Dark
7.6
Dark

Série Netflix (2017)

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Gloubi-boulga métaphysico-théologo-cosmolonigologique

Voyage dans le temps, physique quantique, mythologie biblique. Sur le papier, Dark était la série faite pour moi. Je ne pouvais qu'adorer... et j'ai détesté. Je me suis forcée à regarder les 26 épisodes pour avoir le fin mot de l'histoire et me donner le temps et la matière de comprendre pourquoi cette série est, de très très loin, la plus horripilante et surfaite que j'ai vue dans ma vie de sériephile.


Finalement, j'ai essayé de coucher par écrit ce qui m'avait tellement dérangé dans Dark.
Cela se résume par cette question : Comment expliquer que Jonas et Martha puissent remonter le temps dans le monde primaire de Tannhaus puis y disparaissent ?
Voici ma (trop ?) longue réponse :


Selon les explications du dernier épisode de Dark, les mondes en miroir de Jonas et Martha sont comparables aux deux états dans lesquels se trouve le chat de Schrödinger : dans l’un, le chat est mort, dans l’autre il est vivant ; dans l’un Martha entre dans la maison pour sauver Jonas, dans l’autre elle n’y entre pas.
Petit problème : dans l’expérience du chat de Schrödinger, le chat est à la fois mort et vivant, ses 2 « réalités » sont superposées. Mais elles n’interagissent jamais : le chat mort ne l’est pas parce que le vivant lui a collé une balle dans le coeur.
Comment Dark justifie-t-elle les interactions entre les mondes d'Adam et d'Ève ? Par l’idée que ces deux mondes sont en réalité les sous-produits d’une expérience de voyage dans le temps, qui a pourtant échoué ! Autrement dit, la connexion par le voyage dans le temps est possible dans les mondes de A et de E alors que, paradoxe, il ne l’est pas dans le monde primaire de Tannhaus qui les a engendrés.


Si l’on remet les choses à l’endroit, au commencement, on a 1 seul monde, linéaire, sans voyage dans le temps, celui de Tannhaus. Quand il allume sa machine à voyager dans le temps, 2 possibilités apparaissent de son point de vue : soit elle fonctionne et lui permet effectivement de remonter dans le temps pour sauver la vie de son fils (T1) ; soit elle ne fonctionne pas (T2) et, au choix, rien ne se passe, la sphère s’effondre, il éteint la lumière et continue son existence linéaire toujours endeuillé par la perte de sa famille (T2a), soit tout explose, son monde est absorbé, détruit, fractionné (T2b).
La version T2b pourrait d’ailleurs se décliner en plusieurs solutions, selon que le résultat final de l’échec de l’expérience de Tannhaus aboutisse à la destruction totale de son monde, à la création d’1, de 2, de plusieurs mondes…
Dark choisit de n’explorer que la version T2b (l’expérience de Tannhaus a explosé), dans une solution bien particulière : elle a donné naissance à 2 mondes-miroirs dans lesquels le voyage dans le temps et entre ces deux mondes est possible. Comment une expérience ratée de voyage dans le temps peut-elle aboutir à 2 mondes où le voyage dans le temps est possible ? Mystère, Dark est de la fiction, pas la recette du voyage dans le temps réussi suite à l’échec de l’expérience qui devait l’inventer.


Plus mystérieux encore, combien de mondes l’expérience ratée de Tannhaus a-t-elle créée ? 2 ou 3 ? Dark balance entre les deux. La série semble considérer sa « réalité » sur 2 plans distincts : au niveau supérieur, le monde « primaire » de Tannhaus (qui ne peut être que T2b) et au niveau secondaire, les mondes de A et E entrelacés. Mais, tout à coup, à la fin, apparaît le 3e monde de la Triquetra, solution à tous les problèmes puisque il deviendrait alors possible aux deux protagonistes de niveau secondaire d’accéder au monde « primaire » désormais interconnecté aux leurs.
Ce qui implique que la machine à voyager qu’actionne Tannhaus donne en fait naissance non pas à 2 mais à 3 mondes : sa propre continuation et les 2 mondes-miroirs secondaires. Si ce n’était pas le cas, en quoi un monde « primaire » qui n’existe pas pourrait-il être la solution ? Si les 2 mondes-miroirs sont tout ce qu’il reste du monde après que Tannhaus a actionné sa machine et foiré son expérience de voyage dans le temps, dans quel monde exactement Jonas et Martha pensent-ils aller ?


Et du coup, pourquoi seulement 3 mondes ? Si l’expérience ratée de Tannhaus a fractionné son monde, pourquoi pas en beaucoup plus de morceaux ? Pourquoi aussi les 3 (ou possiblement plus) ne sont-ils pas tous positionnés en miroir ? Pourquoi ne sont-ils pas sur le même plan d’égalité ?
Parce que Dark a besoin d’une structure de 2 mondes en miroir. L’expérience du chat de Schrödinger ne comporte que 2 possibilités mutuellement exclusives, superposées jusqu’à la décohérence. Dark veut nous faire croire qu’il s’agit des 2 mondes-miroirs de A et E. Mais, à partir du moment où la série cherche sa solution dans un 3e monde à l’intérieur de la boîte, elle détruit son analogie. Si les mondes de A, de E et de T sont imbriqués, ils ne sont pas comparable au chat, par le seul fait qu’ils sont 3. D’ailleurs, s'il y avait 3 mondes interconnectés, alors pourquoi serait-ce les mondes de A et E qui devraient disparaître et pas (A et T) ou (E et T) ? Surtout si T a déjà disparu.
Si l’on veut en revanche ne garder que les 2 mondes-miroir tout en rajoutant 1 niveau supérieur de réalité, un monde primaire à part, qui aurait plus de légitimité à exister, on sort encore du cadre (ou de la boîte), littéralement. Si Jonas et Martha pouvaient quitter leur boucle pour atteindre ce monde supérieur, ils ne pourraient le faire qu’au seul point de contact possible : AU MOMENT où Tannhaus actionne sa machine, mais jamais AVANT. Et comme ce monde de T dans lequel ils arriveraient serait celui où le voyage dans le temps n’existe pas (T2), il n’y aurait là, pour eux, aucun moyen de remonter le temps.


Admettons même que Jonas et Martha arrivent (on ne sait comment mais qu’importe, Dark est de la fiction) dans le monde de T avant l’expérience créatrice de leur « réalité », pourquoi s’effaceraient-ils ? A ce point de leur existence, leur action ferait disparaître leurs 2 univers-miroirs et tout ce qu’ils contiennent, mais eux, sortis de la boucle, devraient continuer à vivre dans le monde de T.
A moins qu’il n’y ait jamais de fin pour eux et qu’ils se retrouvent à osciller constamment entre deux états : ils empêchent l’expérience qui les a fait naître d’avoir lieu. Donc ils ne sont pas nés. Donc ils n’ont pas pu remonter le temps et empêcher l’expérience qui les a fait naître d’avoir lieu. Donc ils sont nés. Donc ils ont pu empêcher l’expérience… En croyant échapper à une boucle éternelle, Jonas et Martha ne feraient qu’entrer dans une autre.


Le véritable « chat de Schrödinger », dans Dark, ne peut être que la réalité du monde de Tannhaus post-expérience, superposition entre T1, l’expérience a réussi et T2, elle a raté. Mais Dark ne nous montre pas cette expérience parce que la décohérence a déjà eu lieu, le choix a été fait (et il ne peut l’être que par un observateur EXTÉRIEUR, jamais par le chat, ici Tannhaus). C’est T2, dans sa version b qui plus est : l’expérience a raté et a fait exploser le monde unique de T en une structure à 1 ou 2 niveaux, c’est selon que l’on considère qu’il existe 3 mondes imbriqués (Triquetra), avec possibilité de passer des uns aux autres, ou que l’un des niveaux est premier, prioritaire, supérieur et les 2 autres ses sous-produits en miroir, qui doivent disparaître.
Le paradoxe de Dark, c’est de nous faire croire qu’il faut résorber 2 des 3 mondes créés pour retrouver un monde unique, alors que la décohérence dans ce monde a déjà eu lieu. Et qu’elle ne peut en aucun cas être le fait de ceux qui sont à l’intérieur de la boîte. Et qu’elle ne peut se faire au profit de l’un des pans de l’alternative (T2) avec le moyen inventé dans l’autre pan (T1).
Avant toute cette expérience de Schrödinger/Tannhaus, il y a un monde pré-expérience de voyage dans le temps, auquel, comme le paradis originel perdu, ne peuvent plus avoir accès Adam et Eve. Parce que le fruit d’une expérience ratée de voyage dans le temps n’a aucun moyen de remonter le temps avant sa création.


En gros, Dark enferme accidentellement un chat dans une boîte, prétend qu’il est le chat de Schrödinger, à la fois mort et vivant ; au final, le chat mort et le chat vivant se rencontrent et, réalisant par eux-mêmes qu’il sont en superposition quantique/liés à la vie à la mort à tout jamais et que ce n’est pas une situation très stable et confortable, décident de sortir de la boîte pour pouvoir se suicider en détruisant tout le dispositif expérimental, histoire de ne plus laisser planer aucun doute sur leur état.
Manque de pot pour le(s) chat(s), le savant fou est encore vivant. Rien ne dit qu’il ne remettra pas le couvert une nouvelle fois, par exemple si sa petite-fille Charlotte succombe à 3 ans d’une crise d’asthme aigu. Mais peut-être que, cette fois-ci, avec l’aide de son fils, il réussira là où il avait échoué la première fois… ;-)
Quoi qu’il en soit, ce n’est pas du tout l’expérience de pensée d’Erwin Schrödinger.


Plus qu’une histoire de voyages dans le temps et de boucles infinies, de destin et d’amours impossibles, Dark est surtout, pour moi, une histoire de dépression : elle commence et finit par un suicide ; et, entre les deux, ce n’est que pluie diluvienne ou sécheresse, violences familiales, tromperies, manipulations, trahisons, prises de tête, meurtres, larmes, électrochocs, mysticisme… Avant le grand anéantissement.


Mais à chacun ses interprétations et ses goûts.

Marie-PascaleB_
4
Écrit par

Créée

le 23 juil. 2020

Critique lue 1.2K fois

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