Dear Mama est un documentaire en 5 parties de Allen Hughes sur la vie de Tupac Shakur, un des plus grands rappeurs de tous les temps, et de sa mère Afeni Shakur, une membre imminente des Black Panthers. Il est ponctué par les témoignages des membres de sa famille, des Black Panthers, de proches et de personnalités comme Snoop Dogg, Shock G, Jasmine Guy, Dr Dre, Mike Tyson ou encore Tim Roth.
Avant de commencer, une précision s'impose. Allen et son frère Albert Hughes ont réalisé les clips Trapped et Brenda got à Baby de Tupac Shakur, dont ils étaient proches. Pour leur premier film, Menace 2 Society, ils lui ont proposé le rôle de Sharif (Vonte Sweet). Tupac ne croit pas à ce personnage, le décline et souhaite tenir le rôle principal, celui de Caine (Tyrin Turner). Les deux frères lui opposent un refus, ce qui va créer une cassure dans leur relation, au point de valoir à Tupac son premier séjour en prison, suite à leur passage à tabac avec des amis de son entourage. De ce fait, c’est assez cocasse de retrouver Allen à la réalisation.
Les Shakur contre les Etats Unis
A travers le portrait de Afeni et Tupac Shakur, le documentaire évoque le racisme systémique d’une Amérique qui harcèle, stigmatise et assassine sa population afro-américaine.
Afeni Shakur est une source d’influence pour Tupac, ainsi que l’entourage de cette militante des Black Panthers, qui se compose essentiellement d’hommes et de femmes éduqués avec une conscience sociale. C’est dans ce contexte que l’enfant puis l’adolescent vont se construire. Ils lui transmettent leurs connaissances, en lui faisant prendre conscience de la situation de la communauté noire.
Le jeune Tupac est rapidement confronté à la violence d’une Amérique profondément raciste. Les membres des Black Panthers sont désignés par le directeur du FBI, Edgar J. Hoover, comme des terroristes, posant ainsi une cible sur leurs visages. La police va les assassiner pour étouffer la révolte et leurs voix qui trouvent une résonance à travers une communauté qui tente de s’émanciper du ghetto mental mise en place depuis l’esclavage.
Une Amérique devenue maîtresse dans l’art d’assassiner les figures contestataires comme Malcolm X, pacifiques tel Martin Luther King, ainsi que son président, en la personne de John F. Kennedy.
Tupac comprend que pour exister et sortir de sa condition sociale, il doit utiliser tous les moyens nécessaires pour devenir riche et célèbre.
Le jeune homme est intelligent, sensible et d’une grande maturité. Il faut le voir s’exprimer à 17 ans durant sa scolarité dans une école d’arts de Baltimore. Comme tous les adolescents, il se cherche. Il pratique la danse et le théâtre. Il écrit des poèmes puis se met au rap. Il va même se mettre à dealer. Au bout de cinq jours, il se rend compte qu’il ne peut continuer dans cette voie. Son empathie n’est pas compatible avec ce mode de vie.
Le jeune homme est à la recherche d’une figure paternelle, que ne peut compenser sa mère malgré toute sa bonne volonté. Une mère forte et indépendante au bord de la dépression qui se retrouve emportée par le fléau du crack qui déferle dans les rues dévastant toute une communauté.
De New York à Los Angeles, en passant par Baltimore, Tupac tente de se construire, de trouver une stabilité, de sortir de sa condition sociale et de sauver sa mère de la drogue.
Les débuts
C’est à travers le Hip-hop, que TupacShakur va s’épanouir. La rencontre avec Shock G (Humpty Hump), leader de Digital Underground, est déterminante dans sa carrière. C’est du rap hédoniste.
Il débute comme danseur et se montre vite indispensable lors d’une tournée où son charisme et enthousiasme emporte tout sur son passage. Shock G prend le jeune homme sous son aile. Il lui permet de poser un couplet sur un morceau du groupe qui s’intitule Same Song.
Après ce début encourageant, Tupac sort en 1991 son premier album, 2pacalypse Now. Il évoque la réalité du ghetto, de la condition des noirs aux États-Unis et s’attire les foudres des politiciens et policiers, qui sont la cible de son rap conscient et virulent.
Contrairement à notre époque où les rappeurs ne font que rarement preuve de conscience sociale puis s'excusent dès qu'un de leurs propos est perçu comme subversif. Tupac prend le temps de s'expliquer, en faisant preuve de pédagogie. Il maîtrise son sujet.
Le rap lui permet de parler de lui, de sa vie et de la réalité de la communauté noire aux États-Unis. Il s’en sert de tribune pour ouvrir et éduquer les esprits, afin de leur faire prendre conscience de leurs potentiels, de la capacité de s’élever socialement au sein de ce pays.
En 1992, il commence sa carrière d’acteur avec le rôle de Bishop dans Juice de Ernest R. Dickerson. Le rôle lui colle à la peau. Tupac est dans un état d’urgence permanent. L’ange a tendance à se transformer en démon, à faire preuve d’empathie comme de déverser une violence qui ne va cesser de le poursuivre jusqu’à son dernier souffle.
En 1993, I Get Around est son premier succès. Il est produit par Shock-G de Digital Underground, qui sont également en featuring. C’est un morceau festif dans le style du groupe d’Oakland. Il est en contraste avec ceux de son premier album démontrant la capacité du jeune rappeur à exceller sur tous les sujets.
Tupac est sur le chemin de la gloire. La notoriété grandissante va devenir un fardeau pour le jeune homme qui va enchaîner les provocations et poser une cible sur son visage, comme ce fut le cas pour les Black Panthers.
Young, black, and didn't give a fuck!
Tupac Shakur est un jeune homme en colère. Il a la fougue et l’insolence de sa jeunesse. Un caractère explosif qui se retrouve confronté aux aléas de la célébrité où chacun de ses faits et gestes sont scrutés à la loupe puis analysés et exhibés aux yeux du monde. Une situation inconfortable qui accentue la violence qui sommeille chez ce jeune homme sensible et à fleur de peau.
Il passe plus de temps devant le juge que face à un micro. Les faits divers s'enchaînent et son casier judiciaire devient plus conséquent que sa discographie. Son image est écornée après une accusation d’agression sexuelle. Après une tentative de meurtre, il devient incontrôlable et paranoïaque. Il accuse Biggie et Puff Daddy. La guerre entre la West coast et East coast est déclarée. Elle va mener au décès de deux des plus grands rappeurs de tous les temps.
Le jeune rappeur a perdu tous ses repères. Il s’éloigne de ses nobles intentions envers sa communauté. Il est persuadé d'être le fils d’un gangster, trouve cela valorisant et agit en conséquence. Doucement, il creuse sa propre tombe et se retrouve en prison.
Death Row
Suge Knight débarque dans la vie de Tupac Shakur. C'est le début de la fin. Le rappeur est criblé de dettes. Suge profite de la situation. Il vient de signer un pacte avec le diable.
Le succès et la gloire sont au rendez-vous avec le double album mythique All Eyez on Me porté par le titre California Love produit par Dr. Dre, également en featuring. Son image de mauvais garçon est exploitée à l'extrême.
Tupac se définit comme Le cauchemar de l'Amérique, qui a façonné sa rage à son encontre, surtout suite à son arrestation et passage à tabac où il a dit "I can't Breathe!", cela ne vous rappelle rien? L'affaire Rodney King se déroule à la même période. L'histoire est un éternel recommencement.
Le jeune homme continue les provocations et déchaîne les passions avec Hit 'em Up où il cible Biggie, Puff Daddy, Lil' Kim, Mobb Deep, entre autres. Il jette de l’huile sur le feu et attise la haine de la East Coast. Elle va atteindre un point de non retour. Les mots ne suffisent plus, maintenant le sang doit couler…
Tupac est entouré de figures paternelles déficientes. Suge Knight en est une parmi tant d’autres, comme Mike Tyson qui se déclare comme son grand frère. Un homme violent sur et en dehors des rings envers ses adversaires comme les femmes, qui lâche tranquillement que la violence le fait bander.
Les témoignages tentent d’édulcorer le comportement de Tupac Shakur, de le dédouaner de ses exactions pour en faire un ange parti trop tôt. Son parcours de vie explique son comportement, sans pour autant devoir l’en excuser. A force de vouloir s’entourer de personnes peu fréquentables et de vouloir jouer au gangster, il s’est pris un retour de flamme à la hauteur de son attitude.
Enfin bref…
Le documentaire est un vibrant hommage à une femme et son fils, à ces deux figures afro-américaines des plus charismatiques et influentes du 20ème siècle, ainsi qu’un portrait sans concession d’une vie faite de violences, de haut et de bas, jusqu’au décès tragique du jeune rappeur et la voie de la rédemption prise par une mère qui retrouve sa dignité.