être un défaut pour un acteur, ("être" le personnage, se confondre à lui au lieu de le jouer est souvent trop risqué et trop ambitieux), déjà au théâtre où il faut savoir faire la part entre le réel et le fictif, lui parvient, dans cette fiction-réalité (La Terreur et la Vertu n'est pas un documentaire, du moins c'est un documentaire trop luxueux pour en rester un) à devenir l'homme, à prendre son image, à lui inventer des tics, à prendre sa voix, ses névroses, ses obsessions et son ambition de sauver une France. La figure d'un monstre, meurtrier de dizaines de milliers de personnes, dont les plus honorables, le solide Danton et le très humain Camille Desmoulins, devient avec Jean Négroni celle d'un homme, perdu, seul malgré ceux qui se disent ses amis (Saint-Just, qui restera dans mon esprit bien longtemps), qui cherche une solution, qui se bloque devant l'extrême, qui semble la clé à tout, une Solution Finale (point Godwin nécessaire) pour vaincre l'envahisseur intérieur avant l'envahisseur extérieur, terroriser au nom d'une Vertu, d'une pureté de pensée, d'un Être suprême. Maximilien, l'homme fermé, qui refuse la main de Danton qu'il juge laxiste nuisible ayant ruiné les derniers espoirs de la Révolution. L'homme dont nous connaissons le destin mais ignorions l'histoire. L'homme tout court.

La Terreur et la Vertu est une longue oeuvre oratoire et de travail intense. Tout y est calculé. Les dialogues sont d'une intelligence et d'une richesse rares, nés d'une documentation presque naturaliste. L'histoire brille sombrement derrière cette caméra exploratrice, qui la creuse au plus profond, qui cherche l'âme entre les faits, les hommes tels qu'ils furent, ou du moins une représentation belle et réaliste de ce que nous savons d'eux. A jamais, une réflexion intemporelle sur le fait de se révolter, de gouverner, d'être dans une société.
Je n'en suis pas sorti indemne.
Aloysius
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le 12 août 2012

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