Une caractéristique de la japanimation des années 2010 est la réactualisation de nombreux classiques : du remaster au remake, en passant par l’adaptations d’anciens manga cultes. C’est à travers cette mode que réapparaît Dororo, l’adaptation du manga d’Osamu Tezuka de la fin des années 1960, qui avait déjà été retranscrit à la télévision en 1969. Cela ne nous rajeunit pas.
Les oeuvres de d'Osamu Tezuka, figure culte du manga et du dessin animé, se prêtent bien à cette démarche et quelques années plus tôt nous avions déjà eu droit à des animes modernes associées à ses franchises les plus célèbres : Young Black Jack en 2015 ainsi qu’Atom the Beginning en 2017.
Dororo n’est pas l’oeuvre la plus connue de l’auteur fort prolixe mais demeure intéressante puisqu’il s’agit de sa première oeuvre influencée par le courant 'gekiga', mouvement artistique qui se caractérise par des thèmes plus matures et une présentation moins enfantine.
Cette nouvelle adaptation de 2019, réalisée par Mappa et Tezuka Production, prend beaucoup de libertés avec le manga de base mais restitue avec fidélité le récit noir, entre fantastique et conte de samuraï qu’est Dororo.
L’histoire est celle de Hyakkimaru, fils du seigneur Daigo qui décide de l’offrir en sacrifice aux démons afin d’obtenir leur protection et sauver ainsi son clan de calamités incessantes. Les créatures presque repues laissent un garçon miraculeusement vivant mais sans membres ni organes sensoriels (peau, yeux, ...). Le nouveau-né est alors laissé à son sort au bord d’une rivière avant d’être recueilli par un homme habile dans la création de prothèses. Doué de la capacité de percevoir les âmes, Hyakkimaru, devenu adolescent, se met en quête de traquer les esprits maléfiques afin de récupérer son corps.
Les prémices de Dororo sont simples et concrètes, donnant un charme certain dès les premiers épisodes. En effet, voir Hyakkimaru affronter un bestiaire varié et regagner peu à peu une enveloppe corporelle donne lieu à un début de trame aussi énergique que satisfaisant.
Aussi puissant soit-il, avoir un protagoniste sourd-muet-aveugle n’est pas une situation simple à gérer, scnéaristiquement parlant, et c’est la raison pour laquelle un deutéragoniste va faire son apparition dès le premier épisode : Dororo, une petite fripouille de bonne nature qui va servir de guide et porte-voix au héros. Le duo forme une compagnie étrange et très unique qui laisse place à une relation inter-dépendante intéressante. Il y a une certaine complicité dans ce binôme, pas seulement physique mais aussi morale, qui est attendrissante à observer et qui perdure durant toute la série pour devenir l’un de ses points forts.
Ces deux aventuriers ont bien besoin l’un de l’autre dans le monde de Dororo. Son univers, bien que fictif, se déroule durant une période semblable à celle du Sengoku : les conflits perpétuels, la famine jamais lointaine, et la violence omniprésente. Comme pour beaucoup d’auteurs de sa génération, le souvenir de la Seconde Guerre a influencé la sensibilité d'Osamu Tezuka et a marqué ses oeuvres (Kami no Toride pour commencer). C’est sans doute pourquoi dans Dororo le thème de la guerre a une résonance particulière et se ressent plus viscéralement que dans bien d’autres oeuvres contemporaines traitant du même sujet. La cruauté des luttes armées n’est qu’un élément parmi d’autres dans cette série, mais sans doute celui qui m’a le plus marqué.
Dororo n’est pas simplement une succession d’action et de violence, c’est aussi une série qui s’engage sur des thèmes plus philosophiques. En effet, le bien fondé de la quête de Hyakkimaru va être progressivement remis en question par ceux liés à son destin. Regagner son corps équivaut à la fin de la « bénédiction » des démons, et donc à la perte de nombreuses vies. Face à cette perspective, que vaut l’existence d’un être si peu en contact avec les réalités du monde, un être autant marqué par la mort et le sang qu’il fait couler ? C’est une histoire finalement captivante, bien souvent poignante, qui est contenue dans cet anime alors qu’il explore et définit à travers les tribulations tragiques de Hyakkimaru, mais aussi de Dororo, ce qui définit notre humanité.
Le seul bémol est que l’exécution de la trame n’est pas toujours à la hauteur et cela se ressent en particulier durant les débuts de la deuxième moitié de la série, qui enchaîne des épisodes martelant les points susmentionnés sans faire avancer la trame. A cela, il faut ajouter un arc narratif secondaire autour de Dororo (épisodes 16-18) qui n’a pas beaucoup d’intérêt (sous-utilisé dans la conclusion surtout), ainsi que quelques faiblesses techniques autour de la production (l’épisode 15 notamment). Heureusement, Dororo reprend du poil de la bête, y compris visuellement, en fin de série et donne une direction plus claire à l’intrigue qui se termine sur une conclusion étonnamment satisfaisante, bien qu’un peu expédiée.
Au final, bien que Dororo a failli me perdre en cours de route, j’ai trouvé l’anime de haute qualité. Certes, je n’ai pas développé envers celui-ci un attachement particulier mais je ne peux pas rester indifférent devant son message et les efforts donnés afin de remettre ce classique au goût du jour. L’un des meilleurs animes de 2019 selon moi.