Diffusé dès 1986 sur les ondes, le dessin animé Dragon Ball fit les belles heures de la japanime des 80's. Inspiré par le manga éponyme d'Akira Toriyama, cette relecture étonnante du mythe du Roi Singe (dans le roman Le Voyage en Occident) nous narrait les aventures du petit Son Goku, enfant naïf et intrépide, doué d'une force étonnante et de dispositions de combattant hors du commun. Flanqué de ses acolytes Bulma, Krilin, Oolong, Yamcha et Ten shin han, tous de ses anciens adversaires, le petit garçon évoluait dans un monde fantaisiste où les humains côtoyaient autant de créatures, de robots et d'animaux anthropomorphes et n'avait de cesse de contrecarrer les plans du roi Pilaf, de l'armée du Ruban Rouge et du démon Piccolo, tous en quête des 7 fameuses boules de cristal dont la réunion permettait d'exaucer n'importe quel voeu. Le show berça ainsi l'enfance de bon nombre de tous jeunes téléspectateurs (dont l'auteur de ses lignes faisait partie) jusqu'à devenir totalement culte.
Mais c'est surtout sa suite, Dragon Ball Z, deuxième série plutôt fidèlement adaptée de la seconde époque du manga de Toriyama, qui bouleversa son époque jusqu'à s'inscrire dans la mémoire de plusieurs générations. Diffusé dès 89, DBZ reprend les aventures de Sangoku, cette fois jeune adulte et père de famille, après sa victoire sur le démon Piccolo et sa vindicative progéniture. L'arrivée de son frère sur Terre et la révélation de ses origines extra-terrestres mirent un terme à la dimension naïve et enfantine de ses précédentes aventures. Sangoku, de son vrai nom Karotto, apprend alors qu'il est un des derniers Saiyens (littéralement, les "hommes-légumes"), une race belliqueuse et conquérante qui n'a de cesse de soumettre les peuples les plus faibles. Déterminé à sauver son fils et à ne pas suivre la voie imposée par son sang, Goku doit ainsi affronter son propre frère Raditz, un adversaire dont la puissance est telle qu'il poussera notre héros à s'allier à son plus grand ennemi Piccolo pour le vaincre. Dans ce pugilat fratricide, Goku se sacrifiera laissant à priori la voie à la formation guerrière de son fils Son Gohan par le cruel Piccolo en vue de le préparer à l'arrivée imminente sur Terre de deux autres Saiyens, bien plus puissants encore que Raditz.
Violent et terriblement surprenant, le prologue de DBZ finit ainsi de couper les ponts avec le ton puéril des aventures du petit Sangoku. Mieux encore, contre toute attente, Toriyama décide de tuer son héros dans l'optique évidente d'un passage de relais avec son fils. Mais ce n'est pas pour autant que l'auteur abandonne complètement son personnage, la mort de Goku n'étant alors qu'un prétexte pour lui permettre d'explorer un univers bien plus ample qu'il nous avait jusqu'ici été dévoilé. Alors que le petit Gohan, enfant surprotégé par sa mère Chichi, apprend la dure loi de la nature et tisse des liens indéfectibles avec son mentor, le démon Piccolo, Goku lui, entame un périple interminable dans l'au-delà et n'a d'autre but que de se tenir prêt à défendre la Terre des terribles Saiyens en s'entraînant auprès du fameux Maître Kaïoh, version encore plus délirante du maître martial que ne l'était l'hilarant Tortue Géniale.
L'aventure Dragon Ball Z n'en est alors qu'à ses débuts, la suite des aventures de Goku, Gohan et Piccolo les confrontant non seulement aux derniers Saiyens mais aussi à un tyran galactique sanguinaire, des cyborgs increvables, une créature de Frankenstein insectoïde imbue d'elle-même et un démon aussi ancien que cruel et puéril. Chacun de ces adversaires se révélant plus puissants encore que leurs prédécesseurs, nos héros n'auront de cesse de transcender leurs pouvoirs et repousser leurs limites pour rivaliser avec eux dans des pugilats tous plus impressionnants les uns que les autres. Il s'agit ici de combats où des guerriers aux noms improbables encaissent des vagues d'énergie et rasent des planètes entières sur un simple caprice, où le pouvoir de chacun d'entre eux dépasse l'entendement et où il ne suffit pas de se fier à l'aspect d'un personnage pour deviner sa force et sa dangerosité. Les nombreuses confrontations de la série donnent lieu à des séquences mémorables, portées par la qualité des dessins et de l'animation (en mode économie de montage, DBZ Kai viendra bousculer tout ça) et relevé par le score morriconien de Shunsuke Kikuchi dont chacun des thèmes musicaux résonnent longtemps dans la tête du spectateur. La première confrontation de Goku et Vegeta dans le désert, le pugilat interminable de Goku et Freezer sur Namek (d'une durée de 5 minutes, réparties sur 19 épisodes ??), l'étonnante confrontation de Gohan et Cell lors du Cell Game ou encore l'ultime échauffourée de Goku et Majin Buu dans l'au-delà, toutes ces séquences ont largement influencés l'art de la narration et de l'action au sein de l'animation moderne.
Mais qu'on ne s'y trompe pas, DBZ n'est pas qu'une succession de combats homériques opposants les héros à des ennemis aux pouvoirs toujours croissants. L'intrigue suit ainsi le parcours initiatique de tous ces héros et anti-héros, chacun apprenant de leurs épreuves, de leurs adversaires, de l'isolement (leur entrainement se fait souvent dans la plus grande solitude) et même de leurs propres morts, jusqu'à libérer par le prisme des émotions (l'amour, la colère et la tristesse) la force qui sommeille en eux. Le respect, le courage et la loyauté sont les principales valeurs que défendent Goku et les siens via un long passage de relais générationnel tout au long d'une saga aux nombreux morceaux de bravoure. La transformation de Goku en Saiyen, la mort de Freezer sous la lame du mystérieux Trunks, le sauvetage de Goku par Vegeta face aux cyborgs, la métamorphose de l'innocent Gohan en guerrier surpuissant face à Perfect Cell, la mort de ce dernier face à l'assaut combiné des héros, le sacrifice de Majin Vegeta et la fusion surprenante de Goku et Vegeta face à l'increvable Majin Buu, autant de séquences qui auront marqué de leur empreinte indélébile la mémoire des enfants de l'époque et de tous les otakus d'aujourd'hui.
Les personnages eux-mêmes, tant bons que mauvais, restent tous plus inoubliables les uns que les autres. Du pugnace Goku, figure salvatrice de la dernière chance, à son fils, le contradictoire Gohan, authentique héritier sacrifié et tenaillé par son double héritage (qui oubliera sa prestance héroïque lors du Cell Game ?), en passant par Piccolo, mentor démoniaque se découvrant une fibre paternelle inattendue, Krilin, humain vaillant aux idéaux indéfectibles, ou encore Trunks, personnage aux deux incarnations, l'une espiègle et infantile, l'autre vaillante et imperturbable (Mirai Trunks), tous se révèlent tout aussi admirables qu'attachants. Les méchants eux, ne sont pas en reste et irradient tous une aura menaçante parfois contradictoire comme en témoignent le pragmatisme impitoyable de Cell et la candeur cruelle de Majin Buu. Apportant chacun une forte symbolique au sein de l'histoire, ces antagonistes se voient généralement défaits à cause de leur trop grande confiance en eux et leur refus d'apprendre de leurs erreurs.
Il y en a pourtant bien un qui s'en est sorti haut la main jusqu'à grossir les rangs des héros, comme bon nombre d'anciens adversaires de Goku. Vegeta se pose ainsi comme un des personnages les plus ambivalents de la saga et contribue largement à l'intérêt de l'oeuvre de Toriyama. Sorte de prince sans royaume à l'ego démesuré et à la ténacité sans pareille, Vegeta suit tout au long de l'histoire une évolution morale des plus fascinante, le fier noble Saiyen passant du statut d'antagoniste cruel et génocidaire à celui d'anti-héros refusant de s'avouer son humanisation progressive au fur et à mesure qu'il trouve l'amitié, l'amour et l'affection d'un père pour son fils. Cette évolution morale couplée à son obsession pour son meilleur ennemi Sangoku, guerrier de caste inférieure mais pourtant bien plus fort que lui, en font indéniablement (et plus encore que Gohan dont la progression charismatique s'arrête au Cell Game) l'autre grand héros de l'oeuvre de Toriyama comme en témoignent ses interventions décisives face à Freezer, Cell et Majin Buu. Et l'auteur a beau dire n'avoir jamais porté Vegeta dans son coeur (il comptait faire mourir définitivement le personnage sur Namek), le prince des Saiyens reste désormais une des principales icônes de son oeuvre.
Bien sûr tout n'est pas parfait dans DBZ. On ne compte ainsi plus les épisodes à rallonge s'ajoutant à l'histoire originale, une manière de permettre à l'anime de ne jamais rattraper la publication du manga toujours en cours d'écriture à l'époque de la production. Les animateurs jouent aussi un peu trop sur l'économie de montage, laissant trop souvent les images figées sur le visage des personnages ou sur une scène sous prétexte d'entretenir le suspense (un procédé amplement utilisé dans les animes d'hier et d'aujourd'hui). Soucieux de coller aux événements du manga, les scénaristes se sont néanmoins permis quelques libertés dans le développement de l'histoire, comme l'évocation de Bardock le père de Goku, la rébellion de Freezer, Cold et Cell dans l'au-delà (un épisode inutile qui décrédibilise la menace passée de ces trois antagonistes) ou encore l'apparition de Garlic Junior dans un arc faisant écho à l'OAV A la poursuite de Garlic et servant de transition entre la destruction de Namek et l'apparition de Mirai Trunks. Ces quelques libertés si elles nourrissent plus ou moins judicieusement l'intrigue initiale, ne gomment en rien les nombreuses qualités de l'oeuvre des studios de la Toei.
Une oeuvre qui n'a certainement pas fini de nourrir l'imaginaire de bon nombre de spectateurs et qui s'était vu prolongée de deux suites ultra-référentielles et aux qualités inégales, Dragon Ball GT et Super ne renouant finalement pas avec la dimension épique et furieusement percutante qui faisait toute la réussite de l'oeuvre de Toriyama. Plusieurs films et OAVs, plus (Broly le super guerrier, Fusions Reborn...) ou moins (La revanche de Cooler...) réussis, nourrissent depuis bientôt trente ans l'univers imaginé par l'illustre mangaka, tout en semant une certaine confusion dans sa chronologie "officielle". Et nombre de produits dérivés d'hier et d'aujourd'hui démontrent l'engouement inépuisable des fans pour les aventures de Goku et ses amis. A croire que Dragon Ball est, à l'instar de Star Wars, devenu une oeuvre-référence qui a depuis longtemps échappé à son créateur pour répondre uniquement à l'exigence et aux caprices de ses légions de fans. Car nombreux sont ceux qui, tous âges confondus, répondent encore par un sourire à l'évocation des aventures de Goku, Gohan et Vegeta, témoignant ainsi du caractère intemporel d'une mythologie passée depuis des lustres dans l'imaginaire collectif. A condition aux plus vieux d'entre nous d'arriver à oublier l'horrible chanson d'Ariane...