Je vais d’emblée écarter la notion de la valeur d’adaptation au roman Cadres Noirs de Pierre Lemaître puisque je n'ai pas lu le bouquin qui sert de support à cette courte série de six épisode diffusé sur Arte. Attiré par l'aspect thriller social et la relative originalité du concept je me suis donc plongé dans ce sujet qui m'interpelle particulièrement avec les méandres du capitalisme créant chez les exclus du partage des monstres de frustrations et de colère.
Nous allons donc suivre durant six épisode Alain Delambre un ancien DRH au chômage depuis six ans et qui pense entrevoir le bout du tunnel quand une très grande entreprise lui fait miroiter une possibilité d'emploi en supervisant une fausse prise d'otage censée tester la résistance morale et la gestion de la pression de quelques cadres triés sur le volet . Fatalement tout va déraper et ce n'est pas un spoiler puisque dès les premières minutes le personnage nous interpelle face caméra de sa cellule de prison...
Dérapages est une série qui me laisse perplexe avec cette curieuse et paradoxale sensation contradictoire d'avoir apprécié le programme sensiblement pour les mêmes raisons que celles qui m'empêchent de totalement y adhérer. Dans ce type de récit de David contre Golliath, du petit défiant l'arrogante suffisance des puissant, il est souvent facile de tomber dans une forme d'angélisme et de manichéisme du gentil pauvre face au méchant trop riche. Si Dérapages possède cette dimension sociale de lutte des classes avec l'aspect symbolique du combat de ce chômeur face au système qui l'a déshumanisé, il évite fort heureusement de sombrer dans une forme excessive de caricature. Le personnage de Alain Delambre va même assez vite se révéler être un personnage ambivalent, complexe et parfois même aussi détestable que le système qu'il combat en employant des méthodes similaires. Ce personnage trouble est donc tout autant une force qu'une faiblesse tant il empêche une véritable empathie de s'installer entre lui et le spectateur . Car loin d'être un Robin de Bois drapé de nobles causes de la défense des laissé pour compte , le personnage va aussi se montrer sous un jour bien moins reluisant d'égoïste manipulateur parfaitement capable de sacrifier ses proches pour une cause plus financière que vraiment idéologique. La performance d'Eric Cantona un peu en dent de scies (Il est parfois formidable et parfois très limite) renforce encore un peu plus cette contradiction qui fait que parfois on a envie de suivre le personnage sans réserves et que d'autres on le lâche volontiers dans ses excès les plus caricaturaux. Ce refus assez systématique de glorifier béatement ce personnage de anti-héros pousse à quelques questionnement pertinent comme de savoir si notre soif de justice sociale ne se résume pas plus concrètement à un désir de confort financier peu importe la méthode pour l'obtenir. Je reste donc sur cette délicieuse contradiction qui fait que plus le personnage est trouble plus je trouve la série intelligente mais moins je la trouve attachante.
Mais au delà de cet aspect finalement plutôt positif Dérapages possède quelques défauts narratifs qui m'empêche encore une fois de considérer la série comme une pleine et grande réussite. Le récit me semble parfois mal équilibré, précipitant certains événements comme lorsque durant son séjour en prison Alain Delambre passe de victime presque général à nabab recevant en seigneur ses ennemis d'hier dans le confort d'une immense cellule individuelle. Lors du tout dernier épisode les événements ont également un peu tendance à se bousculer en dépit peut être pas du bon sens mais d'une linéarité plus posé de l'intrigue. J'ai parfois la sensation que l'intrigue aurait mérité sur certains points un plus long développement et qu'à d'autres endroits elle aurait pu être resserrer pour accentuer la tension .J'aurai aimé rentrer plus en profondeur dans les arcanes et les mécaniques des différentes pressions psychologiques et des rouages troubles de la grande finance. La série ne passe pas non plus à côté de quelques personnages pour le coup bien caricaturaux comme le beauf à moustaches, la salope d'avocate blonde ou le gentil gardien de prison.... A l'opposé on retrouve de très jolis rôles à commencer par deux personnages féminins avec d'un côté Suzanne Clément émouvante dans le rôle de Nicole la femme aimante et fatiguée d'Alain et de l'autre Alice de Lencquessaing que j'ai trouvé parfaite dans le rôle de la fille forcée et contrainte d'adopter jusqu'à l'épuisement morale la cause de son père. Si Gustave Kervern est souvent critiqué pour sa crédibilité en hacker , j'ai trouvé justement le personnage attachant et loin des clichés de ces geeks encapuchonné et rebelles. Un dernier mot sur Alex Lutz qui est tout bonnement génial en patron jupitérien , à la fois séduisant, froid, pragmatique, charmeur et dangereux.
Alors oui Dérapages est une bonne série française qui a le mérite de nous conduire sur des questionnements qui ne tombent jamais dans le piège de la facilité et qui possède une véritable dimension sociale et politique. Après ce serait mentir de dire que j'ai dévoré les épisodes avec la même frénésie que d'autres séries bien plus accrocheuses et addictives.