Dare Me
5.8
Dare Me

Série USA Network (2019)

"Dare me... to what?" Une série ambiguë, maladroite mais touchante.

A mes yeux, sa principale faiblesse réside dans le fait que, contrairement à la promesse véhiculée par son titre, cette série n’ose pas assez. A l’image du personnage d’Addy, à travers la voix de laquelle on suit l’histoire, la série ne se donne pas les moyens de ses ambitions.



Quelle était d’ailleurs l’ambition de ses créatrices ?



Elle n’est pas vraiment claire : on oscille entre la peinture stylisée du quotidien d’adolescentes dans une ville de banlieue américaine et le thriller psychologique vaguement inquiétant. De fait, en ne tranchant pas, la série échoue à faire bien l’une ou l’autre.


J’ai une large préférence pour la première des ambitions supposées, à savoir pour l’étude sociologique de ce que signifie dans l’imaginaire américain faire partie d’un squad de cheerleaders au lycée – c’est d’ailleurs ce qui m’a incité à commencer la série, vaguement nostalgique du très réussi Friday Night Lights, show HBO du mitan des années 2000. Pour moi, les scènes les plus savoureuses sont précisément celles qui essaient de cerner, souvent à coup de gros ralentis pompeux, le pouvoir social conféré aux cheerleaders en Amérique. Je pense à ces nombreux plans stylisés où Beth, Addy et une de leur camarade (souvent RiRi) font leur entrée dans l’établissement, sous le regard ébahi des autres lycéens. A ces scènes d’entrainement dans le gymnase, ou de rivalité malsaine dans les vestiaires.


Je pense aussi à la façon dont l’armée intègre le campus et essaie, souvent au second plan (au sein de l’intrigue mais aussi de l’écran) de déployer ses tentacules pour enrôler une jeune recrue. A ce titre, le parti pris de la série est intéressant : présenter l’armée, et non pas le football américain, comme une sorte de pendant au cheerleading dans la façon dont elle permet aux jeunes de s’extraire de leur condition d’origine. Pour Addy, le graal serait ainsi de se faire remarquer par des recruteurs lors des championnats lycéens de cheerleading, afin de pouvoir ensuite intégrer une bonne université.



Et c’est là qu’entrent en scène les deux autres personnages importants de la série, dont l’opposition viscérale produit une tension qui alimente le show tout du long et lui donne en quelque sorte sa saveur.



D’un côté, Beth la vedette, qui rayonne et se fout de tout en apparence mais dont l’assurance masque, ô surprise, une fragilité sous-jacente. La dure à cuire au cœur tout mou en somme. Cette fragilité est le fruit d’un background familial compliqué : une mère qui boit pour oublier que son mari l’a quittée pour une autre (situation malheureusement assez classique jusque là) et qui, dans un pied de nez ultime, s’est installé avec sa nouvelle compagne en face de chez elle, la cocue, pour lui cracher tout son bonheur au visage (situation déjà nettement moins classique).


Beth règne sur Addy et sur son squad de cheerleaders de seconde zone, jusqu'à ce qu’une coach débarque d’on ne sait où avec pour seul objectif de mener les filles vers des cimes sportives inespérées. D’emblée, on remarque la fascination d’Addy pour cette femme qui foule avec assurance, classe et ambition le bitume d’un lycée qui manque cruellement des deux derniers. Dans un schéma narratif là aussi très classique, la coach Colette French, jouée par la glaciale mais non moins magnifique Willa Fitzgerald, incarne l’élément perturbateur dont l’arrivée va être évidemment vue d’un mauvais œil par celle qui se pensait indétrônable : Beth.



Ces rapports de pouvoir auraient pu suffire à la série pour déployer son intrigue.



L’objectif apparaissait limpide : en fouillant ses secrets, Beth allait prouver à Addy que la coach n’était pas aussi « bien » qu’elle prétendait l’affirmer. Mais il a fallu que s’immisce une histoire de flingues pour rendre plus crédible cette histoire pour midinettes et entretenir un semblant de suspens à chaque épisode.


En ce sens, le pilote de la première saison - une deuxième devait logiquement suivre, mais la série a apparemment été mise en pause, et ce avant la crise du covid - est révélateur de la difficulté pour les scénaristes à trancher : l’arme qui fait irruption lors de la soirée « bonfire » est-elle plus dangereuse que le smartphone qui capture les ébats illicites de Colette ? Vous l’aurez compris, je suis plus friande des séries qui mettent en scène l’impact du deuxième que du premier. Mais il faut reconnaître que ces deux objets sont inextricables dans l’imaginaire teen américain, thème qui a d’ailleurs donné naissance au très beau Elephant de Gus Van Sant.


La scène du flingue à la fin de l’épisode pilote, qui n’a d’autre intérêt que d’illustrer l’impulsivité de Beth, introduit artificiellement une menace que d’une part le smartphone de Beth aurait suffi à instiller, et qui va d’autre part courir tout au long de la série. A chaque début d’épisode, cette menace sera appuyée de manière un peu horripilante, au moyen de séquences qui filment au ralenti un « mini drame matériel » (du verre qui se brise, du sang qui coule dans une baignoire) accompagné de sa leçon de morale narrée par Addy (« coach told me once… »).



Ces séquences n’ont d’autre enjeu que de faussement créer une attente, un suspens que le mode de narration « normal » ne parvient pas à susciter seul.



Plus gênant encore : pour moi, la série perd tout ce qu’elle avait patiemment construit au moment où elle bascule dans une sombre histoire de meurtre – qu’en plus elle ne se donne pas la peine d’élucider en fin de saison ! Outre le manque de respect envers ses spectateurs, ce choix témoigne de la bascule dans le thriller sanglant au détriment d’un drame psychologique plus fin.


Ainsi, j’ai trouvé tellement plus intéressant et complexe la relation de fascination malsaine qu’entretien Addy à l’égard de la coach, et la jalousie qu’une telle admiration suscite chez une Beth dont on pensait à tort que rien ne pouvait l’atteindre. Le plongeon dans cet âge où tous les sentiments sont décuplés, où toutes les intuitions en germe n’attendent que d’être confirmées constitue la matière favorite des Netflix dramas.



En choisissant d’en restreindre l’étude à cette population de jeunes filles au physique parfait, la série avait à mes yeux trouvé sa mine d’or.



Le parallèle entre cet âge des premiers émois et la vie de jeune adulte qu’a du mal à accepter Colette French regorge également de potentialités narratives, sur lesquelles s’engage timidement la série. Le traitement du viol subi par Beth, entre blackout alcoolisé, déni assumé et nécessité de faire avouer son agresseur illustre le potentiel de la série lorsqu'elle s’empare de certains sujets épineux avec subtilité.


J’aurais voulu que Dare me ose un peu plus s’attarder sur ces questions là, comme sur la question de l’orientation sexuelle plus compliquée que ce que la façade pom pom girls pourrait laisser présager. A cet égard, la réalisatrice filme très bien la confusion d’Addy lorsque sa coach franchit les limites (physiques, mais surtout psychologiques) de la relation de tutorat et profite de la fascination qu’elle inspire à la jeune fille pour lui faire endosser un rôle qui la dépasse. Dans un registre similaire, la scène qui retrace l’importance originelle du bracelet porte-bonheur dans la relation Beth-Addy est aussi jolie qu’inattendue – cet épisode étant à mes yeux le plus réussi de la saison.


Preuve que Dare me contenait en elle les ressources suffisantes - l’univers shiny-décadent, les relations entre les personnages complexifiées par leur passé pas toujours clair – pour dépasser le teen movie sympa mais dispensable…

de_cosa
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le 11 mai 2020

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