Game of Thrones est une révolution dans le monde de la télévision aussi bien que littéraire car George Martin a enfoncé de nouvelles portes dans le sanctuaire de la créativité : Jusqu’à présent, les créateurs de tous bords, écrivains comme réalisateurs, semblaient se complaire dans un monde censuré, codifié à outrance et tellement noyé dans les clichés que la majorité des œuvres ainsi produites étaient toutes plus prévisibles les unes que les autres. Un dogme du "politiquement correct" et de l'acceptable s'est progressivement installé, afin de limiter le champ des possibilité scénaristiques, tant et si bien que peu de gens s'en sont rendu compte. Les spectateurs lambda semblent être en constante admiration devant des séries, films ou livres répétitifs car cloisonnés. Seuls quelques rares avant-gardistes comme Gaspard Noé ou Yorgos Lanthimos osent des voies scénaristiques en dehors de cette cloison, et pour cela, ils sont vus comme des marginaux.
Puis George R. Martin les a rejoint avec un univers d'une ampleur qui rivalise avec LSDA pour les soutenir. Brandissant l'épée de la révolution, il a imposé au monde ces voies encore interdites : Fini, les sauveteurs de dernière minute qui permettent au héro tout gentil de s'en sortir indemne ! Fini, les personnages respectables qui prônent la bonne morale d'enfant de cœur ! Dans le monde de Westeros, tout le monde crache sur ce dogme du "politiquement correct", les femmes, enfants, vieillards et nouveau-nés se font massacrer sans pitié, chaque personnage est aussi immoral et envieux que tous les autres, tout le monde vient planter une dague dans le dos des autres afin d'être le dernier capable de marcher et surtout de s’asseoir sur le célèbre Trône de fer. (La scène avec la fille de Stannis dans la saison 5, parmi tant d'autres, exprime parfaitement ce que je veux dire)
Et c'est précisément pour ces raisons que Game of Throne nous fait trembler plus que n'importe quelle autre série : Ne suivant pas les règles de ce carcan susmentionné, elle est imprévisible.
Dans cette logique, et comme tout bon écrivain se doit de le faire, George R. Martin ne prend pas de parti pour tel ou tel personnage. Ils nous raconte leur péripéties, leurs choix et leurs destins avec suffisamment de force émotionnelle pour que l'on puisse partager leurs émotions, mais sans jamais faire de favoritisme. Ce choix lui offre donc la possibilité d'aller à fond dans sa démarche de révolution scénaristique. Il n'hésite pas à faire du mal à ses personnages, à les faire torturer, molester, violer, voire même mourir quand cela peut amener une scène époustouflante. Nombre d'autres créateurs seraient prêt à massacrer la portée émotionnelle d'un passage, dans le seul but de protéger leur personnage fétiche, l'empêcher de trop souffrir car cela serait "choquant" pour les pauvres petits spectateurs ... Cependant, en révolutionnaire qu'il est, George Martin place la force du récit avant le bien être de ses personnages, ce qui permet à Game of Thrones d'être cent fois plus poignante et époustouflante que la quasi-totalité des série ou films vus jusqu’à présent. Les fameuses noces pourpres en sont l'exemple parfait.
Par ailleurs, la multitude des personnages apporte un autre avantage indiscutable de la série : L'identification du spectateur. En effet, George Martin a su créer un panel des protagonistes assez large pour balayer l'ensemble des personnalités. Ainsi, n'importe quel spectateur, aussi original soit-il, y trouvera une figure à laquelle il pourra s'identifier. A travers cet alter ego, il y vivra sa propre quête de la gloire et du pouvoir que chacun de nous recherche de manière plus ou moins assumée.
Enfin, Game of Thrones a su trouver le compromis parfait entre politique et aventure. Car, si les récits épiques/médiévaux sont une formule sympathique qui met plus ou moins tout le monde d'accord, elle est, dans 99% des cas, dépourvue de tout intérêt politique. Pour la simple raison que le manichéisme est une solution de facilité, qui en plus s'inscrit très aisément dans ce genre de récit. Alors, quand on est un petit garçon de treize ans, cela ne pose aucun problème, mais quand on est un tant soit peu adulte, cela décrédibilise, oserais-je dire ridiculise, toute l'histoire.
Cependant, George Martin à su briser les règles pour transformer sa saga médiévale en saga majoritairement politique. Entre autres exemples, les réunions du Conseil restreint soulèvent avec une intelligence remarquable les difficulté d'un gouvernement. De nombreux dialogues sont frappants de vérité sociologiques, et les différents complots y sont aussi recherchés et intelligents que le reste des événements dans la série. Il y a surtout la situation de Daenerys dans les saison 4 et 5 qui montre clairement la profondeur politique de la saga : La jeune Targaryen a pris de force les trois villes les unes après les autres, en conquérante qu'elle est. Très bien, c'est admirable, mais en réalité que se passe-t-il suite à ce genre de blitzkrieg ? La situation politique y est totalement instable.
Or, dans tous les récits d'aventure où un héro vient libérer un peuple comme l'a fait Daenerys avec les esclaves, le film se termine par la foule en liesse et le héro glorifié de partout. On ne nous montre jamais la malheureuse bien que logique suite des événements, à savoir, l’effondrement de sa conquête. Et là encore, George Martin va fracasser un peu plus le dogme en osant aller plus loin que les autres, tout en ne déformant rien. Il ne fait que présenter les conséquences inévitables du comportement de Daenerys, nous prouvant ainsi que derrière une recherche scénaristique de longue haleine, il y a avant tout une recherche politique et sociologique qui impose le respect, apportant encore plus de crédibilité au tout. Et plus le récit est crédible, plus la puissance des événements poignants en est renforcée (cf le 3ème paragraphe).
Pour toutes ces raisons, Game of Thrones est une véritable révolution qui mérite pleinement la note maximale (et le petit cœur !).
P.S. : Pour ce qui est du vainqueur final de la saga, je met mes paris sur Littlefinger ! Je partais sur Thirion dans un premier temps, mais j'en suis venu à me dire qu'il est trop intègre et direct pour survivre jusqu'au bout.