Friends
7.3
Friends

Série NBC (1994)

Voir la série

Sérieusement ?


Une sitcom ?


Avec des rires enregistrés ?


Lissée par la bien-pensance du prime-time US ?


Rythmée par le formatage des mariages et naissances des WASP ?


Sérieusement, ou plutôt, non, sincèrement.


On reconnait les œuvres de patrimoine lorsqu’on se rend compte qu’elles ont accompagné l’existence. En 25 ans, Friends est arrivée jusqu’à moi par tous les supports. Entraperçue avec mépris sur France 2 (seuls ressortaient les rires en boîte et un VF qui accentuait le fake de ces studios trop bien éclairés), prêtée plus tard sur des VHS par une connaissance qui avait Canal Jimmy et donc la primeur des diffusion, puis achetée progressivement en K7 (il fallait alors choisir les boîtiers en VOST sur des étalages privilégiant la VF), acquises plus tard en DVD dégueulasses, et enfin en BluRay, disponible depuis au plus grand nombre sur Netflix, la série est immortelle, et toujours autant plébiscitée.


Je ne l’avais plus revue depuis une bonne décennie, et y repensais de temps à autre comme un monument s’éloignant dans le temps, et qui était voué à cristalliser les années 90 sans que je puisse espérer y initier la nouvelle génération. Vibrant démenti que l’enthousiasme extatique de mes deux gaillards qui ont hurlé de rire depuis plusieurs mois, et perpétué les citations ou les situations incongrues de la bande.


Friends se passe d’analyses. La question n’est pas de savoir ce que la série dit de son temps, de la culture dominante et hégémonique de l’Oncle Sam, si elle est conservatrice ou discrètement progressiste. Tout cela constitue un arrière-plan qui pourra réjouir certains universitaires, mais occulte la véritable force de frappe de cette série jusqu’à présent inégalée dans sa catégorie, à savoir, justement, le mainstream. La revoir avec les enfants n’a fait bien entendu qu’accroître cette évidence du plaisir. Friends est très drôle, fantastiquement rythmée, et sait construire des personnages. C’est aussi simple que cela.


Le visionnage de l’intégralité impose ce constat : les comédiens sont l’essence du show, encore un peu tâtonnants dans leurs débuts avant de trouver une vitesse de croisière de haute volée. Alors que l’alchimie du groupe saute aux yeux, on assiste à la naissance progressive de personnages, de caractères qui, loin de s’étioler, renforcent leur présence au fur et à mesure des saisons pour former une famille qui, par sa simplicité, construit avec le spectateur une complicité à toute épreuve. Dès lors, qu’importent la monotonie des décors, entre deux apparts et un café, l’entre-soi de ces jeunes adultes peu enclins à vieillir, tout fonctionne, et semble même tirer sa force de l’angle de tir on ne peut plus réduit de son cadre. On retrouve ainsi les personnages avec la réjouissance des retrouvailles, simplement pour ce qu’ils sont, et sans l’attente d’une exceptionnelle destinée, de la même façon qu’on invite à dîner des personnes avec qui le partage suffit à passer du bon temps. Et la finesse avec laquelle seront construits les personnages secondaires élargira la jubilation à l’échelle d’une communauté toute entière.


Mais il ne faut pas s’y tromper : si la banalité de leurs échanges (prenons, à ce titre, la première réplique de la série, « There’s nothing to say ») fait le creuset de la série, sa force de frappe comique est le résultat d’un véritable travail d’orfèvre. Revoir Friends, c’est certes prolonger la compagnie de personnalités hautes en couleurs, mais, surtout, savourer son écriture au cordeau. Les bonus, à ce titre, sont révélateurs d’un travail constant par une équipe de scénaristes qui modifient les répliques même dans le direct du tournage, à la recherche du Graal de la punchline, mettant jusqu’aux acteurs à contribution. Et si les répliques cultes fusent, il faut aussi constater la superbe continuité des échanges, ce que soit à l’échelle d’une conversation ou d’un épisode entier, d’ailleurs construit sur l’enchevêtrement savant de plusieurs intrigues qui se relancent toujours mutuellement. Souvent, un premier jet de la vanne occasionne la surprise, et reste en sommeil avant d’être réexploité à la lumière d’éléments nouveaux, gagnant en puissance et s’enrichissant d’une dimension autoparodique qui accroît la complicité du spectateur avec les interlocuteurs.
Si la série occasionne forcément quelques baisses de régime et peine un peu, sur les dernières saisons, à renouveler ses arcs (la relation entre Chandler et Monica piétine, les explorations d’un couple Joey/Rachel mènent à l’impasse), c’est cette apparente simplicité qui justifie qu’on puisse la revoir – et que les spectateurs puissent désormais, avec l’offre du streaming, picorer dans un désordre tout subjectif les épisodes de leur choix ; alors qu’on fustige souvent dans les sitcoms le remplissage et l’ineptie, Friends avance masqué, gomme tous les signes extérieurs de sa sophistication, et réussit le braquage ultime du plus grand nombre, bien au-delà de sa génération et son époque.

Sergent_Pepper
9
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le 6 mai 2020

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