Critique de Death Note par Kusinaga
Une franche réussite que cette adaptation Audio ! C'est bien mis en scène, c'est bien joué ... bref un plaisir.
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le 13 mars 2023
Il est indéniable que Death Note a marqué durablement l’actualité des animés Japonais au début de ce nouveau millénaire ; imposant son empreinte ténébreuse bien au-delà du cercle (de moins en moins restreint au fil des années) des spectateurs affectionnant les récits en provenance du Japon. Il est de ces animés que votre pote qui n’avait plus rien suivi depuis Dragon Ball a soudainement évoqué dans une conversation ou que votre amie qui ne regardait habituellement que des séries policières s’est subitement intéressée ; cette notoriété, Death Note le doit, au-delà de ses qualités véritables, à l’ingéniosité incontestable de son propos originel, une idée à la fois macabrement ludique et effroyablement porteuse de sens : celle d’un adolescent qui joue littéralement avec la Mort afin de changer le monde. Un jeune homme aisé, membre d’une famille japonaise presque archétypale, et qui ne souffre d’aucun traumatisme individuel légitimant sa croisade vengeresse, outre le dégout instinctif qu’il éprouve envers les meurtriers et assassins qui pullulent à travers le globe ; sombre universalité que le récit ne cessera de questionner en plaçant rapidement ce personnage principal comme un antagoniste face aux parangons de justice qui œuvreront seuls pour lutter face à ce tyran invisible mais pas aussi omniscient qu’il n’y paraît. Une idée remarquable, qui s’apparente véritablement à un coup de génie, mais qui ne sera jamais véritablement exploitée à son paroxysme à mesure que le récit s’enlise dans des complots tarabiscotés et autres manipulations impensables tandis que la composante sociale de l’intrigue s’efface progressivement ; si beaucoup s’accordent à considérer la deuxième partie du récit comme décevante, le déclin survient pour ma part ,encore plus tôt, lorsque l’intrigue cesse d’alterner entre le parcours individuel du héros à la fois en tant que Light Yagami et Kira ; cet entremêlement entre ces deux identités conférant toute la saveur des premières pages de Death Note tout en intégrant toujours Light dans un cadre vraisemblable avant que le récit ne bascule dans un Mission Impossible du pauvre, à grand renfort d’espionnages et de personnages qu’on croirait sortis d’un Nicky Larson.
Le scénariste Tsugumi Ōba avait par ailleurs fait preuve d’une franchise surprenante en admettant qu’à ses yeux, Death Note n’était pas une œuvre véritablement complexe ; vraisemblablement plus intéressé par les conspirations machiavéliques qui parsèment son récit que les considérations sociales qui en ont découlées. Tel ne devait toutefois pas être l’avis du scénariste qui se chargea de transposer Death Note en série audio car davantage qu’une adaptation excessivement fidèle, c’est bien à une véritable réinterprétation de l’œuvre originelle que cette production Audible s’achemine peu à peu.
Première singularité de cette métamorphose audio, et non des moindres, tous les monologues intérieurs des protagonistes sont ici écartés, sans doute pour faciliter la compréhension de l’auditeur mais le recours de la voix off était si fréquent dans le récit originel et sa transposition animée que ce choix occasionne une multitude de changements dans l’écriture des dialogues et la composition des scènes. Le Dieu de la Mort, Ryuk, devient ainsi un interlocuteur beaucoup plus bavard et contestataire envers Light Yagami afin de malmener les plans de Kira et ses convictions contestables ; une approche qui se révèle certes quelque peu incohérente avec la neutralité qu’il revendique toujours à l’égard des actions de son « garçon » mais qui fluidifie énormément les échanges entre ses deux personnages, offrant une alternative intéressante alors que L et ses détectives associés débattent également de la meilleure démarche à adopter.
Le récit se poursuit et les différences deviennent plus éloquentes : bien qu’à l’évidence, cette série audio s’efforce d’inclure les moments les plus emblématiques du manga et se veut globalement très fidèle aux multiples étapes de l’intrigue et la diversité des points de vue sur l’affaire Kira, le déroulement précis de ces évènements sera lui sujet à de nombreuses libertés, parfois assez inattendues et le plus souvent appropriées. Le scénario est ainsi restructuré de tel sorte que les péripéties s’enchainent avec une relative rapidité (facilitant presque leur compréhension en comparaison du manga) sans pour autant négliger les drames qui découlent de l’affrontement entre L et Light ; le récit s’appesantissant parfois plus lourdement que l’œuvre originelle sur les conséquences tragiques des actes de Kira. La plupart des épisodes débutent par ailleurs sur des flashforwards, anticipant fréquemment les évènements à venir au lieu de suivre le déroulement plus linéaire du manga, et de nombreuses émissions télévisuelles servent régulièrement d’interludes pour ponctuer la traque de Kira alors que l’influence de sa justice expéditive s’accroit peu à peu par l’intermédiaire des médias. Une audace salvatrice puisqu’elle permet à la fois d’éviter un sentiment de redite pour les auditeurs qui seraient déjà familiers de ce récit, qu’il ait été découvert dans les pages du manga ou dans les épisodes de sa transposition animée, et qui dégraisse Death Note de la torpeur un peu poussive qui pouvait devenir redondante à la lecture (et auquel l’adaptation animée s’efforçait déjà de compenser par ses célèbres dramatisations de stylos pourfendant les cieux et de chips dévorés goulument). L’habillage sonore se plaît également à diversifier les ambiances entourant les discussions des protagonistes, pour contrebalancer leur stagnation coutumière, tandis que certaines scènes sont purement et simplement écartées pour privilégier d’autres nouveautés du récit (oui les chips sont là mais pas le match de tennis). Une nouveauté qui tend à devenir omniprésente à mesure que l’intrigue poursuit son avancée sinueuse et que l’émancipation de cette série audio devient bien plus marquée ; elle s’enracine à ce titre dans la principale composante de cette nouvelle interprétation de Death Note: la réécriture quasi intégrale de ces dialogues.
Tout comme les étapes globales du récit, les discussions de cette série partagent de nombreuses bases communes avec les conversations autrefois rédigées par Tsugumi Ōba mais le phrasé des protagonistes est sensiblement différent de leurs modèles originels ; tous les dialogues ont subi une forme de contextualisation pour les rendre plus impactant auprès du public des années 2020, parfois dans une simple évocation un peu forcée des réseaux sociaux mais la plupart du temps avec une manière de s’exprimer qui se voudrait beaucoup plus naturelle à l’écoute, et moins cérémonielle en un sens. La personnalité des protagonistes est parfois sensiblement impactée par ce changement, l’écriture visant habituellement à atténuer leurs défauts récurrents dans le manga ; Misa Amane est ainsi beaucoup plus confiante et moins naïve, Matsuda est moins balourd et puéril et même l’espièglerie de Ryuk est désormais teintée d’une certaine sagacité. C’est à un jeu d’équilibriste auquel se livre alors cette adaptation audio et si les puristes pourront peut-être grincer les dents, c’est certainement dans une forme d’occidentalisation de son propos : bien que le récit se déroule toujours au Japon, il est évident que des Japonais ne s’exprimeraient jamais ainsi l’un envers l’autre, à commencer par la familiarité bien plus grande avec laquelle les détectives s’adressent envers L. En contrepartie, l’écoute des dialogues se veut nettement plus agréable et bien moins maladroite que de nombreuses traductions trop littérales du Japonais vers le Français, comme en témoigne le débat persistant entre VO et VF dans le milieu des adorateurs d’animation japonaise.
La version française de Death Note avait eu droit à son lot de détracteurs (qui s’expriment assez fréquemment sur SensCritique, semble-il) mais également d’appréciateurs et même si à titre personnel, je l’avais quelque peu conspué à l’époque de sa diffusion, un nouveau visionnage me l’a fait davantage apprécier à sa juste valeur ; c’est donc avec un certain plaisir que j’ai appris que tous les comédiens francophones étaient de retour pour cette production Audible ; un choix qui a d’ailleurs également suscité ma curiosité à l’égard de cette nouvelle adaptation. Nul doute néanmoins qu’il n’y aura pas de mésentente similaire envers cette série audio puisque l’interprétation y est globalement très convaincante et même franchement exceptionnelle en ce qui concerne les personnages principaux (Emmanuel Karsen fait notamment des merveilles avec ce Ryuk bien plus bavard et désapprobateur que par le passé) et il est même surprenant de constater à quel point les comédiens endossent avec aisance ces rôles emblématiques, malgré les nombreuses années écoulées depuis le doublage de la série animée. La différence qualitative entre la version française de Death Note la série animée et Death Note la série audio semble ainsi légitimer la réécriture qui se veut de plus en plus assumée par cette réinterprétation ; au-delà du talent indéniable des comédiens, il y a également un vrai travail de dialoguiste qui est à l’œuvre dans cette nouvelle fiction inspirée du manga. Notons par ailleurs la qualité tout à fait correcte des compositions musicales bien que leur distinction à l’égard de l’OST de la série animée y soit beaucoup moins marquée ; ce Death Note Made in Audible a véritablement bénéficié de tout le soin que l’on pourrait attendre d’une fiction audio de qualité.
Une question devrait alors germer dans votre esprit si vous êtes déjà familiers de l’œuvre originelle : cette réinterprétation audio a-elle osée franchir le pas de cette émancipation en altérant plus sensiblement le récit, notamment lors de la deuxième partie si souvent contestée du manga ? Hé bien…Oui et non. Une fois n’est pas coutume, j’userais des balises Spoilers pour évoquer plus en détail les changements souvent opportuns apportés à la trame originelle mais gardez toutefois en tête qu’ils ne deviennent bien plus manifestes qu’à partir de cette seconde moitié, habituellement plus décriée. C’est dans le déroulement concret du récit que les premiers épisodes marquent leur distinction de manière encore plus marquée que la réécriture des dialogues (
comme lors de cette scène effroyable où Light évoque ouvertement le sort tragique de Ray Penber à Naomi Misora avant qu’elle ne subisse elle-même les effets du Death Note
) mais à partir du moment où le récit entame véritablement sa conclusion, ces différences vont devenir bien plus affirmées. Elles résident dans une démarche aisément compréhensible, mais qui était néanmoins souhaitée par beaucoup : celle de mettre de côté les sempiternelles duperies entre Kira et ses opposants afin de permettre davantage à la tragédie de ce récit de s’exprimer. L’insensibilité inaltérée de Light est ici malmenée à plusieurs reprises, sans renier pour autant son machiavélisme perpétuel, et bien que le récit ne pousse jamais cette réécriture jusqu’à conférer à Yagami une véritable prise de conscience, le héros/antagoniste y est néanmoins davantage enclin à l’introspection (Ryuk demeurant son interlocuteur privilégié durant sa solitude de façade, comme l’énonciateur de ses propres pensées refoulées). L’hésitation de Light semble d’ailleurs catalysée sur un point précis : la vie après la mort ; une incertitude qui n’a rien d’anodine puisqu’elle évoque indirectement l’une des plus grandes libertés apportées par cette série audio à l’égard de son modèle originel (
L qui devient un narrateur du récit après son décès et un interlocuteur des Dieux de la Mort, soudainement confrontés à leurs malversations et autres contradictions de leur existence; l’arroseur arrosé…
). En s’attardant davantage sur les conséquences néfastes du combat de Kira auprès de l’entourage immédiat de Light (
le traumatisme de Sayu, après son enlèvement, est ici amoindri pour mettre davantage en évidence le deuil de leur père ; Misa suscite désormais bien plus d’empathie de la part de l’auditeur en raison de la confusion mentale qui résulte de ses pertes de mémoire successives
) , Death Note la série audio semble ainsi davantage accorder d’attention à l’humanité que le récit de Tsugumi Ōba, alors quelque peu englué dans ses tromperies incessantes.
C’est pourtant par cette émancipation que cette fiction trouve sa véritable singularité ; une liberté créative mais non une trahison opportuniste, un regard plus réfléchi sur ce récit culte mais pas une sacralisation excessive ; oui, ce jeu d’équilibriste a bel et bien été réussi par cette série audio : le récit est à la fois familier et déroutant, il suscite l’enthousiasme sur la venue imminente des évènements marquants du manga tout en amenant à s’interroger sur les nouveautés qui y seront apportées. C’est le principe même de la redécouverte qui a été accompli avec cette fiction sonore : la fidélité entremêlée de la réinterprétation nécessaire pour éviter la redondance. Aussi, n’ayons pas peur des mots : l’écriture de cette série n’est pas dénuée d’écueils, de ses tentatives d’humour parfois maladroites et ces allusions un peu gratuites à l’actualité, mais sa composante narrative en fait très certainement la version de Death Note la plus aboutie en matière de récit ; elle est une consolation tardive et inespérée au potentiel inexploité du manga et en un sens, les personnages y sont bien moins vulgarisés qu’ils ne l’étaient sous la plume de son auteur originel.
En somme, une véritable adaptation et non une simple transposition audio…
Celle que Death Note méritait depuis si longtemps.
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Créée
le 1 juil. 2022
Critique lue 194 fois
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