Fauda
7.1
Fauda

Série Yes (2015)

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Les inflitrés [Critique de "Fauda", saison par saison]

Saison 1 :Pour pouvoir regarder sereinement "Fauda", série israélienne à l'excellente réputation, il faut sans doute admettre dès le départ que, à l'image de ce qui se fait aux USA, il ne sera pas question ici de remettre en cause fondamentalement la doctrine nationale ou l'honneur de la nation : ceux qui soutiennent activement la cause palestinienne auront sans doute intérêt à s'abstenir ! Les autres se laisseront prendre au jeu d'une fiction politique partant du principe de l'existence d'une cellule du Hamas fanatisée et adoptant les méthodes radicales de l'E.I., et évidemment traquée par les services israéliens autant que par l'Autorité Palestinienne et la direction du Hamas : car en fait, pourquoi pas ? Sur ce scénario de cauchemar, Lior Raz et Avi Issacharoff nous proposent un thriller façon "24 heures", qui enchaîne les scènes d'action et les retournements de situation, sans trop se poser de questions morales, et qui fonctionne étonnamment bien, en particulier lors de deux épisodes paroxystiques survenant curieusement en plein milieu de la saison.

Car "Fauda" a paradoxalement l'audace (la lucidité ?) de nous montrer un groupe d'infiltration et d'intervention israélien dysfonctionnel, dont aucune mission ne semble jamais réussir, miné autant par des conflits entre ses membres que par un certain amateurisme se traduisant par une suite d'improvisations aux effets désastreux : on est loin de la représentation de services israéliens implacables et tout-puissants qui prévaut à Hollywood ! En face d'eux, la société palestinienne est figurée, non sans une certaine lucidité semble-t-il, comme étouffée autant par la religion que par l'étau israélien, et ne fonctionnant à peine qu'à travers les relations traditionnelles, familiales surtout, seul refuge contre la souffrance. Et des deux côtés des check-points, "Fauda" dépeint les mêmes arrangements avec la morale, la même corruption, les mêmes ambitions dévorantes.

Si "Fauda" souffre d'une réalisation sans imagination et d'interprètes assez peu convaincants, à l'image de Lior Raz lui-même avec son jeu extrêmement limité, les scénaristes gèrent suffisamment bien les moments de tension pour que le spectacle soit addictif. Ils nous offrent surtout un dernier épisode intelligent en forme d'anti-climax qui nous fruste de nos désirs primaires de vengeance mais conclut joliment la suite logique de causes et de conséquences, la plupart du temps incontrôlée (la série mérite bien son titre, "le Chaos" en arabe...), qui en a constitué le plus grand intérêt.
[Critique écrite en 2018]

Saison 2 :
Il est un peu dommage de constater que pour la seconde saison de leur série à succès, "Fauda", Lior Raz et Avi Issacharoff ont choisi l'option la plus facile, la plus simpliste, c'est-à-dire une simple photocopie à l'identique de la première saison, en augmentant simplement les enjeux et la violence. On retrouve donc ici un terroriste anti-israélien agissant en dehors du Hamas (ici, il est inféodé au grand épouvantail global qu'est l'Etat Islamique...) et de ses règles, et une affrontement plus "personnel" que politique entre lui et le groupe d'infiltration dans lequel "s'illustre" Domon, encore plus en roue libre ici qu'auparavant. Difficile de ne pas reconnaître l'efficacité de la série, qui réussit particulièrement bien les montées en tension et les scènes d'action, tout en demeurant assez flottante quand il s'agit de parler de rapports humains, sans même parler de relations amoureuses. A l'image de son modèle évident, "24 Heures Chrono", "Fauda" prête généreusement le flanc à la critique en justifiant largement la torture, et offrant une vue de plus en plus biaisée de la situation palestinienne. Mais curieusement, ces excès ne la disqualifient pas complètement, car grâce au filmage in situ et aux acteurs du cru, la série reste fortement crédible, et nous permet de saisir à la volée, presque en dépit de son scénario, quelque chose de la réalité de cette partie du monde perpétuellement en guerre, soumise à une haine inextinguible et sombrant régulièrement dans le Chaos.
[Critique écrite en 2018]

Saison 3 :
Malgré tous ses défauts, "Fauda" nous a intrigués, passionnés même parfois au cours de ses deux premières saisons, sans doute parce que, en dépit de ses gros travers idéologiques, elle nous donnait quelque chose à voir de ces territoires gangrenés par des décennies de guerre, quelque chose à saisir de la situation inextricable dans laquelle survivent les populations palestinienne et israélienne. Oui, "Fauda", malgré son désagréable côté de propagande "anti-terroriste" (soit le terme appliqué depuis toujours par les conquérants à ceux qui résistent à leur conquête, ne l'oublions jamais), nous parlait mieux que les reportages d'actualité de ce brasier de haine inextinguible.

Après deux saisons irrégulières, voici donc venu le temps de l'excès - puisqu'il faut toujours en faire plus, apparemment, pour garder le bon public devant son téléviseur - et de la perte de crédibilité attenante. Si la crainte israélienne – bien réelle – vis à vis de l’infiltration d’agents du Hamas grâce à des tunnels est a priori un excellent sujet, et si l'introduction de la saison - ses 3 premiers épisodes - est intéressante, parce que l'on nous montre un Doron (Lior Raz, toujours aussi peu convaincant, malgré son charisme certain) tellement infiltré dans la société palestinienne qu'il y a tissé de véritables liens d'affection, la série bascule rapidement ensuite dans l'outrance, cherchant le spectaculaire et la tension à tout prix, aux dépends de la crédibilité politique : la (trop) longue séquence de l'attaque commando en plein cœur de Gaza condamne toute la saison à ressembler cette fois à un simple instrument de propagande contre le Hamas et en faveur de la supériorité militaire israélienne.

Et si la fin, en anti-climax douloureux, est indéniablement belle, il y a belle lurette que la déshumanisation du personnage a priori emblématique de Bashar (Ala Dakka, sans doute un peu vert pour un rôle pivotal qui nécessitait plus de subtilité) a désolidarisé le téléspectateur de ce qui devait être, en théorie, le parcours emblématique d'un honnête homme vers la violence et la haine. Cette tragédie individuelle, indissociable de telles situations de guerre civile, qui aurait dû constituer le grand sujet de la saison, a été reléguée en arrière-plan par des scènes d'action et de suspense trop systématiques, et surtout par le fait que "Fauda" ne peut s'empêcher de nous montrer qu'un mort israélien compte plus qu'un mort palestinien.

Il est sans doute temps que "Fauda" s'arrête, avant de devenir franchement détestable.
[Critique écrite en 2020]

https://www.benzinemag.net/2020/07/12/netflix-fauda-saison-3-la-saison-de-trop/

Saison 4 :

Les deux premières saisons de Fauda avaient su à peu près se tenir sur le fil du rasoir entre justification (difficilement audible) de la politique israélienne envers les Palestiniens, basée sur l’usage immodéré de la force policière et militaire, et regard à hauteur d’homme (et de femme) sur les destins individuels, de part et d’autre des frontières de la haine et de l’incompréhension entre les deux peuples. La troisième avait été plus difficile à avaler, jouant trop le jeu du spectaculaire (l’influence de Netflix ?) et rompant l’équilibre moral entre Israéliens et Palestiniens si important à la crédibilité de la série. On abordait donc cette quatrième saison avec beaucoup de craintes…

… qui se révèlent vite injustifiées, Lior Raz et Avi Issacharoff réussissant cette fois à nous proposer douze épisodes à la fois plus défendables moralement et politiquement, et encore plus remplis de tension et de dilemmes. Voire de pure tragédie, comme dans le final, brillant, de la saison, qui mériterait de clore, de façon certes suspendue, l’ensemble de la série.

L’intelligence du scénario de la saison, surtout en tenant compte du contexte actuel où l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir en Israël met franchement en péril le très fragile équilibre entre juifs et arabes, est d’avoir su largement délocaliser l’action : débutant en Belgique, et nous permettant donc à nous, Européens, d’intérioriser la question du terrorisme en nous rappelant que ces luttes-là sont globales, et surtout se centrant pendant plusieurs épisodes sur la situation libanaise, puisque Doron (Lior Raz lui-même, toujours aussi fascinant mais clairement meilleur scénariste qu’acteur) fait cette fois une longue incursion entre Beyrouth et la frontière syro-libanaise, Fauda renouvelle ses sujets. D’abord, l’ennemi devient le Hezbollah, un ennemi beaucoup plus consensuel, plus acceptable vu de notre point de vue européen que le Hamas ou les Palestiniens en général : l’échiquier politique se globalise, on l’a dit, mais se complexifie aussi, permettant à la série de regagner des teintes bienvenues de gris, loin d’un dangereux manichéisme.

Au-delà des états d’âme et des problèmes familiaux des membres (enfin ceux qui ont survécu) des Services Spéciaux israéliens, qui commencent à sentir le réchauffé, ce sont à nouveau les personnages palestiniens qui captivent ici, et dont on ressent cruellement l’absence d’issue. Ainsi, le beau personnage de Maya (Lucy Ayoub), centre de la saison : jeune femme palestinienne brillante, elle a choisi par amour un mariage avec un Juif, et a intégré la police israélienne, mais elle va devoir affronter le fait que tous les beaux arrangements qu’elle a réussi à négocier jusque là ne sont que du vent, et choisir, dans un dernier épisode profondément tragique, sa place. Même son frère, Omar (Amir Boutrous), qui a au début le profil stéréotypé du terroriste honni, va gagner au fil de l’histoire une humanité qui pourra certes faire grincer des dents, mais qui rappelle, comme dans le fameux précepte renoirien, qu’au cinéma, il convient avant tout de montrer que chacun a ses raisons.

Comme toujours, Raz et ses compères scénaristes ne se privent pas de pointer que les révérées et craintes forces militaires et policières israéliennes sont bien loin d’être infaillibles et toutes-puissantes, et insistent sur le profond sentiment de culpabilité qui mine forcément ces « héros ». Plus intéressant encore est le fait que, dans cette saison, Fauda nous montre qu’un personnage aussi iconique que Gabi (Itzik Cohen) n’est pas intouchable, et que Doron, lui-même, devenu trop proche au fil de ses infiltrations du peuple palestinien, pourra commettre une erreur dramatique qui précipitera le drame final.

Les dernières images du dernier épisode sont celles d'une prière hébraïque ("shema israel") que les croyants doivent reciter notamment à l'approche de la mort. Mais le fait que Doron l'entremêle d'une prière funéraire musulmane, récitée en arabe, a l'immense mérite de rappeler l'égalité de tous les combattants face à la mort, et constitue une splendide conclusion de cette excellente saison qui nous a réconcilié avec Fauda.

[Critique écrite en 2023]

https://www.benzinemag.net/2023/02/10/netflix-fauda-saison-4-vies-sans-issue/

EricDebarnot
7
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le 16 févr. 2023

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Eric BBYoda

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