Voici une petite série exceptionnelle. Le début de la série comme le début du manga, je le range dans les débuts d'histoire qui sont particulièrement aptes à capter l'attention.
On a d'emblée une action folle et significative du récit prise au milieu des événements. Je prends le manga et non l'animé pour raconter. Un être anthropomorphe à tête de caïman est en train d'engloutir dans sa gueule la tête d'un gars sous les cris horrifiés d'un autre gars qui voit son ami se faire bouffer. Mais le gars Matsumura ne se fait pas bouffer d'emblée et il dit à son copain Fujita que "il y a quelqu'un dans la gueule de ce type !!" Je vous laisse un peu de suspense sur la suite. Une autre chose dans ce début qui ne doit pas passer inaperçue, c'est que cette configuration crée une ambiguïté importante. Tout le long du récit, on va suivre à la fois l'homme à la tête de caïman et son amie, et en parallèle on va suivre Fujita et d'autres personnages. La scène construit des rapports d'antagonisme, mais on ne sait pas trop qui sont les gentils, qui sont les méchants. les agresseurs, c'est la fille et le caïman. En plus, au début, alors qu'on ne sait pas trop de quoi il retourne, on voit ce Caïman et Nikaïdo la fille tuer plusieurs personnes froidement. On comprend vite aussi que Fujita a à la fois des valeurs et en même temps fait partie d'une organisation ou "famille" assez suspecte.
L'univers est fascinant, il démarque quelque peu les univers cyberpunk. Hole est une sorte de décharge où viennent sévir des mages qui passent par des portes magiques. Avec le mot décharge, vous pensez à Gunnm. Ben, en fait, le parallèle me paraît obligé à la fois parce qu'il y a une décharge et à la fois par ce qu'on va apprendre à propos des deux héros principaux Nikaïdo, Caïman, sans oublier Shin, antagoniste qui apparaît un peu plus loin. Mais les ressemblances ne vont pas bon train et nos héros n'aspirent pas à vivre dans le monde des mages comme c'est le cas dans Gunnm, ce n'est pas la même histoire.
Puis, ici, le délire, c'est d'opposer un monde de la magie à un monde aux allures postapocalyptique, et ce monde de la magie soit il fait que des événements magiques désastreux ont lieu dans la décharge de Hole, soit une partie de l'histoire se déroule directement dans ce monde de la magie où il faut juste que les humains de Hole ne se fassent pas identifier.
Comme dans Gunnm, il y a quelques mutants qui apparaissent. Je vais arrêter là sur les comparaisons avec Gunnm, ces comparaisons sont importantes et personne ne semble les faire et voir donc les filiations, mais Dorohedoro a sa propre histoire, sa propre dynamique.
Et aussi sa folie particulière en tant que récit. Les magiciens ont des pouvoirs spécifiques, spécialisés. Et ils ne maîtrisent pas toujours pleinement leurs pouvoirs. Certains peuvent transformer les gens en reptiles, d'autres en insectes, et on a En qui peut transformer les gens en champignons, et je vous laisse apprécier le récit fait par lui-même de la première moitié de sa vie, avec sa naissance et son enfance. Il y a des dingueries qui suivent, ce n'est pas juste qu'ils transforment les gens en champignons, il y a du coup des petites finesses scénaristiques qu'on ne voit pas venir, parce qu'on n'a aucune raison en découvrant le récit de chercher des trucs farfelus. Ils vous arrivent dessus sans prévenir.
Il y a de la magie, mais il y a aussi les démons, les contrats sataniques (je vous laisse découvrir ce que c'est), etc.
Je ne vais pas énumérer les folies. Pour les décors, ils ont aussi leur grain, mais l'animé diffère du manga. Le monde de la magie m'a l'air plus enchanteur et plus rose bonbon dans l'animé que dans le manga où l'architecture en jette, mais plus dans la classe que dans le joliet.
Le dessin des personnages est différent également. La mangaka Q Hayashida n'est pas une génie du dessin, elle a une certaine incompétence pour dessiner des personnages. Elle n'est pas catastrophique comme le mangaka de L'Attaque des Titans, mais il y a de quoi tiquer sur nombre de ses dessins de personnages. Ceci dit, elle a un style. Il y a une sorte de touche qui compense ses défauts. Puis, le manga est fait dans un autre esprit que l'animé. Les dessins du manga, on a un truc touffu des détails, beaucoup de crayonné, et rien que la tête de Caïman, ben elle fait une tête écailleuse avec toutes ses rugosités, avec toute une minutie de détails faits à la main. L'adaptation en animé ne pouvait se permettre de rendre toutes ces finesses. Il faut animer les figures, c'était impossible à gérer, et donc ils ont inévitablement simplifier la tête de Caïman qui est rendue lisse, et cette technique de simplification concerne inévitablement les visages des personnages. Les nuances de gris, de lignes foncées sur du clair, etc., tout cela disparaît.
Ceci dit, le résultat de l'animé est pas mal pour autant. Il y a de la 3D, mais si on n'y pense pas ça ne se remarque pas. Ce n'est pas une animation de folie, mais ça fait le café. Et les dessins sont beaux.
Autre point, quand on lit le manga, on peut osciller dans ses impressions entre l'horreur et l'humour décalé. L'animé atténue le sentiment d'horreur et renforce plus le côté humour, mais on ne peut pas dire que l'esprit du manga soit trahi pour autant, puisque les gags, parfois au ras des pâquerettes, sont repris du manga. Le manga ne suppose pas une lecture sombre, mais il est juste peut-être plus trash. Ceci dit, il y a du gore et quelques scènes difficiles dans le manga. On voit un oeil qui se fait écraser dans le manga, on le retrouve dans l'animé.
Après, je ne m'y suis pas penché, mais il y a de petites différences scénaristiques. Par exemple, dans le manga, il y a une sorte de match de boxe auquel participe Nikaïdo et en fait ce match de boxe est prétexte à autre chose, on lui a tendu un piège. Tout cela disparaît de l'animé, c'est une partie entière du manga qui disparaît. Il y a aussi des scènes qui ne se passent pas dans le même ordre que dans le manga, mais pourtant globalement ça reste assez fidèle. Le gros défaut de l'animé, c'est qu'il s'arrête un peu nulle part. Comment dire ? Je ne vais pas spoiler, mais en gros oui dans le douzième épisode il y a un truc qui s'achève ou qui change dans la relation entre Nikaïdo et Caïman, et en plus nous passons d'un épais mystère à un mystère moins brumeux que ce soit pour Nikaïdo ou pour Caïman, mais la série s'arrête alors que l'enquête est relancée. Plusieurs éléments ont été introduits en même temps que se concluait une certaine étape dans les rapports des deux personnages principaux. On peut penser qu'une deuxième saison suivra rapidement, vu que le manga est fini depuis quelque temps déjà et que là nous en sommes à l'adaptation du quart sinon du tiers.
La série sera en trois, quatre saisons si elle se poursuit, je n'ai pas fait les calculs.
Mais, ce qui est prenant aussi dans le scénario, c'est que nous ne suivons pas un fil. Nous avons une succession d'aventures qui superposent des couches comme un puzzle. On n'a pas une enquête linéraire où tel problème fait qu'on enquête ainsi, puis tel autre problème révèle une autre perspective. On a bien sûr ce côté linéaire inévitable dans une histoire chronologique, mais du fait qu'on passe de personnages à d'autres et du fait qu'on a des événements qui s'enchaînent sans que ce ne soit clairement expliqué, on a des facettes qui petit à petit s'imbriquent. On se dit que tout cela formera à la fin un tout, mais on ne sait pas où on va bien qu'on sente que c'est maîtrisé. On ne sait pas pourquoi il se passe telle ou telle chose. On avance en aveugle, et c'est super sympa, et à cela se mêle une grosse dose d'absurde et de grotesque qui défrise.
Sur les génériques. Le manga a débuté en 2000, donc le lien que je vais souligner ne peut concerner que le générique de l'animation, mais en gros l'ouverture de l'animé est une imitation patente de celui de la série Dexter. Je n'ai jamais regardé cette série américaine, mais je connais son générique très particulier où on voit le héros trouble de l'histoire se faire à manger, et comme il cuisine au couteau, se fait un oeuf, on a toute une suggestion de meurtres, d'oeil qu'on ouvre, etc. Le générique d'ouverture de l'animé Dorohedoro, on a Nikaïdo qui fait la cuisine et qui tape gaiement avec ses couteaux, etc., pendant que deux monstres se poursuivent entre les ustensiles. Puis après ça part en délire avec Caïman en plusieurs modèles à tête de gyoza, il y a tout un côté à la Warhol de la réduplication en série qui tourne en eau de boudin. Les Caïmans à tête de gyoza tombent dans le vide, se scratchent et devient des éclats de pots de peinture.
Les génériques de fin parodient assez nettement des mauvaises animations basiques de vieux jeux vidéo je dirais, on a les personnages saccadés en déplacement horizontal ou bien on a une parodie du célèbre écran de veille d'époque avec le labyrinthe aux parois de briques rouges. D'autres trucs encore, c'est assez marrant.
Les musiques insérées dans l'animé, vers la fin de la série, j'ai pensé à des musiques de Tom Waits d'albums comme Swordfish trombones ou Frank's wild years, et il y a d'ailleurs dans des musiques vieillottes d'ambiance foraine, d'ambiance d'un autre temps, etc. par ailleurs.
Après le générique de fin, on a une annonce qui imite le manga.
Celle du manga est mieux écrite ou mieux traduite que ce que j'ai vu en vostfr.
Je vous cite celle de la fin du tome 1.
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Ce que nous avons appris dans le 1er volume :
1. Caïman adore les gyozas.
2. Caïman gagne sa croûte en faisant un petit boulot.
3. Caïman fait des rêves.
4. Il y a des magasins de développement photo à Hole.
5. Caïman sait jouer au jeu de cartes "hanafuda".
6. Il arrive aux mages de manger de la cuisine française.
7. Caïman mue de temps en temps.
8. L'unité monétaire en vigueur à Hole est le yen. Qu'apprendrons-nous dans le 2e volume ? Tout cela est encore... dans le plus grand chaos.
C'est ça, Dorohedoro !
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Tout cela est encore dans le plus grand chaos... Ce sera le mot de la fin.