Euphoria
7.8
Euphoria

Série HBO (2019)

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Pop, dépressif et résolument moderne

(article disponible sur PETTRI.COM)


Quand deux des personnalités les plus importantes de la pop culture actuelle se retrouvent sur un même projet, aussi dantesque que passionnant, on ne peut que saluer l’effort, le geste et, mieux, l’œuvre. Euphoria est de ceux-là. Série produite par l’artiste Drake et avec Zendaya (MJ dans les Spiderman du MCU), elle met en scène tout un panel d’adolescents d’un lycée californien, successivement très archétypaux et symptomatiques de la Z-Gen : ils vivent des déconvenues en ligne, avec les drogues et l’alcool, avec leurs sexualités, dans un monde à la fois sur-connecté et déconnecté de la réalité. Ainsi, tout est pareil et tout est différent qu’avec les autres teen drama. Ici, point d’euphorie joyeuse, on est relativement dans les affres de l’âme humaine, sans que ce soit plombant pour autant, dans un amoncellement d’images numériques filmées dans un grand capteur (en Alexa 65mm). Mais il y a aussi ces belles séquences, surprenantes, tournées en argentique 16mm, qui donnent une respiration organique bienvenue de temps à autre. Bref, tout pour me plaire. J’annonce avant toute chose, je serai dithyrambique. Mais alors pourquoi écrire un tel papier ?


L’envie, la pulsion, le besoin. Quand j’ai commencé la série, je ne savais rien, mis à part la présence de Drake à la production et de Zendaya devant la caméra. Quelle ne fut pas ma surprise après un fabuleux premier épisode fulgurant, puissant et beau, de découvrir le nom de la tête pensante de ce projet : Sam Levinson (fils de Barry), l’homme derrière la plus grande bombe indé de 2018, Assassination Nation. Dans ce fabuleux film coup de poing, Levinson distillait des personnages teen ultra-connectés, dignes représentants de la génération Z, traités avec noirceur mais tendresse, avec une folie égalant son style très moderne, clinique et coloré. Avec Euphoria, il réitère un exploit en déployant toute une palette de tons tant au niveau du récit que de l’image, toujours ultra maîtrisée. En effet, ne serait-ce que le personnage de Rue (Zendaya) est un réel exercice d’équilibriste, entre ses addictions, sa personnalité atypique, son amour pour Jules (Hunter Schafer), sa relation familiale particulière, son humour noir et son attitude détachée. Tonalement, Levinson arrive à réellement tirer parti de ce personnage féminin fort (et) atypique, mais fragile et particulièrement sensible. Quant à Jules, quasiment aucune mention au fait qu’elle soit transgenre, tout comme c’était le cas de Bex (Hari Nef) dans Assassination Nation, un personnage féminin qui se trouve être trans, rien de plus ou de moins.


Là est la posture progressiste de Levinson : dans une tendresse où une certaine jeunesse changeante est plus tolérante, se fait fi des différences pour s’en nourrir et devenir meilleure. Et puis d’autres individus, plus archétypaux, comme Nate ici, sont des sociopathes qui doutent d’eux-mêmes et détestent leur propre personnalité et sexualité, et font payer les autres pour leurs faiblesses pourtant communes à toute la psyché humaine. Tout le monde souffre dans cette série – comme dans la vie. Tout y est décuplé évidemment, mais très bien développé pour des personnages plus ou moins importants, mais qui ont toutes et tous des arcs parfaitement distillés et appliqués dans un récit dont on ne voit pas passer les huit heures. Parce que oui, la passion avec laquelle on regarde les huit épisodes de cette première saison est équivalente à une obsession, mieux, une addiction, un amour, comme celle et celui de Rue avec les drogues et son amie Jules. Si le binge n’est pas conseillé, on enchaîne néanmoins facilement les épisodes, et à chaque pause, on n’arrête pas d’y penser, sans cesse, jusqu’à avoir son fix en fin de journée. Il y a quelques choses de rare et d’imperceptible.


Dans le premier épisode, après une prise de drogues en soirée, Rue déambule dans un couloir qui tourne sur lui-même, comme dans la fameuse scène d’Inception, les sens décuplés par une exécution sans fausse note. Il y a aussi ces montages toujours aussi précis et impactants et une lumière et une photographie douce, colorée et moderne, toujours de bon goût et au cordeau, faisant la part belle au(x) mouvement(s). Rythmée par une bande son incroyablement riche et très peu avare en découvertes hip-hop dingues, Euphoria a une force de taille de plus dans son camp : la musique. Mieux, la musicalité. La rythmique comme témoin de l’époque, en voilà une bonne idée. En plus d’une composition habile de Labrinth, on assiste à un déferlement de bombes rap (mais pas que) signées JID, Anderson.Paak, Billy Eillish, Migos mais aussi A$AP Ferg et évidemment Drake et Future (les producteurs de la série). C’est avec un casting d’inconnus aussi génial et habile que frais qu’Euphoria séduit en premier lieu : Hunter Schafer, Alexa Demie, Jacob Elordi, Barbie Ferreira, Algee Smith, Storm Reid, Angus Cloud, Sydney Sweeney sont tou.te.s superbes, en plus de Zendaya, Maude Apatow et d’Eric Dane, parfait en père WASP pervers et combattant fermement sa sexualité. Si la série est tirée d’un programme israélien, celui-ci semble manquer de l’ambition d’Euphoria à en juger par sa bande-annonce en demi-teinte. Levinson a dû prendre moult libertés pour s’approprier une base récitative simple mais éclatée entre une bonne dizaine de personnages, qui semble tous porter une idée de la thèse globale de la série : l’innocence adolescente contrariée par la recherche sans fin et sans limites du bonheur, de l’extase, de la défonce, de l’euphorie. C’est autant un constat qu’une exploration d’une probable expérience personnelle que nous propose Levinson, jeune réalisateur de la jeunesse dorée californienne, qui a dû souffrir des mêmes affres étant ado. La jeunesse d’Euphoria, en perpétuel mouvement même quand la dépression vient frapper d’un joug infiniment lourd, est belle et flippante, comme à chaque génération et dans chaque civilisation. Tantôt bienveillante et innocente, tantôt cruelle et grotesque, sans cesse sibylline, elle transpire par tous ses pores d’une humanité transcendée.

JobanThe1st
10
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le 12 nov. 2019

Critique lue 9.9K fois

40 j'aime

2 commentaires

Jofrey La Rosa

Écrit par

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40
2

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