Euphoria
7.8
Euphoria

Série HBO (2019)

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Après son petit pamphlet adolescent contre l’Amérique et la masculinité toxique, Assassination Nation, Sam Levinson revient cette fois-ci avec la série Euphoria, série « teen » qui analyse de près comme de loin les errements et les démons d’une jeunesse américaine en pleine phase de (dé)construction. Et c’est une réussite : on n’avait pas vu meilleure série « adolescente » depuis la première génération de Skins.


L’adolescence en série ou au cinéma ce n’est pas ce qui manque : Larry Clark et son naturalisme sec et âpre, Harmony Korine et ses rêves éveillés avec les « freaks », et surtout Gregg Araki et son questionnement identitaire et sexuel s’acoquinant avec le fantastique et le surnaturel à l’image de Kaboom, Nowhere ou même dernièrement, sa série « Now Apocalypse ». Sans parler de Gus Van Sant et de plein d’autres. De son côté, Euphoria, se jouant de ces nombreuses références, est une suite logique du précèdent film de Sam Levinson, sans en être un pur décalque : on y suit le parcours lycéen de Rue, tout juste sortie de désintox et tombant petit à petit amoureuse de la jeune Jules.


Le style est toujours aussi percutant, marchant parfois à l’esbroufe, tape à l’œil, montrant les muscles et surtout, en symbiose totale avec cette cohabitation sociale étouffante, entre des sentiments humains assez profonds voire dépressifs, et une surenchère matérielle et superficielle d’une jeunesse qui s’amuse autant qu’elle est trahie par les réseaux sociaux. L’habillage visuel chromatique, sa multitude d’idées de cinéma (reconstitution policière de Rue et Lexi sur la nuit de Jules), les thématiques, son montage syncopé, son univers musical pop, certains dialogues crus, sa sexualisation débordante ou même l’ambiance parfois électrique, nous montrent que nous sommes bien chez Sam Levinson. Malgré ses qualités évidentes, Assassination Nation faisait uniquement de ses personnages, les étendards d’une revendication ; même si la virulence et la sincérité du propos militant étaient de mise, et c’était tout à l’honneur du film, les personnages avaient un certain mal à se détacher de cette intentionnalité d’archétype moral. Euphoria va continuer dans ce sillon là, mais avec beaucoup plus de pertinence, de liberté et de complexité : les personnages vont faire vivre les thèmes abordés et les thèmes vont questionner les personnages sur eux-mêmes, les faire évoluer comme un jeu de ping-pong entre la série et la conscience de chacun d’entre eux.


Euphoria va parfaitement faire se rencontrer l’attraction et le pouvoir du corps avec l’errance et la déréalisation de la personnalité. C’est l’immense force de la série, son foisonnement, la qualité de l’illustration des nouvelles mœurs adolescentes, sa capacité à se déjouer des codes du « teen movie » pour bâtir un espace mouvant, sombre, hybride, transgenre et donc, de voir un environnement télévisuel qui évolue à chaque épisode et qui comprend avec justesse la nouvelle génération et ses travers. D’une scène à l’autre, la série va pouvoir changer de visage, sans jamais moraliser aucun acte, quitter le pouls euphorique de soirées enflammées pour le calme évanescent de certaines discussions, ou voir s’abattre les disputes et sa violence narcissique (le bizutage de McKay et sa relation sexuelle qui s’en suit avec Cassie) et prendre un reflet complément différent : jouer avec sa multitude de personnages et construire un univers en forme de mosaïque. Allant de la jeune Kat, fière de ses formes pulpeuses et se jouant de son pouvoir sexualisant qui grimpe, de Rue et ses multiples addictions, ou de Nate, qui voit en lui une lutte intestinale entre son égo toxique et son miroir paternel qui fait vaciller sa vision de la famille et de la masculinité.


Le format sériel permet à son auteur d’aller plus loin, de faire grandir avec plus de poids ses personnages et arrive à donner une portée plus humaine à ses intentions. L’épisode 1 est un concentré de ce que Sam Levinson va nous offrir : caméra mouvante (zoom, travelling, plan séquence) et luminosité faite de néons, jeunesse libre, sexualisée et violente, questionnement sur le corps et son image, appartenance et abandon à l’autre, féminité et masculinité, joie et dépression, monde adulte et ses fêlures hypocrites voire dissimulées. Il y a une certaine rage dans la manière de faire de Levinson, grâce ou à cause de ses nombreux tics visuels qui peuvent devenir vite rébarbatifs, mais qui épousent de manière prégnante le côté asphyxiant d’un univers juvénile loin d’être rose. Dans Euphoria, on retrouve tout l’attirail de l’épouvantail de la série « teen » : la fille mal dans sa peau, le gosse de riche, la famille réac, le sportif talentueux, la femme qui élève seule ses enfants, le père dominateur, la fille pulpeuse, la cheerleader, le quaterback, l’intello, le gentil garçon, etc. Mais tout cela n’est qu’une illusion, une représentation faussée et la série va tout balayer sur son passage pour jongler sur les multiples niveaux de lecture de chacun, explorer les synapses de cette société, grâce notamment aux réseaux sociaux et leurs possibilités infinies de réappropriation de soi et de culture du moi, pour nous dévoiler une réalité qui n’est pas forcément celle qui se distingue au premier abord.


Même si parfois l’écriture de Sam Levinson y va en mode marteau piqueur pour nouer les relations entre personnages, il est difficile de ne pas être épaté par l’architecture des épisodes et la tenue de l’écriture de la série. Chaque épisode parle d’un personnage en particulier, en partant de son enfance jusqu’à aujourd’hui, allant du contexte jusqu’à la finalité et arrive également à faire vivre tout ce petit monde en même temps. L’épisode 4, épisode choral qui se déroule durant une fête foraine et qui voit toutes les situations voler en éclats en est l’exemple le plus frappant. Mais prenons le numéro 5 comme référence, épisode qui s’intéresse de plus près au personnage de Maddy : la série arrive à traiter de l’amitié, de l’amour toxique et même de l’amour « thérapeutique » et son aspect effrayant, de la violence faite aux femmes et de la douleur procédurale faite aux victimes, de l’amertume maternelle, de la sexualité féminine et sa souveraineté. En un seul épisode.


Derrière toutes ces thématiques, qui sont nombreuses, et souvent traitées de manière assez juste, comme l’âge d’or du lycée et la peur de l’avenir (le dernier dialogue entre Nate et Rue est impressionnant), une chose lie tous les personnages et leur évolution : la propriété de leur corps, leur liberté d’agir et leur libre arbitre. Dans une société où la vie privée est parfois un doux rêve utopique, à force de sextape, voyeurisme, messages et autres manipulations d’URL, Euphoria analyse avec précision les versants d’une jeunesse, qui cherche autant à se construire une apparence comme si elle était un avatar invincible, à colmater les brèches créées par Internet, à être fière de son identité et à déconstruire une normalité de genre et de sexualité. Une société qui a beaucoup de mal à se détacher de sa propre image pour faire confiance à l’autre, comme en atteste cette burlesque relation entre Kat et Nathan, qui lors de l’épisode 8, amènera l’une des plus belles déclarations de cette saison. Une série, qui par sa force technique et d’écriture, son casting impeccable, arrive idéalement à créer une oeuvre générationelle qui parle autant de l’individu que de la société américaine.


Article original sur LeMagducine

Velvetman
8
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le 9 août 2019

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Velvetman

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