(article disponible sur PETTRI.COM)


Pour paraphraser une idée du film, « à force de pratique, on s'améliore ». Et si on applique cet adage tout de même simple à Judd Apatow, réalisateur de ce film, on remarque alors que ce sixième long métrage est surement son plus abouti et son plus instantanément réussi depuis le début de sa carrière de metteur en scène. Non pas que ces précédents films ne l'étaient pas, bien au contraire même, mais dans une dimension plus expérimentale, peut-être moins touchante à la première vision. Pourtant, les films d'Apatow ont toujours porté dans leur ADN un revers ultra-sensible à leur sève comique souvent conceptuelle : un quarantenaire toujours vierge (The 40-Year Old Virgin), une grossesse entre deux êtres opposés (Knocked Up). S'il avait esquissé un virage réflexif avec Funny People, œuvre crépusculaire magnifique mais à l'insuccès tel qu'il a dilué son message dans This is 40, une chronique quasi-autobiographique, floutant de plus en plus les frontières entre son œuvre et sa vie. C'est à partir de Trainwreck qu'il entame une nouvelle phase entamée plus tôt en tant que producteur : prendre des talents comiques, leur faire écrire un scénario proche d'eux et de leurs préoccupations, et les porter à l'écran (au cinéma comme à la télévision). Il l'avait déjà fait avec Seth Rogen, Jason Segel (Forgetting Sarah Marshall, The Five-Year Engagement), Kristen Wiig (Bridesmaids), Lena Dunham (Girls), Paul Rust (Love), Pete Holmes (Crashing). Et en effet, dans Trainwreck, il avait laissé quasi entièrement la place à Amy Schumer, dans ses excès comme à son meilleur, dans ce qui est finalement qu'une comédie romantique assez classique, un peu étirée selon les standards apatowiens. Donc quand il a été annoncé qu'Apatow reviendrait au cinéma après une pause consacrée au stand-up (The Return sur Netflix), il a encore été question de travailler étroitement avec un nouveau talent de la comédie US.


Pete Davidson est sociétaire au Saturday Night Live depuis 2014, campant souvent des personnages de jeunes ou de drogués. En plus de cette émission-phare dans le paysage comique américain, il monte sur scène avec son spectacle de stand-up, en plus d'être le chouchou des tabloïds avec plusieurs relations amoureuses avec diverses actrices et chanteuses très connues. On l'a déjà vu cette année dans le très bon Big Time Adolescence, mais avec The King of Staten Island, Davidson tape fort. Loin d'une composition simpliste, il interprète une version de lui-même, jeune rêveur de Staten Island, cette île populaire au large de New-York, aux aspirations plus fumistes que réalistes. Pas très talentueux, il vit toujours chez sa mère à 24 ans, alors que sa petite sœur (Maude Apatow) s'en va pour l'université. Son père, lui, était un pompier, mort lors d'une intervention. Et là encore, les frontières entre la fiction et la réalité se frictionnent : le père pompier de Davidson est en effet mort le 11 septembre 2001 durant les attentats terroristes qui ont frappés New-York. Le personnage de Davidson se nomme même Scott, du nom de son père, c'est dire si ce drame matriciel chez l'acteur-auteur va se retrouver au cœur de ce film. Et en effet, au début du film, ses amis évoquent la mort de son père, dans un mélange d'acceptation et de tension triste, avant que l'on apprenne que Scott est sous anti-dépresseurs, noyant son marasme dans les anxiolytiques et le cannabis, rêvant d'ouvrir un salon de tatouage/restaurant. Désormais seul chez lui avec sa mère (Marisa Tomei, géniale), il doit en plus de ça faire face à ce que celle-ci voit de nouveau un homme, après un deuil de 17 ans. Mais ce qui gêne le plus Scott dans cette relation, c'est le fait que Ray (Bill Burr), le nouveau Jules de sa maman, soit lui aussi pompier.


S'ensuit moult péripéties, impliquant son groupe d'amis, une jeune femme avec qui il a une relation amoureuse compliquée, sa mère, sa sœur, son nouveau beau-père, ses collègues, les enfants de Ray et même sa caserne de pompiers. Durant les 2h17 de métrage (une constante d'Apatow, faire des films plutôt longs dans le paysage de la comédie), on est à la fois impressionné par l'ampleur du récit, très foisonnant, et son rythme, lancinant mais rapide. Il se passe plein de choses, avec plein de personnages secondaires (Davidson est de tous les plans), et le récit semble être ambitieux, dans un ton que ne renierait pas des gens comme Cassavetes, Ashby, Brooks ou Crowe. Apatow est en cela arrivé à ce qu'il tendait dans ses premiers films : mixer son amour de la comédie, du tac-au-tac rythmique de l'humour, à une sensibilité omnipotente qui donne à The King of Staten Island tout son attrait, sa force aussi, pour un portrait à la fois précis, nuancé, original et in fine universel. On rit, on s'émeut, on s'étonne, comme dans la vie. Mais c'est bel et bien un vrai film auquel on assiste, pas forcement un amas de scènes tel qu'on pourrait juger certains des précédentes réalisations d'Apatow. C'est là où il a gagné en maturité, en efficacité, en force. Et comme à son habitude, il a fait appel à un directeur de la photographie ultra-prestigieux. Après Jack Green, Eric Edwards, Janusz Kaminski, Phedon Papamichael et Jody Lee Lipes, c'est Robert Elswit, le chef opérateur de Paul Thomas Anderson et des frères Gilroy, qui met en lumière la mise en scène simple et belle, parfois même très interessante, d'un Apatow visiblement très inspiré. Tourné en pellicule (Apatow en est un grand défenseur à Hollywood - il aime le rythme qu'impose un tournage argentique, ainsi que le rendu intemporel), le film est visuellement magnifique. Des intérieurs chauds aux beaux extérieurs de Staten Island, Elswit a su retranscrire la belle chaleur froide de cet endroit entre deux eaux, qui représente bien son roi, le jeune Scott. Au rythme de Kid Cudi, Lil Wayne ou Explosions in the Sky, on est transporté dans la psyché de l’alter-ego de Pete Davidson, dans un film à la fois drôle et émouvant, qui ne laisse aucune place à l'ennui, où son metteur en scène trouve enfin une formule parfaite, et dans lequel on reviendra se plonger de façon certaine. Allez voir The King of Staten Island, c'est chaudement recommandé.

JobanThe1st
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le 15 juin 2020

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31 j'aime

Jofrey La Rosa

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