Frères de crime
6.4
Frères de crime

Série Netflix (2019)

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Saison 1 :

"Irmandade"signifie "fraternité", un jeu de mots judicieux entre le nom de la faction criminelle menant la rébellion contre le système pénitentiaire au sein d'une prison de São Paulo, qui est au centre du récit, et les liens du sang unissant les 3 protagonistes de l'histoire (traduit assez moyennement en "Frères de Crime" en français et beaucoup mieux en "Brotherhood" en anglais) : toute l'histoire de cette première saison d'une nouvelle série brésilienne produite par Netflix est parfaitement résumée. Cette chute - progressive mais vite vertigineuse - dans l'illégalité, puis le crime d'une jeune avocate dont la vie va sombrer - un peu à la manière de celle du Harry White de "Breaking Bad" - résulte certes, à la manière classique des films noirs, d'une succession de mauvais choix, mais était-elle réellement évitable ? Dans le Brésil des années 90, très joliment recréé, alors que le Real s'impose et met fin à l'inflation galopante, permettant à la classe moyenne de réémerger - et à Fernando Henrique Cardoso de se faire élire président ! -, et que la Seleção épingle une quatrième étoile de Coupe du Monde sur son maillot, la démocratie est encore fragile, les abus policiers répondent sans états d'âme à la violence des narcotrafiquants : quelle chance avait en effet la jeune avocate issue des classes défavorisées de rester à l'écart du monde du crime où son grand frère s'était englouti depuis une vingtaine d'années ?

Cet aspect social, cette justesse politique et humaine de "Irmandade" lui permet de trancher franchement par rapport au tout-venant des séries Netflix, sans que, bien entendu, le côté spectaculaire soit négligé : de bonnes scènes d'action réalistes et violentes, pas mal de suspense bien géré (la palme revenant à la longue scène d'évasion du pénitencier, coordonnée avec la finale contre l'Italie au Rosebowl de Los Angeles...), des personnages globalement attachants compensent certaines invraisemblances d'un scénario qui choisit régulièrement la facilité pour justifier l'enfoncement de ses personnages dans le chaos et les échecs à répétition de leurs tentatives d'en réchapper. Si la construction, très improbable, du fameux tunnel teste franchement notre patience, c'est néanmoins le problème fondamental de voir deux jeunes femmes assumer le commandement d'une organisation criminelle qui reste le plus gros mensonge d'une série qui, pour mettre en avant ses (beaux) personnages féminins, oublie un peu vite le machisme violent qui régnait alors dans la société brésilienne (... et qui règne encore largement...!).

Ces quelques réserves sur ces facilités qui trahissent un peu l'ambition de Pedro Morelli ne doivent pas nous empêcher de profiter d'une belle série, rêche, portée en outre par une interprétation globalement convaincante, dont se détache quand même l'impressionnant Seu Jorge, qui dans la lignée de ses rôles dans "Troupe d'Elite" ou "la Cité de Dieu", nous ferait presque oublier quel musicien subtil il sait également être !

[Critique écrite en 2019]

https://www.benzinemag.net/2019/11/04/netflix-freres-de-crime-brotherhood-dans-lenfer-dans-les-prisons-bresiliennes/

Saison 2 :

En octobre 2019, Netflix mettait en ligne Frères de Crime (Irmandade en version originale), une série brésilienne qui tranchait sur la production moyenne de séries télévisées du pays, et qui revenait sur les fameuses situations insurrectionnelles dans les prisons au cours des années 90 : dure, brutale, émotionnellement forte, Irmandade racontait le déchirement de Cristina, une jeune avocate déchirée entre son amour pour son grand frère Edison, leader d’une faction criminelle et emprisonné, sa vocation et ses principes moraux. Le scénario, retors, de la première saison, la voyait finalement trahir et son frère et son métier, Irmandade ayant parfois l’ampleur d’une véritable tragédie intime, en dépit de certaines facilités d’écriture.

Lorsque débute, près de trois ans plus tard, la seconde saison, on est en droit de se demander ce qu’elle peut apporter à un sujet déjà bien traité, et quel est désormais l’intérêt d’un personnage comme celui de Cristina, dont l’ambiguïté a largement disparu… Ce qui fait qu’on a initialement du mal à entrer dans les premiers épisodes d’une « suite » qui va chercher de nouveaux antagonistes pour se renouveler : d’une part le nouveau gouverneur des prisons, qui symbolise l’un des principaux maux brésiliens, la corruption profonde du système politique ; de l’autre un chef de bande adverse, au comportement ultra-violent, qui fait régner la terreur y compris dans ses troupes et dans les favelas qu’il contrôle. Les mobiles de Cristina – un peu comme ceux de Walter White dans Breaking Bad – ont beaucoup évolué et sont passés de la nécessité de survivre à un goût peu à peu acquis pour le pouvoir. Cette évolution du personnage principal, d’abord difficile à saisir, cristallise peu à peu le véritable nouveau sujet de la série, qui est – de manière assez classique – la manière dont le pouvoir empoisonne les âmes, et écrase progressivement les idéaux de ceux qui en jouisse.

A nouveau, c’est le très beau personnage d’Edison, parfaitement incarné par un Seu Jorge possédé, qui symbolise le mieux cette dérive : sous le prétexte de défendre les intérêts des détenus face aux brutalités des gardiens et aux conditions inhumaines de détention, le chef de « l’Irmandade », va jusqu’à la violence la plus extrême et aux compromis les plus immoraux pour conserver son emprise et son leadership. Envolée cette fraternité proclamée, ignorés les liens de sang et les serments d’amitié : dans deux épisodes remarquables – le quatrième et le cinquième – Pedro Morelli (showrunner mais également réalisateur de la plupart des épisodes) et son équipe portent à nouveau la série à son incandescence.

Et si la conclusion semble un peu plus convenue, elle laisse entrevoir un avenir particulièrement cruel pour les protagonistes – enfin, ceux qui ont survécu – définitivement passés du « côté obscur ». L’homme est un loup pour l’homme, et la femme n’est pas en reste…

[Critique écrite en 2023]

https://www.benzinemag.net/2023/07/10/netflix-freres-de-crime-irmandade-saison-2-lhomme-est-un-loup-pour-lhomme/

EricDebarnot
7
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Créée

le 15 juil. 2023

Critique lue 1.7K fois

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Eric BBYoda

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4

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