On ne regarde pas forcément une série TV, coréenne plus particulièrement, pour son effet feel good, mais il fait bien reconnaître que chaque épisode de Extraordinary Attorney Woo nous offre l’occasion de verser quelques larmes, qui peuvent être d’émotion mais sont souvent de joie pure. En écrivant ça, on entend à l’avance les cyniques de tout poil parler de guimauve, mais ce sont là les malheureux qui n’ont pas encore jeté un œil sur… la très belle réussite qu’est la série dirigée par Yu In-Sik. Car, en « produit » coréen bien typique du savoir-faire local, elle nous propose un mélange de genres particulièrement original. Et audacieux. Et détonnant…
Expliquons un peu de quoi il retourne ici : Woo Young-Woo est une jeune étudiante en droit, brillante, majeure de sa promotion à la très réputée université de Séoul. Pourtant, aucun cabinet d’avocats ne veut l’embaucher, car elle est… autiste ! Le jour où la directrice générale du prestigieux cabinet Hanbada lui propose d’entrer comme « stagiaire » en son sein, Woo Young-Woo voit enfin ses rêves se réaliser : elle va pouvoir mettre son exceptionnel talent au service de ses clients, et de la Justice ! Mais cette offre cache de plus sombres desseins qu’il n’y paraît…
Chacun des 16 épisodes – durant une heure au minimum – va nous proposer, de manière assez conventionnelle il est vrai, une affaire (occasionnellement étalée sur deux épisodes) dont est chargée notre drôle d’héroïne, avec, en « fond d’écran » l’évolution de son histoire d’amour avec un employé du cabinet, le développement d’une énigme familiale relative à ses origines, mais également divers jeux de pouvoir auxquels elle est involontairement mêlée. A partir de là, Extraordinary Attorney Woo devient très vite, une fois l’introduction du pilote passée, à la fois un thriller psychologique, une comédie romantique (sucrée, certes, mais très efficace), une comédie burlesque ne reculant pas devant le grotesque de certaines scènes, mais surtout un portrait à charge, sans aucune complaisance, de la société coréenne. Les scénarios des différents épisodes appuient la plupart du temps implacablement là où ça fait mal (et parfois très mal, parce que, évidemment, la série nous renvoie à nos propres préjugés) : rejet des « handicapés », des « anormaux » ; mépris bien enraciné de la femme, soumise à nombre de violences psychologiques ou même physiques ; rigidité des structures hiérarchiques qui font fi des compétences réelles des employés au sein des entreprises ; corruption profonde des structures politiques…
Chaque épisode offre son lot d’humiliations, de frustrations, de défaites (pas de victoire systématique de l’héroïne, loin de là) : aucun manichéisme à l’occidentale dans la série, chaque personnage ou presque se comportera mal à un moment, et plusieurs personnages déplaisants, voire haïssables, auront l’occasion de montrer le meilleur d’eux-mêmes, au moins temporairement. Les problèmes intellectuels, juridiques, moraux, voire sentimentaux qu’affrontent les personnages sont systématiquement complexes (hormis peut-être dans le pilote, qui sert plus de présentation générale), et l’intense plaisir que l’on ressent régulièrement devant la série est la conséquence de cette complexité, et de la certitude que, la plupart du temps, comme dans la vie, il n’existe pas de solutions simples et évidentes.
Mais tout cela, aussi bien écrits que soient les scénarios de la série (ils sont dus à un seul homme, Moon Ji-Won, et non à une équipe comme dans le modèle de la série US…), ne fonctionnerait pas sans deux éléments-clés à la réussite de Extraordinary Attorney Woo. D’abord, l’exceptionnelle luminosité qui se dégage des images : le terme de « solaire » est celui qui vient vite à l’esprit, chaque épisode dégageant un sentiment enthousiasmant de beauté, d’espoir, d’ouverture qui vient toujours équilibrer la noirceur des situations décrites et des conflits qui se multiplient à l’envie. Ensuite, il y a l’interprétation de Park Eun-Bin, irrésistible en brillante autiste obsédée par les mammifères marins (ce qui nous vaut nombre de superbes scènes surréalistes où des baleines ou des dauphins naviguent dans le ciel de Séoul) : elle trouve quasiment toujours le juste point d’équilibre entre comédie et drame, souffrance et enthousiasme. Elle est tour à tour bouleversante d’humanité défaite, ou plutôt incomplète, impressionnante d’intelligence et hilarante de maladresse : elle est dans quasiment tous les épisodes responsables de ces larmes d’émotion et de bonheur que nous versons. Plus encore que le fameux rôle que tenait Dustin Hoffman dans Rain Man, son portrait de l’autisme, aussi artificiellement spectaculaire soit-il (on sait bien que tous les autistes ne sont pas géniaux), fait indiscutablement beaucoup avancer la cause de l’intégration des autistes dans la société.
Ce n’est pas le moindre mérite d’une série qui, en plus d’être un divertissement exceptionnel, a un cœur gros comme ça. We Love Extraordinary Attorney Woo !
PS : Pour la petite histoire, il faut souligner que le succès international de la série est en train de faire croître de manière exponentielle la renommée du gimbap, version coréenne du sushi japonais. Bientôt dans un restaurant près de chez vous...
[Critique écrite en 2022]
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