The final space
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le 25 juil. 2018
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C'est le nouveau credo : et si une série comique pouvait porter en elle son lot de sérieux et de tragique, au-delà de simples cas de morale régurgitée à la façon des Sitcoms. On avait perdu l'intelligence du burlesque et de l'héroïne comique il y a quelques siècles à la mort de Rabelais, pet à son âme. Mais ça revient. Passé les années 90 on se retourne même sur les 2be3 et la mort de son chanteur leader, en se disant qu'on était passé à côté du drame en cours.
Ça revient donc, avec une séries comme Rick&Morty par exemple, qui prend un peu plus le temps que Robert Zemeckis de développer toutes la lourdeur sociale d'un grand-père scientifique fou qui force son petit-fils à être son cobaye. Ça revient avec Bojack Horseman, série à la fois poilante et désopilante, mais aussi excessivement dramatique au point d'être de nouveau poilante, puisqu'elle en arrive à singer la méthode dramatique dramatiquement calibré du cinéma hollywoodien.
Et puis cette série donc qui travaille le filon à sa manière tant que ça marche toujours, et ça marche bien. La série est portée par une forme d'énergie très particulière, particulièrement emmenée par son personnage principal qui s'appelle Gary.
Gary a passé plusieurs années dans une prison en quarantaine de l'espace, tout seul avec un robot insupportable qui s'appelle Kevin (au début on se dit que Gary est un peu dur avec Kevin, à force on se dit que Kevin est vraiment casse-couilles), et plein d'autres robots ménagers bricoleurs, et l'incontournable parodie de Hal, qui s'appelle Hue ici, robot entité vaisseau sans enveloppe véritable, à la voix mielleuse.
Gary a fait une promesse un jour à son papa d'avoir beaucoup d'aventures, alors il raconte tout ce qu'il vit à haute voix comme s'il racontait à d'autres des histoires de superhéros. Si bien que les aventures qui finiront bien par lui tomber dessus ne semblent pas plus que ça le bouleverser dans sa pratique de toute manière quasi routinière du Climax.
Sa prison fonctionne sur un principe d'infraction permise dont la punition n'est toujours que de prolonger la peine. On comprend vite que Gary peut faire à peu près ce qu'il veut tout compte fait, en se faisant seulement rappeler à chaque fois par Hue que sa peine s'allonge, c'est-à-dire qu'il pourra continuer à faire à peu près ce qu'il veut pendant davantage de temps… le contexte même tient du burlesque.
Il y a une seule règle que Gary n'ose pas enfreindre, c'est celle qui lui interdit de se servir dans la machine à friandises, sous peine d'allonger son séjour de vingt-quatre heures par cookie. Petite nostalgie probablement d'une époque où il craignait encore cette forme de fausses captivité à perpétuité.
Ce contexte particulier, d'un être gavé de fantasmes aventuriers aux prises d'une captivité fantasmée permet le plein épanouissement de ce personnage extrêmement attachant qui vit tout comme l'occasion de saisir un instant que personne, en définitive, ne lui a jamais enlevé. Personne si ce n'est les lianes peut-être d'un imaginaire collectif (dont il ne faut pas négliger la puissance) véhiculé par le personnel robotique de sa prison poreuse.
Ainsi chaque introduction d'épisode nous présente le personnage dans un flash forward apocalyptique, à quelques secondes d'une fin semble-t-il inéluctable, à chercher malgré tout des solutions désespérées qui, bien qu'elles ratent toujours dans le déroulement d'un éternel retour Ntzschéen, permettent à chaque coup l'accession du Midi, lui aussi nietzschéen, c'est-à-dire l'accession à une forme de Climax de la pensée au sein de laquelle le voyageur qu'il est atteint la pleine humanité voir au-delà, sous la forme généralement d'une révélation tragi-comique .
Pour mieux illustrer mon propos je vous propose en conclusion ce petit texte qui s'appelle Le Voyageur, extrait du livre Humain, trop humain de Nietzsche.
Qui est parvenu, ne serait-ce que dans une certaine mesure à la liberté de la raison, ne peut rien se sentir d'autres sur terre que voyageur, pour un voyage, toutefois, qui ne tend pas vers un but dernier, car il n'y en a pas.
Mais enfin, il regardera, les yeux ouverts à tout ce qui se passe en vérité dans le monde ; aussi ne devra-t-il pas attacher son cœur a rien de particulier ; il faut qu'il y ait aussi en lui une part vagabonde, dont le plaisir soit dans le changement et le passage.
Sans doute, cet homme connaîtra les nuits mauvaises, où, pris de lassitude, il trouvera fermée la porte de la ville qui devait lui offrir le repos ; peut-être qu'en outre, comme en Orient, le désert s'étendra jusqu'à cette porte, que les bêtes de proies y feront entendre leurs hurlements tantôt lointain, tantôt rapprochés, qu'un vent violent se lèvera, que des brigands lui déroberont ses bêtes de somme. Alors sans doute la nuit terrifiante sera pour lui un autre désert, et il sentira le cœur las de tous les voyages.
Dès que le soleil matinal se lève, ardent comme une divinité de colère, que la ville s'ouvre, il verra peut-être sur les visages de ses habitants plus de désert encore, plus de saleté, de fourberie, d'insécurité que devant les portes, et le jour à quelque chose près, sera pire que la nuit.
Il se peut bien que telle soit à quelque moment le sort du voyageur ; mais pour le dédommager viennent ensuite les matins délicieux d'autres contrées, d'autres journées, où il voit dès la première lueur de l'aube les chœurs des Muses passer dans le brouillard des monts, et leur frôler de leurs danses, puis plus tard, serein, dans l'équilibre de son âme d'avant Midi, se promènent sous les arbres, tomber à ses pieds de leurs cimes et de leurs vertes cachettes qui hantent la montagne, la forêt et la solitude, et qui sont comme lui, à leur façon tantôt joyeuse, tantôt méditative, voyageurs et philosophes.
Nés des mystères du premier matin, ils songent à ce qui peut donner au jour, entre le dixième et le douzième coup de l'horloge, un visage si pur, si pénétré de lumière, de sereine clarté qui le transfigure : ils cherchent la Philosophie d'avant Midi.
Petite mise en situation avec cette introduction d'une vingtaine de secondes qui ne vous spoilera pas, à 4min05.
https://www.youtube.com/watch?v=nnDe4GY86co
l'idée n'étant plus d'être dans l'ombre ou à la lumière, de toute façon dans l'ombre il fait trop froid, et dans la lumière il fait trop chaud. L'idée étant plutôt de trouver l'héroïsme (qui contient en soi son tragisme) et le comique là où on est, et le Midi peut-être viendra, ce sera du bonus.
À noter le texte de Nietzsche qui dans sa portée a priori philosophique fait surtout de nous des voyageurs.
Encore une critique sur une série qui n'en demandait pas tant.
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Créée
le 21 mars 2019
Critique lue 2.8K fois
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