Je ne pensais pas revenir sur Dororo suite au remake de 2019 mais le manga original (1967-68) et la première série (1969), dont le titre complet est ‘Dororo to Hyakkimaru’ sont exaltés comme des incontournables et je me voyais donc mal en faire l’impasse vu que cela reste une oeuvre fort courte (19 chapitres / 26 épisodes). Mais incontournables, le sont-ils encore vraiment ?
Les prémices restent les mêmes que l’anime moderne, et je renvoie donc à mon compte-rendu sur ce dernier si nécessaire. Trois différences notables cela dit : le seigneur Daigo sacrifie son premier-né par pure ambition au lieu de vouloir sauver son clan de calamités, les démons dévorant Hyakkimaru sont au nombre de 48 au lieu de 12, et l’oeuvre précise que le récit se passe durant la guerre Ounin (1467-1477) ; le début de la période Sengoku.
La notoriété de Dororo est grandement due à la présence d’Osamu Tezuka, celui qui est connu comme le « Dieu du manga » pour son énorme bibliographie et ses succès dans des genres variés comme le récit d’aventure avec Shin Takarajima (1947), la science-fiction avec Tetsuwan Atom (1952-1968), ou encore la biographie avec Bouddha (1972-1983).
La réussite dans ses ambitions lui a donné une influence majeure sur le manga d’après-guerre, consolidant ce dernier dans son rôle de lecture pour jeune public. Cependant, d’autres auteurs n’étaient pas satisfaits de cette situation et ont voulu sortir le medium de ce carcan, en proposant des histoires moins fantaisistes, voire engagées sur des sujets modernes, ainsi qu’un dessin plus réaliste, moins ‘cartoonesque’ comme le style de Tezuka qui était influencé par Disney et le studio Fleischer (Popeye, entre autres). Cette volonté donnera naissance au mouvement artistique appelé ‘gekiga’ et il sera notamment porté par le magazine Garo, un mensuel créé en 1964 qui a été particulièrement populaire durant la fin des années 1960/début des années 1970.
Le mouvement ‘gekiga’ va profondément changer le manga, et donc la japanimation, sur la longue durée, mais aussi la carrière de Tezuka. Outre la création de son propre magazine ‘COM’ (1967-1971) en réponse au Garo, il se lance dans son manga Dororo (1967-68), une oeuvre plus sombre sur des samuraïs et monstres maléfiques, avec la touche humaniste typique de l’auteur. Il ne terminera jamais cette oeuvre, qui s’arrêtera après seulement 19 chapitres, mais cela ne l’empêchera pas de recevoir une adaptation télévisée par son studio, Mushi Production, en 1969. Il confie la réalisation à son proche partenaire, Gisaburou Sugii (Touch, Street Fighter).
Dororo apparaît comme un anime relativement sérieux, sans être réellement adulte non plus. Tout d’abord, même si le résultat est bancal, il n’est pas complètement épisodique : mini arcs narratifs de 2-3 épisodes, ainsi qu’une progression (sur le papier) régulière du scénario grâce à Hyakkimaru qui regagne peu à peu ses facultés humaines, sans compter une intrigue globale autour de la famille du protagoniste.
Ensuite, il affiche beaucoup de violence et présente des images dures, sur la famine et la guerre. Ce thème a toujours eu une importance significative pour l’auteur, qu’il condamne et dépeint comme fléau déshumanisant. Sans surprise pour moi, j’ai trouvé que les meilleurs épisodes étaient ceux qui l’utilisaient le plus comme catalyseur de tragédies.
Enfin, Tezuka n’hésite pas à produire des images d’horreur en créant des monstres au design parfois repoussants, qui ne sont pas sans rappeler ceux de Shigeru Mizuki (auquel il fait référence, sans subtilité aucune, dans le manga par ailleurs). Je n’irais pas jusqu’à dire que les démons de Dororo font peur, mais leur présence a pour résultat quelques moments lugubres, voire même macabres, qui remplissent décemment leur rôle.
Malgré les arguments ci-dessus, Dororo demeure une tentative aussi inaboutie qu’inachevée. Le personnage Dororo notamment, petite fripouille qui s’attire beaucoup d’embrouilles dans cette version, équilibre le drame des épisodes en apportant comédie et énergie enfantine (sans compter le chien mascotte Notta). De plus, ce n’est peut-être qu’une impression personnelle mais les premières sous-intrigues m’ont parues bien plus riches que celles de la deuxième moitié (en particulier à partir de l’épisode 15), ce qui combiné au fait que les histoires deviennent également contenues en un seul épisode, m’a donné l’impression d’une oeuvre ‘régressant’ en série ‘monstre de la semaine’. Bien sûr, il faut ajouter à cela une fin bâclée qui n’aide pas à rattraper le coup.
Cela dit, mon plus gros problème concernant Dororo reste de l’avoir vu après le remake. En effet, je trouve qu’il souffre énormément de la comparaison, et m’a donné beaucoup de respect pour les efforts de l’adaptation de 2019. Mon point de vue envers l’original, est celui d’une oeuvre qui avait déjà tous les ingrédients, mais les utilise de manière plus limitée, ou ne les utilises pas du tout. Le pire est, sans aucun doute, la manière dont elle fait complètement abstraction des handicaps de Hyakkimaru qui fonctionne comme une personne presque normale, sous le couvert de justifications lamentables. L’ancienne série est également dénuée d’une bonne partie de ses dilemmes moraux, à commencer par le père Daigo aux ambitions insipides, ce qui lui enlève une autre couche d’intérêt. Il y a bien quelques miettes à collecter dans ce naufrage, comme Dororo accusant parfois Hyakkimaru d’agir comme un démon, mais la pauvreté de ces deux dimensions m’a grandement déçu.
De plus, même si le plus gros problème du remake réside dans sa production inconsistante, il reste plus agréable à regarder. L’aspect visuel de Dororo to Hyakkimaru est tout à fait correct, et le fait qu’il soit en noir et blanc n’est pas désagréable, mais il n’a rien de particulièrement remarquable non plus en sa faveur à part quelques beaux plans de temps en temps.
Cette dernière observation est injuste vu le contexte fort différent des deux productions, et j’évite généralement ce type de jugement, mais il m’amène à la conclusion que l’ancienne série ne vaut plus vraiment le détour. Je préférerais encore recommander le manga, un cran au-dessus, ou plus simplement de se contenter du remake de 2019 car quitte à me faire huer par les puristes, je l’ai trouvé en tout point meilleur. Enfin non, c’est faux car j’ai trouvé le générique de 1969 plus entraînant que ‘Party is over’ et l’autre thème bien fade d’Asian Kung-Fu. C’est déjà ça.