Vous aimez le Comte de Monte-Cristo ? Cette incarnation de la revanche juste et pourtant stérile, ce portrait d'une bourgeoisie parisienne oisive et corrompue, cette grande figure brisée et implacable de l'homme qui n'est plus porté que par un but unique et funeste, cette galerie de personnages ancrés dans un Paris grandiose et décadent ?
Vous voulez le voir tout bleu, sexuellement ambigu dans le Paris du futur ?
Bien sûr que si. En avant pour Gankutsuou ! Et il n'y a pas de mais !
Comme vous l'avez sans doute déjà remarqué en voulant faire le malin devant vos copains, les japonais sont fascinés par l'Europe. Bien sûr, leur culture semble souvent porter sur le monde entier un regard émerveillé d'enfant, mais s'ils ont parfaitement assimilés les concepts américains des amourettes de lycées et des super-héros sauveurs de monde en y ajoutant leur inimitable empreinte, leurs fantasmes sur nos légendes, nos modèles sociaux, nos institutions religieuse et notre XIXème siècle sont toujours aussi vifs, source de création originale et de notre point de vue, à crever de rire.
C'est donc avec un légitime mélange de fierté et de terreur qu'on apprendra que quelqu'un au Japon a lu le roman de Dumas, et l'a tellement apprécié qu'il en a fait un anime. Avec juste une ou deux différences avec le matériau original. Mais après tout, comme n'importe quel fan de Game of Thrones vous le dira : « c'est bon, toute adaptation nécessite des changements vis-a-vis de l'oeuvre dont elle est tirée. Et non, je ne vois pas à quelle scène avec des chiens à Fort-Terreur vous faites allusion ».
Êtes-vous alors prêts à voir l'un des plus grands classiques de la littérature française sous le prisme nippon ? Êtes-vous prêts à voir le plus grand choc de cultures depuis que mr Néanderthal a rencontré mme Cro-Magnon ? Êtes vous prêts à... ça ?
Non, comme l'a dit un célèbre homme cornu : Vous n'êtes pas prêts !!!
Pas prêt, déjà, pour un changement qui pourrait déjà décourager certains : le comte n'est pas le personnage principal. A la place, nous suivons le point de vue de notre cher ami, Albert de Morcerf. Ceux qui auront lu trois fois le bouquin se rappelleront peut-être d'Albert traînant dans un coin de l'intrigue. Ici, le jeune homme devient le centre du récit, et notre point de vue le plus récurrent. Certes, ça fait très jeunisme inutile et putassier, mais, étrangement, le choix s'avère assez payant. Loin de nous borner à suivre les aventures d'un ado et de sa bande de potes, cela nous permet de découvrir par les yeux d'un habitué et d'un citadin les joyeux résidents de la Paris du futur, et nous donne donc un nouvel angle pour aborder des personnages déjà connus. Cette vision moins froide que celle du comte lui-même permet au spectateur d'avoir quelqu'un auquel il peut s'identifier, ce qui est plus nécessaire sur écran que par écrit.
D'autant que notre Albert, malgré son prénom, est plutôt sympathique. Naïf et idéaliste, un peu faiblard et dérouté, il incarne un archétype de personnage vu et revu, mais toujours efficace. La plupart des personnages gravitant autour de lui ne sont pas en reste. Que ce soit son meilleur ami ( voir plus si affinités ) Franz d'Epinay, dont l'importance se voit multipliée par dix, Lucille, sa fiancée ( voir moins si... vous voyez ), et globalement, toute la partie jeune du casting.
Rassurez vous, la partie mature a elle aussi son lot d'adaptation rigolote et intéressante. Que ce soit un Danglars nouveau riche, un Villefort inflexible ou un Morcerf à coiffure mulet, on navigue en territoire fendard, à la fois divergent et respectueux de l'oeuvre originale. On évoquera aussi le look aléatoire de Bertuccio et Baptistin ( Black & Banane ) et le fait que les turcs soient des poissons extraterrestres ( Marine Lepen disait donc vrai ? ) avant d'en venir au plus important : le comte lui-même, dans toute sa gloire bleutée. Et laissez moi le dire, si la classe était tangible le gars serait englué dedans comme une mouche dans de l'ambre. Voix sonnante et seigneuriale, visage de leader, oreilles de triton, cheveux à la teinte indéfinissable volant au vent, expression pouvant passer de bienveillante à goguenarde en un clin d'oeil, le personnage est un régal, réussissant à transmettre tout l'aspect fascinant de son alter ego livresque.
A ce bon design s'ajoute des innovations qui renforcent les caractères de certains protagonistes. Attention, je n'entend pas par là qu'ils manquent à l'oeuvre de Dumas, mais qu'il est heureux qu'ils s'accordent bien à l'univers de cette adaptation. On appréciera donc que Fernand de Morcerf soit un peu plus ambigu, avec une insistance sur son aspect militaire et l'amitié qu'il aurait entretenu avec Edmond Dantés dans le passé. Eugénie, la fiancée d'Albert, donc, est l'une des plus sympathiques « amour obligé de héros » que j'ai pu voir, notamment parce que leur relation ne va pas nécessairement de soi. Andrea Cavalcanti est un délice de salopard flamboyant, Danglars et sa beauferie très moderne fait plaisir à voir. Enfin, Haydée, même si elle ne dit pas grand chose de plus, gagne un charme exotique particulier. Et bleu.
Toute cette histoire prend place dans le Paris du futur. Ou sur la planète Paris. A moins que ce soit la planète France ? Quoi que l'aspect futuriste fait plutôt uchronie, quand on y réfléchit. Donc... Euh... Enfin bref, ce n'est pas très clair. Il n'est jamais réellement explicité si la France a envahi le reste du monde et a développé un empire spatial où si chaque nation a sa propre planète, comme les turcs. Mais comme on trouve apparemment New York sur le même monde que Paris, doooooonc.... Rhaaaa, ça n'a aucun sens ! Mais on s'en fout ! Ce qui importe, c'est que la France est une grande nation galactique appelée le Royaume, qui en est à son Xième Louis-Philippe et qui élit un président...
…
Ouais okay c'est pas grave. Donc, dans le futur uchronique franchouillard, les hipsters ont visiblement pris le pouvoir, installés Venise sur la lune, gravé une tête de mort géante sur notre astre préféré pour faire joli, et rétabli la noblesse. En gros, une immense régression sociale, mais rendue acceptable par de chouettes moyens techniques. On sent une certaine «vision d'artiste» dans la représentation de cette civilisation, gros creuset de fantasmes sur le XIXème siècle européen, où jolis vêtements psychédéliques, trams à visages hyperflippant et conventions sociales alambiquées règnent. Un monde par ailleurs très simple, puisqu'ils semble composé exclusivement de Paris, située au milieu d'une grosse plaine vide, de la forêt de Rambouillet et d'un petit village de pêcheur, Marseille. Ah, et on lit toujours le figaro.
Non, sérieux, j'adore ce truc.
Mais tout n'est pas rose-fluo bizarre dans cette jolie image d'épinal. Car Edmond Dantès est de retour, pour vous jouer un mauvais tour ! Et il y a quelque chose de changé chez lui, je ne saurait trop dire quoi, c'est indéfinissable, mais il paraît un peu plus... bleu. Comme si un démon millénaire enfermé dans la base spatiale pénitentiaire du château d'If s'était incarné en lui à la suite d'une rencontre et d'un pacte qui ne seront jamais détaillés plus que ça et seront sans doute le plus gros trou noir du scénario...
Haha, mais non, qu'est ce que je raconte, il a sûrement juste une nouvelle cravate !
Entité extraterrestre lovecraftienne ou pas, sa vengeance reste de bonne tenue et demeure le fil rouge du récit, même si, par rapport au roman, elle prend beaucoup moins de temps. A la moitié de la série, le cas Villefort est déjà réglé, et toute affaire avec sa femme et fille également. On remarquera également que notre bon comte est beaucoup, beaucoup plus sadique que sa contrepartie littéraire. Loin d'apporter une vengeance « juste » symbolique, il lui arrive de se laisser aller dans la cruauté, sans cependant tomber dans la surenchère. Condamnation à mort dégueulasse, dégénérescence mentale, séduction du fils de son ennemi (hein?), il n'hésitera devant rien tout en luttant contre le démon qui lui ronge l'âme et la tronche.
Bon, avouons-le, hors de ces scènes terribles, la série peut de temps en temps avoir des coups de mou. Même si tout le background mélancolique et même les questionnement adolescents sont bien mis en scène et sympa à suivre, ça fait quand même quelques épisodes qui partent dans tous les sens sans forcément arriver quelque part.
Cependant, le schéma narratif général reste cohérent et plaisant à suivre, et on aura aucun véritable filler ou trame qui fasse juste perdre son temps. Les auteurs ont assez habilement su tourner autour de l'oeuvre originale pour y adjoindre des aspects plus susceptible de plaire à un public d'anime. On y perd en subtilité, on y gagne en explosions et en émoi existentiel. A chacun de voir si ça en valait la peine.
Parlons maintenant technique et design. Et boudiou ! C'est foutrement impressionnant ! L'utilisation de couleurs principalement pastel donne un côté chic et suranné à l'ensemble tout en exacerbant les quelques teintes plus vives, principalement sur les vêtements. Vêtements assez merveilleux d'inventivité graphiques, puisque leurs motifs se déplacent en même temps que leur propriétaires, dans un étrange effet de défilement. Le résultat surprend l'oeil à chaque fois. Ah, si l'avenir pouvait vraiment receler pareilles enchantements ! Les riches seraient beaucoup plus facilement repérables et on serait enfin débarrassés des épileptiques !
Le mélange Space-Opera - Belle époque est fait avec goût, frappant dès le premier épisode avec cette étrange cité lunaire censée figurer l'Italie, et plus encore dans la demeure du comte, gros clin d'oeil à l'impressionisme. Le plus grand extrème de cette idée se retrouve sans doute dans l'utilisation par certains protagonistes de méchas duellistes. Vous m'avez bien lu. De. Méchas. Duellistes. Soit des robots géants de combats à l'épée. Le type qui a eu cette idée doit maintenant baver dans une cellule capitonnée, mais qu'importe : ça en impose direct.
Pour finir, deux points, plus légers que les autres, mais qui ont, pour le pire ou le meilleur, leur importance.
Primo, comme je l'ai vaguement laissé entendre auparavant, toute cette histoire de vengeance n'est que de peu la trame principale. Ce qui tiendra véritablement le spectateur en haleine tout au long de la série, ce sera une autre question, beaucoup moins gagnée d'avance : Albert maintiendra-t-il ses mœurs hétérosexuelle jusqu'à la fin ? Et ce malgré toutes les tentations que lui infligent le comte, son meilleur ami et un pirate de l'espace travesti? Si vous pensiez que vous ne trouveriez pas plus de sous-entendus bizarres qu'avec Shinji et Kaworu, Guts et Griffith ou Lelouch et Suzaku, vous aviez tort. Et oui oui, un pirate spatial travesti. Il s'appelle Peppo. Un homme de main de Luigi Vampa dans le bouquin qui devient ici, pour d'obscures raisons, un comic-relief sortant tellement de nulle part qu'il finira par en être drôle. Je ne sais pas à quoi pensait Dumas quand il a oublié de créer un personnage de stalker transgenre, mais heureusement, cet anime est venu rectifier le tir ! Pas vrai ?
Secundo, l'hommage à la langue de Molière va jusqu'à la prise de parole du comte, en chaque début d'épisode. Avec un accent à couper au couteau et des fautes de grammaire sentant bon google traduction il saluera les dames et les messieurs avant de leur exposer le programme du jour, devant nos yeux ébahis et nos oreilles incrédules. Fou rire garanti, ainsi que, pour ma part, une certaine affection pour l'effort effectué. Certes, le Figaro est bourré de fautes qui feraient honte à un élève de CM1, mais au moins, ils ont vraiment essayé de l'écrire dans notre langue. Une marque de respect qui fait chaud au cœur.
Nous arrivons au bout de la critique, et soudain Renaud, personnage quaternaire n'ayant eu aucune ligne de dialogue jusque là et me foutant bien la trouille tellement il raconte n'importe quoi, surgit pour vous conseiller ardemment Gankutsuou. Certes, le rythme n'est pas effréné, certains choix laissent songeur et certaines questions ne trouvent pas de réponse, mais c'est un prix à payer tout à fait acceptable pour tant d'originalité artistique, pour une interprétation totalement nouvelle de l'oeuvre, et pour certains moments et personnages qui sont tout simplement plaisant à regarder et bien écrit. Sans parler, évidemment, du statut d'indispensable specimen bizarre pour tout admirateur des romans qui se respecte.
Bon, maintenant que j'ai chassé ce type, il ne me reste plus qu'à l'approuver et à attendre avec impatience la suite logique de l'anime.
Car quel homme sensé raterait « les Misérables super sayians » ou la version yaoi des « trois mousquetaires au lycée des méchas duellistes » ?
Hé, mais revenez !